Hier soir, le président Kaboré a annoncé une batterie de mesures destinées à amoindrir le choc économique et social causé notamment par la fermeture des marchés et yaars, des frontières et l’instauration du couvre-feu.
Mais pour Sayouba Traoré, "c’est bon, mais c’est pas arrivé". Il estime que le secteur primaire qui occupe plus de 80% de la population n’a pas été suffisamment pris en compte.

Depuis l’apparition du Covid19 au Burkina Faso, confinement ou pas, tout le monde à l’oreille tendue vers le pays. Connaissant la faiblesse de notre système de soins et les difficultés de notre tissu économique, tout cela aggravé par la situation sécuritaire nationale, l’inquiétude est dans toutes les têtes. Même si on hésite à parler ouvertement, de peur de remuer des douleurs cachées. C’est dans cet état d’esprit que toute la diaspora a suivi la mise en place des mesures sanitaires pour contrer la pandémie. Et c’est encore dans le même état d’esprit que les uns et les autres ont attendu le discours du Chef de l’état, annoncé pour le 2 avril à 20 heures.
Le décalage horaire ne suffisait pas à décourager les impatients. Pas plus que les retards de la RTB. Ceux qui le pouvaient ont écouté les mots du Chef de l’état avec une attention pointue. Puis on s’est débrouillé pour se procurer les images vidéos. Et on a attendu ce matin pour compléter avec le texte du discours du Président du Faso.

Alors ?

De tout cela, l’impression générale est confuse. D’abord, il faut traduire ou se faire expliquer ces mesures d’accompagnement en termes simples. C’est-à-dire à hauteur du citoyen. L’idée centrale, c’est que l’état et ses démembrements ne peuvent se contenter de décisions ayant de fortes répercussions sur la vie des citoyens, sans des efforts pour amortir le choc socio-économique inévitable. Il ne faut pas se leurrer. Notre pays est pauvre. Nous-mêmes, filles et fils de ce pays sommes pauvres. De ce fait, nous ne pouvons donner au gouvernement qu’un budget à la hauteur de nos moyens. En somme, un budget maigrichon pour régler d’énormes problèmes. Voyons le casse-tête dans lequel nos dirigeants sont enfermés. Il faut lutter de toutes nos forces, faire tout ce qui est possible pour empêcher la maladie de se propager. Ce qui requiert des moyens financiers qu’ils n’ont pas. On n’a pourtant pas le choix, il faut le faire. Or cette lutte concerne tout le monde. Parce que le virus ne connaît ni pauvre ni riche.

Et le secteur primaire ?

Tous ces préalables posés, il me faut venir à ce qui me préoccupe au premier chef. Me connaissant et connaissant mon parcours, vous ne serez pas étonnés si je vous dis : et les villageois, et les paysans, et les maraîchers, et les gens des quartiers périphériques de nos villes ? Ce que les techniciens appellent le secteur primaire, c’est la très grande majorité de nos concitoyens des villages. Il faut y ajouter ceux du secteur informel des villes. Informel, dans la bouche des administrateurs, ce sont tous les acteurs économiques qui ne sont pas dans les petits papiers des agents dans les bureaux. Il se trouve que ce sont les plus fragiles. Et pas que sur le plan économique. Cette grande masse de la population du Burkina Faso, ce sont les défavorisés dans tous les domaines.
Vous les rencontrez tous les jours, sans les voir. Le matin, elles sont devant le marché de Dassasgho, où elles revendent des produits frais. Elles sont au marché de fruits et légumes de la Cité An II. Elles sont autour de Burkina Décor. En descendant de l’avion, vous ne pouvez pas les louper : elles ont leurs échoppes juste en face de la sortie de l’aérogare. Pour le voyageur arrivant à Ouagadougou en autocar, c’est le même scénario. On les voit travailler, mais nul ne cherche à savoir où elles se procurent la marchandise. Encore moins le genre de pacte qui les lie au jardinier ou au fournisseur-importateur. Et on ne parle pas des produits jetés le soir, en cas de mévente, faute de chambre froide.
C’est un métier parmi les nombreux métiers du secteur informel. C’est un métier du secteur primaire où tout le monde dans la chaîne de valeur est gagnant, sauf ces femmes. Comment je le sais ? C’est bien simple : je prends le temps d’aller discuter avec elles. Le matin, quand elles vont s’approvisionner à vélo ou à bord de tricycles, je demande à les accompagner. A force, nombreuses sont celles qui reconnaissent mon visage. Et qui me parlent. Il se trouve que ce sont des gens qui vivent au jour le jour. J’explique !

Un équilibre instable tout le temps

D’abord, vous devez savoir que nombreuses parmi ces femmes sont chef de famille monoparentale. Monoparentale, c’est un mot forgé pour pouvoir dire sans gêne, veuve, ou femme abandonnée et méprisée. Donc, elles doivent se débrouiller toutes seules pour nourrir et élever leurs enfants. C’est pourquoi vous les voyez pédaler le vélo en donnant le sein à un nourrisson, ou bien vendre en donnant le sein. Ce n’est pas ma faute, ce sont là des tares de notre société. Et évidemment, elles n’ont pas été scolarisées. Au petit matin, avant le chant du coq, elles doivent être sur pied. Parce qu’il faut être la première au périmètre maraîcher et la première sur le lieu de vente. Elles quittent le domicile avec l’essentiel de leur maigre capital. Le soir, avec le fruit de la vente, il faut faire trois parts : prévoir une petite économie, prévoir la partie pour les achats de marchandise du lendemain, et prévoir la partie pour nourrir la famille. Ce n’est pas tout. Pour le repas, il faut préparer un peu pour le petit-déjeuner, un peu pour emporter au marché pour midi.
Au final, ce sont des travailleurs en équilibre instable tout le temps. Pas besoin de longues explications pour vous faire comprendre que la fermeture d’un marché ou d’un yaar est une catastrophe. Quand vous allez donner vos habits chez le tailleur, vous n’imaginez pas les difficultés pour tenir sa boutique. Comment croyez vous que le mécanicien qui répare la roue de votre moto se débrouille pour faire vivre sa famille ? Tous les artisans de notre beau et riant pays vivent une situation similaire. Et ce que je vous dis là, vous pouvez facilement le vérifier. Il suffit d’aller voir ces gens.

Monsieur le Président

Monsieur le Président du Faso. Parmi tous ces cas, permettez-moi de revenir à nos femmes revendeuses de produits frais ! Il semble que les mairies sont chargées de prendre des mesures pour faciliter l’écoulement des produits. L’idée, c’est d’organiser des ventes par segment d’activité et par rotation. Eh bien soit ! En soi, l’idée n’est pas mauvaise. Mais on doit prendre en compte une petite chose : les mairies elles-mêmes ne disposent pas d’équipements adaptés pour la conservation des produits frais. Monsieur le Maire lui-même est déjà submergé par les problèmes de sa commune. Comment pourrait-il faire face à cette nouvelle tâche ? Là également vous pouvez vérifier ce que je raconte : allez tout simplement voir au niveau de votre mairie !
Monsieur le Président du Faso. Depuis l’apparition du Covid19 dans notre pays, vous êtes sur le pied de guerre. Votre discours d’hier fait partie de ces actions. Toutefois, je vous demande de revenir à la télévision. Il faut voir le cas de ce secteur primaire. C’est tout simplement la requête d’un fils du Faso, qui a eu l’opportunité de parcourir nos campagnes. Et de voir de qui s’y passe réellement.

Sayouba Traoré
(Ecrivain-Journaliste)