A l’appel du Mouvement U Gulmu Fi, des milliers de manifestants ont battu le pavé samedi 24 avril dans les artères de Fada N’Gourma pour exprimer pacifiquement leur colère et revendiquer la prise en compte de leurs préoccupations.

La cause est noble, trans partisane, donc rassembleuse de toutes les sensibilités de la région, et Dieu seul s’il y en a à l’Est ! Venus de toutes les provinces (Tapoa, Kombienga, Komandjari, Gnagna, Gourma) et même de pays étrangers, les filles et fils de la région de l’Est ont répondu massivement présents à l’appel du "Mouvement U Gulmu Fi", littéralement, "le Gulmu s’est levé" par un grand rassemblement le 24 avril pour interpeller les autorités sur les préoccupations qui sont les leurs. La Place des martyrs, lieu symbolique des grands rassemblements socio-politiques, était trop étroite pour contenir les manifestants. Personne n’a voulu se faire conter l’événement, minutieusement préparé depuis des mois par plusieurs associations de la société civile qui ont su taire leurs querelles domestiques pour une cause qui transcende chacune.

Il y a aura sans doute un avant et un après 24 avril dans la recherche de solutions aux multiples préoccupations des ressortissants de l’Est. Il s’agit entre autres, de ce qu’ils qualifient de "délaissement du CHR "de Fada Ngourma, chef-lieu de la région, l’insécurité qui les frappe depuis plusieurs années et qui a pris une autre tournure depuis que des groupes terroristes associés aux bandits de grand chemin ont pris Fada et les villes environnantes en étau, l’enclavement de la région pourtant carrefour d’un trafic routier international venant du Bénin, du Togo et du Niger et l’exploitation de la mine de phosphate dans la province de la Tapoa.
Dans son discours, le coordonnateur du Mouvement, Emmanuel Ouoba, professeur au lycée communal de Fada a d’abord rappelé que U Gulmu Fi est apolitique et a-partisan. Le seul souci de ses animateurs étant de plaider la cause de la région. "Aujourd’hui, le soleil s’est levé à l’Est" a t-il lancé avant de décliner les préoccupations troublent le sommeil des habitants de l’Est.

Sécurité

A commencer par l’insécurité. D’abord confrontée au grand banditisme depuis les années 2000, l’Est est aujourd’hui l’une des régions les plus frappées par les attaques terroristes. Plusieurs villes et communes sont prises en otage par des groupes terroristes qui sèment le chaos, poussant des milliers d’habitants à fuir leur domicile pour trouver refuge à Fada et dans ses banlieues.
Malgré l’opération Otapuanu (foudre de feu) lancée en mars 2019 et qui, selon le chef d’Etat major général des armées, le Général Moïse Minoungou, a été "un succès", plusieurs terroristes ayant été neutralisés et une centaine capturés, la région de l’Est souffre toujours d’une insécurité qui mine son développement. "Des gens sont obligés de quitter le pays pour revenir rentrer dans le pays. Ce n’est pas normal et c’est très vilain », a déclaré Emmanuel Ouoba, allusion par exemple aux longs détours par le Togo que font les usagers de la route pour se mettre à l’abri des actes d’insécurité. Le tourisme faunique, qui était une composante de l’économie de la région, est depuis lors à l’arrêt. Instauré depuis mars 2019 pour faire à l’insécurité, le couvre-feu est toujours en vigueur dans la région.

CHR

Autre gros souci des filles et fils de la région, l’état du Centre hospitalier régional (CHR), "vétuste, dépassé, en manque de matériels et de ressources humaines", selon ses mots d coordonnateur du Mouvement. Récemment, le maire de la commune de Fada, Jean-Claude Louari, s’était indigné que le seul chirurgien en poste au CHR ait bénéficié d’une autorisation d’absence sans remplaçant, laissant les malades, particulièrement les accidentés, à leur triste sors. Mais selon Emmanuel Ouoba, qui a conduit une délégation venue rencontrer le président du Faso Roch Kaboré à quelques heures de la manifestation, le ministre de la Santé devrait effectuer dans les jours à venir une visite au CHR afin de mieux apprécier la situation et évaluer les besoins aussi bien en équipements qu’en ressources humaines. Selon nos informations, le gouvernement a obtenu le soutien financier d’un pays européen pour réhabiliter l’infrastructure sanitaire du chef lieu de la région de l’Est.

Usine phosphate

Le sujet qui alimente la polémique depuis des mois particulièrement sur les réseaux sociaux et qui s’est de toute évidence invité à la marche porte sur la construction d’une usine d’exploitation du phosphate de Kodjari, dans la Tapoa. Avec des réserves en phosphates estimées entre 200 millions de tonnes dont 100 millions de tonnes à Kodjari où seulement 56 000 tonnes sont exploitées depuis 1978, soit 1% des réserves, il serait question, dans un souci de mieux rentabiliser cette matière première, d’installer une usine d’exploitation à Bobo-Dioulasso et à Koupéla. Pas question de déshabiller Pierre, déjà mal équipé, pour habiller Paul, crient les Fadalais. Le coordonnateur du Mouvement souhaite que les investissements liés à l’exploitation du phosphate profitent aux filles et fils de la région en termes d’emplois.

Infrastructures routières

Evidemment, les questions liées aux infrastructures routières ont occupé une place de choix dans le discours du coordonnateur Ouoba. "Dans tous les sens, le réseau routier est quasi inexistant" a t-il déclaré. L’état dans lequel se trouve le tronçon Gounghin-Fada, long de 51 km, cristallise à lui seul la colère des ressortissants de l’Est. Au départ de Ouaga en car, tout va bien jusqu’à Gounghin, à la sortie de Koupéla. Puis le calvaire commence. Pour deux heurs !
Dès que le conducteur du car quitte le "bon goudron", beaucoup de passagers sortent leur chapelet. Au fil du temps, les nombreuses rustines posées sur la voie ont fini par céder. Il faut affronter une succession de secousses plus ou moins violentes selon la taille et la profondeur des "nids d’autruche" qui parsèment le parcours jusqu’à l’entrée de la ville. Les nombreuses annonces, sans suite, faites par le gouvernement sur l’imminence des travaux de réfection de cette voie ont créé un sentiment de frustration et d’abandon des filles et fils de l’Est que le Mouvement U Gulmu Fi a su capitaliser.
Satisfait de la forte mobilisation, Emmanuel Ouoba a appelé ses frères et sœurs à rester mobilisés pour la suite à donner à ce mouvement citoyen dans le respect des principes et règles de la république.

Georges Diao
Kaceto.net