La dent, actuellement entre les mains de la justice, avait été saisie chez la fille du policier belge Gérard Soete qui avait contribué à faire disparaître le corps de l’ancien Premier ministre congolais.

La Belgique, ex-puissance coloniale au Congo, va restituer à la famille de Patrice Lumumba une dent attribuée au leader congolais assassiné en 1961, comme elle le réclamait depuis plusieurs années.

Depuis Kinshasa, François Lumumba, l’un des fils du héros de l’indépendance, a salué « une nouvelle page qui s’ouvre dans l’histoire de nos deux peuples ». « C’est une grande victoire après 60 ans d’attente », a réagi de son côté sa fille Juliana, jointe par l’AFP. Elle avait adressé en juillet une lettre au roi des Belges Philippe pour réclamer « le juste retour des reliques de Patrice Emery Lumumba sur la terre de ses ancêtres ».

La dent, actuellement entre les mains de la justice, avait été saisie chez la fille du policier belge Gérard Soete qui avait contribué à faire disparaître le corps - jamais retrouvé - de l’ancien Premier ministre congolais. Cette dernière l’avait montré en 2016 à un journaliste flamand qui l’interviewait, ce qui avait poussé des proches de Lumumba à déposer plainte pour « recel ». Le dossier a ensuite été joint à l’enquête principale pour « crime de guerre » ouverte en 2011 à Bruxelles.

Ce jeudi 10 septembre, le parquet fédéral belge a annoncé que la dent allait être prochainement « restituée aux ayants-droit » de Patrice Lumumba. Il s’agira d’une restitution « symbolique » en l’absence de « certitude absolue » que cette dent lui ait appartenu, a précisé à l’AFP Eric Van Duyse, porte-parole du parquet. « Il n’y a pas eu d’analyse ADN sur la dent, cela l’aurait détruite », a-t-il expliqué. « Le procureur fédéral (Frédéric Van Leeuw) était favorable à la restitution, il fallait l’aval du juge d’instruction qui est intervenu en début de semaine », a souligné M. Van Duyse. Le 1er juillet, M. Van Leeuw avait jugé « tout à fait incroyable » qu’« une dent de Patrice Lumumba » ait pu être retrouvée en Belgique. En 2000, Gérard Soete —commissaire de la police belge— avait accepté de témoigner auprès de l’AFP de sa participation, quelque 40 ans plus tôt, à l’élimination du corps de Lumumba, assassiné avec deux de ses proches dans la province alors sécessionniste du Katanga, près d’Elisabethville (actuelle Lubumbashi, Sud).

« Trophées de chasse »

« En pleine nuit africaine, nous avons commencé par nous saouler pour avoir du courage. On a écartelé les corps. Le plus dur fut de les découper » avant de verser l’acide, avait expliqué l’octogénaire, depuis décédé. « Il n’en restait presque plus rien, seules quelques dents », avait ajouté Gérard Soete. Selon le sociologue belge Ludo De Witte, auteur d’un livre sur l’assassinat de Lumumba, Soete avait décidé de ramener avec lui en Belgique ces quelques reliques « comme des trophées de chasse ».

Intellectuel patriote devenu Premier ministre du Congo indépendant en juin 1960, renversé trois mois plus tard, Lumumba a été assassiné le 17 janvier 1961. Il était perçu comme prosoviétique par les Américains et avait été désavoué par les milieux d’affaires belges qui voyaient en lui une menace. Dans son livre paru en 1999, Ludo De Witte a tordu le cou à la version officielle du règlement de comptes entre Congolais et affirmé que la Belgique portait « la plus grande responsabilité » dans ce crime.

Cela avait entraîné la mise sur pied d’une commission d’enquête parlementaire qui avait conclu en 2001 à la « responsabilité morale » de la Belgique. L’année suivante le gouvernement belge avait présenté les « excuses » du pays. « Après les responsabilités morales, il faut des responsabilités juridiques et des réparations », a relevé jeudi Me Christophe Marchand, qui défend les enfants Lumumba depuis la plainte déposée en 2011 et espère un procès l’an prochain. Selon lui, « la justice belge est très en retard » pour éclaircir ces responsabilités.

Mais la restitution de la dent prouve qu’elle « prend les choses au sérieux » et qu’« enfin le dossier de la décolonisation est devenue prioritaire à ses yeux », a poursuivi l’avocat. Ce geste intervient alors que le débat sur le passé colonial belge a été ravivé dans le sillage de la mobilisation antiraciste ayant suivi la mort de George Floyd, un homme noir, étouffé par un policier blanc, fin mai aux États-Unis. Le 30 juin, jour des 60 ans de l’indépendance, le roi des Belges Philippe avait présenté, dans une lettre au président congolais Félix Tshisekedi, « ses plus profonds regrets pour les blessures », « souffrances » et « humiliations » infligées aux Congolais lors de la période coloniale (1885-1960), une première historique.

Le Figaro avec AFP