Le scrutin du 22 novembre 2020 marquera de façon indélébile l’histoire politique du Burkina Faso en portant pour la première fois à la magistrature suprême un Président civil à la place d’un civil même si le sortant s’est succédé à lui-même. Au-delà de cet aspect, il a également provoqué un grand chambardement dans le paysage politique national caractérisé par un renforcement de la majorité présidentielle et une véritable déculottée au sein des partis d’opposition qui ne s’en remettront pas de sitôt.

La défaite étant habituellement orpheline, aucun leader de l’opposition n’a voulu assumer une quelconque responsabilité. Après avoir crié à la fraude sans jamais la prouver à l’instar de Donald TRUMP, le bouc émissaire tout trouvé a été la CENI qui, il faut l’admettre, a brillé incontestablement dans l’organisation du processus électoral par ses nombreux dysfonctionnements censés profiter à la majorité, selon les leaders de l’opposition. Quelles leçons retenir de cette double confrontation ?
Comme un couperet, le résultat de l’élection présidentielle du 22 novembre 2020, est tombé annonçant la réélection du président sortant Roch Marc Christian KABORE dès le premier tour avec un score beaucoup plus confortable qu’en 2015. Naturellement, cette proclamation a eu pour corollaire les scènes habituelles de joie et de douleur selon les camps. Pour les observateurs avisés, cette victoire n’a surpris que ceux qui n’ont jamais voulu y croire pour des raisons manifestement équivoques. A la vérité, beaucoup plus que la prime au sortant, la justification du succès se trouve en grande partie dans la minutie avec laquelle la campagne du candidat Roch Marc Christian KABORE a été préparée. Ainsi, on a pu noter en amont un renforcement de la cohésion au sein de son parti le MPP, grâce à une éradication ferme des tendances centrifuges qui le minaient, mais aussi la fédération de tous les partis de la majorité autour de la candidature. Les Burkinabè ont aussi assisté avec surprise pour certains, à des échanges d’amabilités entre le président du parti Simon COMPAORE et Alassane Balla SAKANDE le chef du parlement burkinabè alors que « le tout Ouaga » bruissait de rumeurs faisant état d’un désamour entre les deux hommes. Il nous revient que même à la finalisation des listes du parti pour les élections législatives, le président KABORE a réaffirmé son leadership pour imposer face à la pléthore de postulants, une certaine discipline. Le MPP aurait pu améliorer son résultat aux législatives si la même démarche avait été observée par les leaders régionaux et provinciaux. A tout cela, il faut ajouter l’appareil dont dispose le parti présidentiel, son maillage réel du territoire national mais aussi le gigantisme de ses moyens pour comprendre cette victoire sans appel .

Aller-retours au bord de la lagune Ebrié

Du côté des partis challengers comme le CDP et l’UPC, la période préélectorale a été rythmée d’incessantes dissensions qui se sont soldées par d’importantes hémorragies de cadres vers d’autres horizons politiques. Les longues batailles judiciaires engagées par Eddie KOMBOIGO pour s’assurer le contrôle du CDP ponctuées d’aller-retours au bord de la lagune Ebrié pour obtenir l’onction du père fondateur ou requérir son avis sur tel ou tel sujet, objet de discorde, resteront longtemps gravés dans les mémoires des observateurs et les occulter relèvera incontestablement de la cécité politique. Le CDP combien de scissions ? Sommes-nous tentés de dire. La tendance KDO, la tendance Mahamadi KOUANDA, la tendance Ali Badara OUEDRAOGO, la tendance Zembendé SAWADOGO, la tendance Jérôme ZOMA et que sait -on encore ? La nature ayant horreur du vide, l’absence du CDP du terrain après l’insurrection a bien profité à certaines formations. Même s’il est excessif de dire que Eddie KOMBOIGO a conduit sa bataille avec les reliques de ce que fut le CDP, avouons que le résultat obtenu au terme du scrutin est plutôt honorable dans son cas. Ce qui n’enlève rien à la légitimité de sa frustration au regard des sacrifices personnels consentis sur les plans humain, matériel, financier moral et psychologique. De l’accession à Kosyam, Eddie KOMBOIGO en avait toujours rêvé « en se rasant le matin » comme dirait l’autre, depuis la chute de Blaise COMAPORE. A ce sujet, certains lui avaient reproché un manque d’empathie à l’endroit des camarades victimes de la pyromanie des insurgés parce qu’il pensait déjà à la présidentielle au moment où la priorité devait être accordée à la solidarité à l’endroit desdits camarades.
Du côté du parti du lion, Zéphirin DIABRE a également connu des vertes et des pas mûres, à commencer par la fronde de 13 députés UPC entrés en dissidence depuis 2018 avec à leur tête l’honorable Daouda SIMBORO. Passé le cap de la constitution d’un 6e groupe parlementaire dénommé « Groupe parlementaire UPC-GD »,
puis « Groupe parlementaire GD » à la suite d’un procès en justice, les mêmes parlementaires ont franchi le rubicond en démissionnant pour porter sur les fonts baptismaux le MBF. Cette situation ne lui a pas permis de voir venir à la veille des dernières échéances électorale, le véritable coup de massue administré à son parti avec la démission de plusieurs cadres UPC dont Nathanaël OUEDRAOGO et le Pouê Naaba, provocant un psychodrame. Pour se remettre d’un tel uppercut décoché à la veille du scrutin et parvenir au score qui a été le sien, il faut avoir le cuir épais et monsieur DIABRE n’en manque pas indubitablement. Du reste, pour spéculer, on dira même que l’absence d’un candidat du CDP à la présidentielle de 2015 lui avait profité en ce sens que si l’on ajoute au 12,49%, le pourcentage réalisé par le candidat Eddie KOMBOIGO (15,87%), on approche les 29,65% qu’il avait obtenus.

