C’est un fait. Depuis plusieurs mois, la tension ne cesse d’aller crescendo dans les rapports entre le pouvoir exécutif et judiciaire au Burkina Faso. A coup de communiqués ou par média interposé, chacune des parties, se basant sur son indépendance, tente de tirer la couverture de son côté. Une situation qui n’est pas sans conséquences sur le fonctionnement de la vie institutionnelle et démocratique dans le pays.

Entre magistrats et membres du gouvernement, c’est désormais la guerre des mots et des formules qui fait rage en ce moment. Dernier épisode en date, l’affaire des coupures de salaires, attaquée par voie de référé par les syndicats de magistrats, devant les tribunaux administratifs du pays. Avec il est vrai, des fortunes diverses par endroit.
Selon un magistrat, il est clair que le gouvernement actuel veut casser le pouvoir judiciaire par tous les moyens. Et même qu’il le soupçonne implicitement de vouloir faire marche-arrière sur certains acquis obtenus. Comme, celui de la présidence du CSM, le conseil supérieur de la magistrature, qui n’est plus dirigé par le président du Faso, comme c’était le cas il y a peu.
Alors prévient notre interlocuteur, lui et ses camarades ne se laisseront pas faire. Certains de ses collègues, dit-il, ont vu leurs émoluments coupés de près de 500.000FCFA sur un mois, ce qui selon lui, va au-delà de la quotité cessible.
Pas de doute pour lui : il y a là, une volonté claire de faire tomber les magistrats dans l’indignité totale, pour ensuite tenter de reprendre la main.
Des accusations graves face auxquelles le gouvernement se défend, expliquant qu’il n’y a nullement aucune chasse aux sorcières contre quiconque, mais plutôt, une volonté de faire simplement appliquer et faire respecter la loi. L’un de ses avocats, Me Guy Hervé Kam, un ancien magistrat, dénonce pour sa part, une tentative d’instrumentalisation de la Justice par les magistrats eux-mêmes, aux fins dit-il, de règlements de comptes.
Et dire que la Transition avait elle-même revu le statut de la magistrature en 2015, en leur accordant des avantages importants sur le plan salarial, ainsi que d’autres avantages catégoriels importants en les faisant passer ainsi dans la
« catégorie P » de la fonction publique.
Ce statut, le top des tops au sein de la fonction publique au Burkina Faso, sera acté plus tard par le président Kaboré en personne, une fois installé dans le fauteuil présidentiel en 2016. Face à la polémique, ce dernier se défendra de n’avoir fait que donner suite à un dossier trouvé sur son bureau. Une explication cependant rejetée par de nombreux Burkinabè.
Car depuis lors, une cascade de revendications s’est emparée de l’espace public burkinabè. La fronde est menée par tous les autres corps de la fonction publique, qui réclament à leur tour, l’obtention d’un « statut particulier » ou à défaut, un statut à la hauteur de leurs attentes. Ce à quoi les autorités actuelles, prises à la gorge, ont accédé au cas par cas. Sauf que finalement, à vouloir satisfaire tout le monde, le pays se retrouve dans une situation compliquée avec des engagements financiers qui menacent sa propre stabilité et ses propres équilibres budgétaires.

Horizon sombre

Avec la crise de covid-19, la croissance nationale risque de chuter, selon des sources officielles, d’au moins 4 points en 2020. Une perspective peu réjouissante et qui fait craindre des lendemains incertains, dans un contexte social déjà marqué par un niveau important de pauvreté et de précarité.
En clair, en l’absence de perspectives économiques stables et faute d’industries capables de soutenir à court terme une relance et une productivité raisonnable, il sera difficile au gouvernement de tenir ses engagements, nous explique par ailleurs, un financier trésorier. Il confirme en outre, l’existence de tensions croissantes de trésorerie et dit s’inquiéter pour la suite.
Que faire dans ses conditions ? Remettre tous les salaires à plat et rediscuter de nouveaux barèmes pour les fonctionnaires ? Le dossier est déjà engagé et avance, selon des sources gouvernementales.

« In box », certains travailleurs applaudissent et demandent qu’il en soit ainsi. Sauf que les magistrats, eux, sentant le couperet directement dirigé contre eux, ont déjà fait savoir publiquement, leur opposition au ministre de Fonction publique. Or, comment remettre tout le monde autour de la table, si tout le monde n’est pas d’accord ? Une équation compliquée pour le gouvernement qui tente de la résoudre à sa manière.
En attendant, la machine juridictionnelle elle, est quasiment à l’arrêt depuis plusieurs semaines. Et c’est justement cela, l’objet de ces coupes de salaires, qui ont entrainé à leur tour les procédures ci-dessus évoquées.
Au niveau de la maison d’arrêt de correction de Ouagadougou, MACO, la situation est explosive, nous explique une source interne. Les décisions prises par le Président du Faso, dans le cadre de la lutte contre le covid-19, et dont certaines étaient relatives à l’élargissement de catégories spécifiques de détenus, est donc bloquée. Faute d’accord entre les parties concernées. Privant du même coup certains prisonniers d’une mesure dont ils attendent pourtant la mise en œuvre effective.

En effet, face à la fronde des magistrats qui sont en mouvement d’humeur, le gouvernement a visiblement tenté de contourner le blocage orchestré par leurs différents syndicats, dont les représentants n’ont donc pas été associés au processus d’élargissement desdits détenus, selon les explications qui résultent des différents recoupements que nous avons pu faire.
Bref, une belle cacophonie qui met l’Etat de droit dans une situation de conflit avec ses propres institutions. En témoigne cette passe d’armes inédite entre le ministre de la communication, porte-parole du gouvernement, et le Procureur du Faso près le TGI de Ouagadougou, à propos des brimades et des humiliations subies par certains citoyens et imputées à des éléments de forces de l’ordre, dans le cadre du respect des mesures de la surveillance du couvre-feu. A noter que celui-ci est désormais allégé et est passé depuis le 20 avril 2020, entre 21 heures et 4 heures du matin.
Il y a 5 ans, faut-il le rappeler, un forum national sur la Justice avait été organisé au Burkina Faso. Coût de l’opération, 300 millions FCFA au moins. Avec à la clé, des résolutions querellées de part et d’autre.

Juvénal Somé
Kaceto.net