Signé le 10 janvier 2009, l’Accord sur la gestion concertée des flux migratoires devait permettre, entre autres, la régularisation des Burkinabè en situation irrégulière en France. La réalité est tout autre

Lorsque le nouvel ambassadeur du Burkina en France, Alain Gustave Ilboudo, nommé le 14 septembre dernier prendra ses fonctions, il trouvera parmi les dossiers qui l’attendent sur sa table, celui des sans-papiers burkinabè. Un dossier qu’il connait bien puisqu’il était secrétaire général du ministère des Affaires étrangères au moment de la signature, le 10 janvier 2009, de l’Accord sur la gestion concertée des flux migratoires entre la France et le Burkina. Il avait même conduit une mission d’explication du texte auprès de ses compatriotes de l’hexagone le 1er février, et la séance qu’il avait eue avec eux n’avait pas été une partie de plaisir pour lui et sa délégation.

Paraphé par Brice Hortefeux, alors ministre français de l’Immigration et de l’identité nationale, et Minata Samaté, ministre déléguée auprès du ministre burkinabè des Affaires étrangères, l’Accord remplace et prend la suite de la Convention sur la circulation et le séjour des personnes qui était en vigueur depuis septembre 1992.
En substance, le nouveau texte énonce les conditions de délivrance des visas, la mobilisation des ressources et des compétences de la diaspora, puis le renforcement de la coopération décentralisée. L’Accord porte également sur la coopération policière dans la lutte contre l’immigration illégale, la régularisation des sans-papiers burkinabè en France et de français au Burkina puisqu’il y en a, l’exemption de visa aux détenteurs de passeports diplomatiques et de service, et les conditions d’expulsion des sans-papiers burkinabè et de ceux de pays tiers.
Sur les conditions d’entrée et de séjour en France, il était prévu un visa salarié pour les ressortissants munis d’un contrat de travail, et pour les étudiants en fin d’études. Un autre un visa dénommé « Compétences et talents » a été institué et réservé aux sportifs, chercheurs, intellectuels susceptibles de contribuer au rayonnement de la France.
Pendant les négociations, la partie burkinabè avait demandé la régularisation de ses ressortissants en situation irrégulière, à peine une centaine-ce qui est peu comparativement aux autres pays-, mais la France s’était engagée à examiner les demandes au cas par cas, et à accorder un titre de séjour aux Burkinabè entrés légalement en France à la date du 20 novembre 2007, et disposant d’un contrat de travail. Dans la foulée, des sans-papiers avaient constitué des dossiers qu’ils ont déposés à l’ambassade, l’interlocutrice directe du ministère français de l’Intérieur.
Sept ans après, la déception est à la hauteur des espoirs suscités par cet Accord. « Depuis le début jusqu’à aujourd’hui, rien n’a changé du côté des autorités », affirment Karim Ouédraogo, Ibrahim Nana, respectivement président et trésorier du Collectif des Sans-papiers burkinabè, créé en 2011. Si certains ont pu sortir de la clandestinité en obtenant la régularisation de leur situation administrative, ils l’ont été par d’autres voies, « pas grâce à l’Accord », confient-ils, ajoutant que même « si nous sommes aujourd’hui régularisés, on continue de se battre pour ceux qui sont encore dans l’illégalité ou qui continuent d’arriver soit directement du Burkina, soit de pays voisins de la France, comme l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne ».