La bérézina de Yacouba Isaak ZIDA

Considérés comme outsiders de la présidentielle par de nombreux observateurs, les anciens premiers ministres Kadré Désiré OUEDRAOGO et Yacouba Isaak ZIDA, n’ont nullement bousculé l’ordre politique national. Pis : ils ont offert une énorme déception au regard de leurs contre-performances respectives. En effet, avec 3,36% pour le premier et 1,52% pour le second, les rêves des deux (2) hommes politiques ont viré au cauchemar et pourraient même s’arrêter là pour le candidat par contumace du MPS, un parti qui n’a obtenu aucun siège à l’assemblée nationale. L’un et l’autre ont connu des fortunes différentes en ce sens que contrairement à Yacouba Isaak ZIDA reclus dans son exil canadien et obligé de distiller ses diables par le biais des réseaux sociaux, l’ancien premier ministre et ancien président de la commission de la CEDEAO a pu s’investir personnellement dans la campagne. Il l’a fait avec son mouvement « Agir Ensemble » créé in fine avec des transfuges du CDP à l’issue de son échec à s’adjuger l’investiture dudit parti. De façon plus ou moins condescendante, chacun se présentait en recours pour la nation en croyant fortement à son étoile à l’instar de leurs partisans. A L’épreuve des urnes, ils ont pu mesurer ce qu’il en était réellement et qu’il fallait plus que de belles postures et paroles. Avec la bérézina qu’il a essuyée, Yacouba Isaak ZIDA est quasiment occis. Or, il pensait avec un bon score, être adoubé par le scrutin et s’en servir comme moyen de pression dans la négociation de son retour. Selon le mot de PEGUY, « tout parti vit de sa mystique et meurt de sa politique. » Plus personne ne croira à la thèse de l’opposant redouté que l’on veut confiner à l’exil. Désormais, il ne pourra que compter sur la magnanimité du Président KABORE pour son retour négocié dans le cadre de la réconciliation nationale appelée à cor et à cri.
A ces candidats sur lesquels misaient les parieurs, venaient s’ajouter deux briscards du lanterneau politique burkinabè que sont Gilbert Noel OUEDRAOGO de l’ADF/RDA et Ablassé OUEDRAOGO du Faso Autrement. A ce propos, si le premier peut se consoler d’avoir au moins trois (3) députés dans la future Assemblée Nationale, ce n’est pas le cas du dernier qui n’a eu qu’un siège dans l’escarcelle de son parti et qui devrait broyer véritablement du noir. Mais l’homme ne manque pas d’aplomb et de sa part, une mue dans les semaines ou mois à venir pour assurer sa survie politique ne constituera pas une surprise.

