Je me suis amusé à cartographier les univers sémantiques qui ont structuré les adresses (discours) à la nation du président Roch Marc Christian Kaboré (2015 – 2020).

J’ai d’abord analysé les cooccurrences des références signifiantes de ce corpus. Puis j’ai utilisé la puissance de « Modularity », l’algorithme de « clusterisation » de la plateforme GEPHI (Cluster : anglicisme qui signifie groupe, regroupement, ensemble) pour identifier les « communautés de sens » (ou « territoires sémantiques »).
Le graphe ci-après ainsi généré permet de visualiser les cinq univers sémantiques les plus structurants des adresses du président Roch Marc Christian Kaboré à la nation burkinabè depuis son investiture à la présidence de la République intervenue le 29 décembre 2015 (chaque cluster sémantique est identifié par une couleur spécifique sur le graphe) :
1. Un groupe sémantique constitué des références « peuple », « compatriotes, concitoyens », « Burkina Faso » et « patrie » (Cet ensemble capture en fait les expressions consacrées du type « Peuple du Burkina Faso, Chers compatriotes / Chers concitoyens, Chères concitoyennes ». Ce sont là des expressions relationnelles d’une parole d’adresse présidentielle. Tout le monde n’est pas légitime pour les prononcer avec solennité et efficace.
2. Un groupe sémantique constitué des références « burkinabè »,
« population », « nation », « état », « droit, justice », « institution »,
« démocratie », « liberté », « paix », « collectif, commun », « engagement » et
« renforcement ».
Ici, nous sommes au cœur des valeurs fondamentales qui doivent régir la vie de la Nation et des populations burkinabè. Valeurs qui doivent être renforcées et qui mobilisent l’engagement présidentiel.
3. Un groupe sémantique constitué des références « unité »,
« cohésion sociale », « national » (les adjectifs sont donnés sous leur forme non fléchie, canonique), « construction », « élaboration », « travaux », « dialogue »,
« politique ». Comme pour marquer l’importance de l’unité nationale, de la cohésion sociale et du dialogue politique.
4. Un groupe sémantique constitué des références à des enjeux économico-financiers (« économie », « finance », entreprise, industrie », « production »,
« développement ») ET sociaux (« social », « accès », « santé », « éducation » ;
« eau », « jeunesse » et « femmes »).
5. Last but not least, un groupe sémantique met en exergue le redoutable « défi sécuritaire » qui impacte le « monde agricole » en particulier. Défi sécuritaire qui met à l’épreuve du feu les « forces de défense et de sécurité » face aux « attaques terroristes » que connaît le pays depuis les attaques des hôtels Splendid, Yibi et du café restaurant Capuccino (15 janvier 2016. Soit, rappelons-le, moins d’un mois après l’investiture du président Roch Marc Christian Kaboré) et qui appelle des
« actions » de « solidarité ».

Cerise sur le gâteau

En jetant un coup d’œil sur l’utilisation des pronoms dans les adresses à la Nation du président Roch Marc Christian Kaboré, j’ai découvert que le « NOUS » (fréquence d’occurrence = 457) et le « JE » (fréquence d’occurrence = 323) étaient nettement dominants, avec donc une nette préférence pour le « NOUS ».
N.B. : « NOUS » et « JE » sont ici dénombrés avec leurs équivalents sémantiques respectifs (JE = je, j’, me, m’, mes, mon, ma, mien(s), mienne(s). NOUS = nous, notre, nos, nôtre, nôtres).
Il se trouve que le « JE » et le « NOUS » sont des pronoms qui impliquent le locuteur (le « NOUS » est une amplification, une dilatation du « JE »).
Il me semblait donc important d’inventorier les verbes dont les pronoms « JE » et « NOUS » sont les sujets ou les compléments afin de pouvoir, à partir de cet examen, déterminer comment ces pronoms concourent à construire l’éthos politique du président Kaboré dans ses adresses à la Nation burkinabè
(Par « éthos », entendons l’image que le locuteur veut donner à son public).
Selon les verbes dont les pronoms « NOUS » et « JE » sont les sujets ou les compléments, l’effet produit ne sera sans doute pas le même.
En appliquant les mêmes techniques d’analyse évoquées plus haut, j’ai généré ce graphe ci-après de l’univers verbal du président Roch Marc Christian Kaboré dans ces adresses à la Nation. Les verbes sont ici donnés sous leurs formes infinitives.

Que dit ce graphe ? Schématiquement cela donne :

JE (VOULOIR, souhaiter, exprimer, penser, adresser, renouveler, présenter, réaffirmer, remercier, saluer, inviter à, (s’)engager, veiller, rappeler…).
NOUS (DEVOIR, permettre, relever, combattre, mettre en œuvre, prendre, apporter, imposer, faire, consolider, mobiliser, faire face, défendre, garantir, continuer…)
Le « JE » accomplit donc essentiellement des « actes illocutionnaires » (Austin, 1962, Searle 1969), c’est-à-dire des actes de langage qui ne peuvent échouer, justement parce qu’ils sont inséparables du langage. Ces actes de langage du président Kaboré construisent un éthos politique volontariste, reconnaissant et compassionnel.
Quant au « NOUS » du président Kaboré, articulé principalement à la modalité du
« DEVOIR » (voir Greimas, 1976), il exprime une « prescription projectuelle d’action collective ». Schématiquement : « NOUS-DEVOIR-AGIR ». Il s’agit donc de donner l’image d’une personne dotée d’un grand sens des responsabilités et capable de projeter une action collective, ou tout au moins, de donner le sentiment d’associer à sa tâche présidentielle tous ses concitoyens.
Jean Caron (1983) disait que « parler c’est une certaine façon d’agir. Mais c’est une action en commun. L’énonciation s’adresse à quelqu’un, et ne prend véritablement son sens que si le partenaire est en mesure de le reconnaître. » Alors, ce « NOUS » kaboréen d’identification, d’unification, de totalisation politique atteint-il son objectif, son effet escompté ? En démocratie, la réponse à cette question appartient à l’opinion publique et au secret des urnes à l’aune des échéances électorales.

Références citées :
John Austin : How to do things with words, 1962.
John Searle : Speech acts, 1969.
Jean Caron : Les régulations du discours, 1983.
Greimas A. -J., 1976, « Pour une théorie des modalités », Langages, n°43, pp. 90-107.
N.B. : Une vingtaine de discours du président Roch Marc Christian Kaboré ont été analysés : cela va de son discours d’investiture du 29 décembre 2015 à son message à la Nation sur l’épidémie de la Covid-19 du 21 mars 2020.

Ousmane SAWADOGO, Consultant Text Mining, Text Analytics, Analyse sémantique – Kaceto.net.