Le Collectif ne comprend pas que dans les préfectures, on continue de traiter les ressortissants burkinabè comme s’il n’y avait pas eu l’Accord. « Si dans les préfectures, on continue de demander aux Burkinabè les mêmes papiers que les autres nationalités, à quoi ça sert d’avoir signé un Accord ? », interrogent-ils.
En mai dernier, une mission est arrivée du Burkina dans le cadre des rencontres statutaires entre les deux parties prévues par l’Accord. Le Collectif qui en a eu vent, a souhaité être reçu, histoire de faire le point avec les membres de la mission sur la question spécifique des sans-papiers, avant le rendez-vous avec la partie française. « Nous voulions dire aux membres de la mission de demander au ministère de l’Intérieur de donner des instructions dans les préfectures afin que les dossiers des Burkinabè soient traités avec plus d’attention, en raison de l’Accord », expliquent-ils. Mais le rendez-vous n’a pas eu lieu. A la place, ajoutent-ils, « c’est le Consul qu’on a rencontré. Il nous a remis une liste de personnes qu’il aurait reçue de la préfecture dont les demandes n’avaient pas abouti. Il fallait apporter d’autres éléments avant de nouveaux examens ». Mais en examinant la liste, le Collectif découvre qu’elle comporte des noms de gens qui ont déjà été déjà régularisés. « Nous nous sommes demandés si la liste venait réellement du ministère de l’Intérieur, mais dans tous les cas, c’est une bonne raison, soit de nous associer à la rencontre avec le ministère, soit au moins nous entendre pour savoir exactement ce qu’il en est des sans-papiers ».
A l’évidence, la concertation entre le Collectif et les autorités diplomatiques devrait gagner en qualité. « Quand des autorités viennent ici pour rencontrer leurs homologues Français, c’est au dernier moment qu’on nous appelle pour demander notre avis, au lieu de nous prévenir à l’avance pour que chacun prenne ses dispositions », se plaignent les membres du bureau du Collectif, qui affirment n’avoir pas non plus été informés du contenu des discussions que la mission a eues avec la partie française.
Selon eux, il y aurait une centaine de sans-papiers, sans compter ceux qui arrivent toujours qu’il faut aider à trouver un logis d’urgence et cotiser après pour payer les conseils d’un avocat pour les défendre.
Contacté par KACETO.NET, le Consul général du Burkina à Paris, Ousman Nacambo dit n’en savoir pas davantage sur les conclusions des discussions auxquelles il a participé, « car on attend le document de synthèse que la partie française a envoyé au Burkina ». Plus étonnant, il révèle que sur « le dossier des sans-papiers, on n’a pas vraiment parlé de ça, parce qu’avant la réunion, j’ai essayé de rencontrer l’association des sans-papiers pour avoir l’état de la situation. D’après le décompte du ministère de l’Intérieur, sur ceux qui avaient été initialement enregistrés, il reste une vingtaine de personnes à régulariser sur la centaine de dossiers, et qui pourraient être réexaminés à n’importe quel moment si on apportait des documents complémentaires ». Le Consul général confie avoir demandé au Collectif de lui faire le point sur le nombre de dossiers recalés, ce qu’il aurait refusé, estimant que « les gens se sont débrouillés tout seuls pour obtenir leur papier et non grâce à l’Accord ». Etant incapable de dire exactement qui sont les personnes dont les demandes ont été recalées, « la partie burkinabè n’a pas osé revenir sur cette question », explique t-il.

Quel est exactement le nombre de ressortissants burkinabè en situation irrégulière en France ? Une centaine, répond le Collectif. Le Consul général se montre plus circonspect : « Il faut faire la distinction avec les sans-papiers arrivés après l’Accord et ceux qui étaient déjà là, et ont déposé leur dossier. Ceux qui sont venus après ne doivent pas être comptabilisés car, un des objectifs de l’Accord, c’est de coopérer pour reconduire éventuellement ceux qui sont en situation irrégulière. On ne peut pas revenir tous les jours dire, il y a de nouveaux sans-papiers, donc il faut les régulariser », conclut le Consul.
En réalité, le « malentendu » entre le Collectif des sans-papiers et les autorités diplomatiques burkinabè en France n’est que révélatrice de la duplicité qui caractérise l’application de l’Accord signé en 2009 entre le Burkina et la France.
Un rapport parlementaire permettrait sans doute de savoir si les intérêts du Burkina sont réellement préservés dans ce texte. Notamment sur l’octroi du visa « Compétences et talents », du visa salarié pour les personnes munies d’un contrat de travail et pour les étudiants en fin d’études afin qu’ils puissent tenter une expérience professionnelle et consolider leurs connaissances, puis du dispositif d’accompagnement pour ceux qui acceptent retourner volontairement au pays.
Car, sur le point spécifique des sans-papiers, le bilan est globalement négatif.

Joachim Vokouma
Kaceto.net