Galops d’essai de blancs-becs

En dehors de M. Tahirou BARRY, candidat du MCR qui a été manifestement grisé par sa troisième place à la présidentielle de 2015 pour croire dur comme fer à ses chances, les cinq (5) autres candidats n’étaient que des blancs-becs effectuant leurs galops d’essais. La réalité du terrain a dû leur signifier combien la compétition électorale requérait beaucoup plus que du bagout et de la vision pour être aux premières loges. Incontestablement, il faut disposer d’un appareil politique important assurant le maillage du territoire mais aussi quoiqu’on dise, des moyens logistiques et financiers considérables. L’élection présidentielle n’est pas une soutenance à l’issue de laquelle un jury attribue des notes suivant les mérites. Elle ne se gagne pas non plus sur un coup de dé. Si le cas MACRON fait des émules, que l’on se ravise qu’il n’a pas remporté l’élection à pile ou face. Sa victoire est l’aboutissement d’un processus aussi bref soit-il. C’est dire qu’il y a de réels investissements multiformes à faire en amont par le candidat qui a rendez-vous avec l’électorat. Il doit forcément avoir une base électorale élargie par son travail de terrain et quoi qu’on dise, le poids de l’argent sera dans la balance, encore considérable pendant longtemps à commencer par la logistique pour rallier les électeurs. En 1990 Satanislaw Timinski (un candidat quasi-inconnu débarqué des USA avec de gros moyens financiers) a évité aux polonais un duel fratricide entre Lech Walesa et Tadeusz Mazowiecki arrivé finalement troisième dans la compétition alors que le premier remportait la compétition. L’illustration la plus récente du poids de l’argent dans une campagne électorale, c’est l’élection de Donald TRUMP en 2016. La théorie d’achat des électeurs est à relativiser parce que ces derniers estiment de leur côté que le candidat déjà nanti est le plus à même de répondre à leurs attentes sociales alors que le démuni serait tenté de se servir d’abord. A l’ouverture officielle de la récente campagne, certains candidats ont démarré difficilement la leur en raison du retard accusé dans le déblocage de la subvention publique. Dans de nombreux cas, l’option de la campagne dite de proximité a été un paravent destiné à masquer les difficultés d’intendance. Clausewitz disait que « pour concevoir un plan de bataille, il faut avoir deux choses en tête : la configuration du terrain et le but de la guerre. »
C’est dire que pour surmonter ces contraintes inéluctables, l’opposition aurait dû fédérer ses efforts dès le premier tour. Elle n’a pas su le faire et certains ont brouillé carrément les cartes en allant soutenir un candidat adverse au lancement de sa campagne. Par ailleurs, faire de la question sécuritaire un fonds de commerce dans la campagne, a été une erreur monumentale pour l’opposition dont les solutions proposées étaient à l’orthogonale des attentes des populations victimes à l’analyse de leurs suffrages.
En tout état de cause, si les puceaux de la politique burkinabè veulent avoir un avenir en politique, ils ne devraient plus abandonner l’arène en sollicitant le suffrage des électeurs même dans les élections de proximité comme l’avait fait l’actuel Chef de l’Etat. En effet par humilité et surtout considération pour les mandats électifs, Roch Marc Christian KABORE alors premier ministre, s’était fait élire conseiller municipal dans l’arrondissement de Bogodogo en 1995. C’est de cette façon qu’on construit une base. L’occupation des plateaux télé pour des prestations crevant l’audimat n’est pas un indicateur sûr de popularité politique.

Retour à la raison après les menaces

Comme autre enseignement, les élections législatives du 22 novembre 2020 ont désigné comme troisième force politique avec 13 députés, le NTD qui est de la majorité présidentielle. Logiquement, son leader Vincent DABILGOU devait être l’arbitre d’un second tour d’une présidentielle à laquelle il aurait compéti, donc très courtisé des finalistes. Avec « le faiseur de roi » dans son alliance, le candidat RMCK était en pole position avant même le top départ.
Au regard du contexte de crise terroriste que vit le pays, les réalisations faites sous le premier quinquennat du président KABORE relèvent de l’exploit aux yeux des populations auprès desquelles, il a conforté son image d’homme de paix en acceptant les préalables posés par l’opposition comme l’audit international du fichier électoral et la réalisation d’un consensus au niveau de la classe politique sur la question des zones sous menace . C’est donc naturellement que tous les observateurs aussi bien nationaux qu’étrangers ont salué à l’unanimité le bon déroulement du processus électoral. Curieusement, c’est le moment choisi par l’opposition pour réitérer sa menace de ne pas reconnaître les résultats, déjà proférées pendant la campagne avec l’exigence d’un second tour comme si les électeurs ne pouvaient pas en décider autrement. Des fraudes massives, on a fini par s’accrocher aux dysfonctionnements notés dans l’organisation du processus. Pour une fois, le démenti le plus cinglant est venu des résultats du scrutin législatif indiquant le bon score de chacun des leaders dans son fief.
La raison a fini par l’emporter à la satisfaction des populations qui exprimaient par endroit leur refus de suivre des hommes politiques dans une aventure qui viendrait compliquer une situation déjà difficile avec la crise sécuritaire.
Aujourd’hui, la maturité de la classe politique burkinabè est unanimement saluée à travers le monde entier. Au même moment, l’opposition déjà dynamitée par le scrutin du 22 novembre continue de s’émietter. Sa reconstruction nécessitera un long temps pour le dégagement des gravats.

Edgar SANOU
Kaceto.net