Le ministre de l’Education nationale, Stanislas Ouaro, a opposé, dans une récente interview à la télévision nationale, une fin de non-recevoir aux revendications des associations scolaires inquiètes des réformes en cours. Notre chroniqueur, Denis Dambré, qui est également professionnel de l’éducation, interroge dans cet article le fond de la réforme. Il estime par ailleurs que l’écoute de la jeunesse par le ministre en charge de leur éducation est essentielle dans une démocratie. Même si écouter ne signifie pas forcément céder.

Déplorant le décès de l’élève Cécile Kinda lors de la manifestation nationale des élèves, le ministre de l’Education nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues nationales (MENAPLN), Stanislas Ouaro, est revenu, dans une récente interview à la télévision nationale, sur le bien-fondé des réformes engagées.
Avec son collègue en charge de l’Enseignement Supérieur, Alkassoum Maïga, il avait déjà expliqué, le 18 mars 2021 face à la presse, ces mêmes réformes qui, disait-il, visent à respecter les critères de convergence avec les autres pays de l’UEMOA et n’altèrent nullement la valeur des diplômes.
De leur côté, les associations scolaires s’opposent à la suppression, à compter de 2022, des sujets au choix dans certaines disciplines (science de la vie et de la terre, histoire-géographie) et du second tour du brevet et du baccalauréat. Elles craignent également que, le ministère de l’Education nationale étant appelé à prendre en charge l’organisation du baccalauréat en lieu et place de celui de l’Enseignement supérieur, la réforme aboutisse à une perte de valeur du diplôme, considéré jusque-là comme le premier diplôme universitaire, et à l’instauration de tests post-bac pour l’entrée à l’université.
On sait que les réformes ne sont jamais faciles à conduire dans l’Education nationale où, plus qu’ailleurs, les avis affichent souvent des divergences importantes. On ne peut donc que témoigner de l’admiration au ministre de l’Education nationale pour son courage en ces moments difficiles. Néanmoins, le fond de la réforme mérite d’être interrogé tout comme la posture ministérielle vis-à-vis des élèves qui manifestent.

Qu’en est-il du fond de la réforme ?

La suppression annoncée des sujets au choix et du second tour du brevet et du baccalauréat est-elle en soi une bonne mesure ? Favorable à la facilitation de la circulation des étudiants au sein de l’UEMOA, je ne puis, à titre personnel, que soutenir l’idée d’une convergence des critères entre les pays de l’Union. Si, bien sûr, c’est cette convergence qui justifie la mesure prévue par la réforme ! Car le Burkina Faso ne peut pas faire cavalier seul en matière d’éducation sans porter préjudice à sa jeunesse.
Mais, dans ce cas, il me semble que la mesure mériterait tout de même d’être rediscutée entre les pays de l’UEMOA. Car elle instaure des évaluations-couperets peu favorables à la reconnaissance des vrais talents des élèves. On sait par exemple que, bien que compétents, certains élèves sont tellement stressés par les examens qu’ils perdent leurs moyens le jour J. Si aucun rattrapage n’est possible pour eux dans le cadre d’un second tour, certains seront déclarés non admis alors même que ce ne sont pas leurs compétences qui sont en cause, mais leur état de stress.
D’autant que, contrairement à ce qui se passe dans certains pays développés, les élèves burbinabé ne sont pas entraînés à gérer leur stress lors des examens. Alors que la pression familiale, l’ambiance de compétition instaurée par le système éducatif et, parfois aussi, les remarques dévalorisantes entendues durant leur parcours de la part de certains professionnels (exemples : « Tu n’aboutiras à rien ! », « L’échec est garanti pour toi ! »...) conduisent une partie des élèves à perdre confiance en eux le jour des examens.
Il en est de même de la suppression en vue des sujets au choix. Le système éducatif français dont nous avons hérité met un peu trop en avant les évaluations-couperets. En clair, de nombreux points du programme sont traités durant l’année, mais on n’en retient qu’un à l’examen pour demander aux candidats de montrer qu’ils le maîtrisent bien. Et celui qui ne maîtrise pas ce point précis du programme jusque dans les moindres détails, même s’il est par ailleurs excellent sur tout le reste, sera déclaré non admis avec toute la déconsidération sociale qui s’en suit.
Dans d’autres systèmes éducatifs, de nombreux points du programme sont également étudiés durant l’année. Mais, à l’examen, on pose à l’élève de petites questions portant sur tout le programme. Un de mes proches qui a étudié aux Etats-Unis m’expliquait cette différence qu’il y a constatée. Certes, cette forme d’évaluation ne mesure pas des connaissances très approfondies. Mais elle permet au moins de balayer tout le programme de l’année et d’être plus juste dans la reconnaissance des acquis des élèves.
Car, comme l’écrit avec raison le sociologue François Dubet dans L’école des chances : qu’est-ce qu’une école juste ? (Editions du Seuil, 2004, p. 32) : « La mesure du mérite scolaire reste un exercice incertain, construit : elle n’a pas la précision du chronomètre électronique qui désigne le vainqueur d’un 100 mètres. Si les meilleurs et les moins bons des élèves peuvent être distingués de façon peu discutable, les différences plus fines, celles qui condamnent parfois à l’enfer de l’échec ou au paradis du succès, relèvent autant du jugement et de la croyance que d’une science exacte. Cependant, les doutes de la docimologie affectent bien peu le monde de l’école : le mérite est une croyance d’autant plus solide que les enseignants, anciens bons élèves souvent, en ont été les bénéficiaires ; comment ne pas croire à l’objectivité du concours [ou de l’examen] qui m’a fait ce que je suis ? »
Il est d’ailleurs à parier que la nouvelle modalité d’évaluation qui supprime les épreuves du second tour et les sujets au choix accentuera l’inégalité de réussite entre les élèves issus des familles défavorisées et ceux issus des milieux plus bourgeois. Car ces derniers ont une longueur d’avance sur les autres dans la familiarité avec le système éducatif et s’en tireront mieux lors des examens. Quant aux enfants des familles plus bourgeoises, ils réussiront mieux et croiront à juste titre à leur seul mérite scolaire dans un système éducatif qui, avec les meilleures intentions du monde, les aura privilégiés au détriment des autres.
Comme l’écrit encore François Dubet ((ibidem, p. 31) : « Croire au mérite quand on y triomphe permet de se défaire de la vague culpabilité attachée parfois aux héritages si manifestement injustes dans une société démocratique où les individus doivent être le produit de leurs propres œuvres. »
Lorsqu’on tient à une certaine justice scolaire, on ne peut pas se satisfaire de ce système qui favorise les uns au détriment des autres et aboutit à la reproduction sociale des élites. Pour rappel, dans un Etat démocratique, le riche comme le pauvre doivent avoir un droit égal d’accès à l’université et, plus tard, à toutes les fonctions, y compris les plus hautes de l’Etat.

Et l’apprentissage de la démocratie, Monsieur le ministre ?

Le courage du ministre de l’Education nationale est à saluer, comme je l’ai déjà souligné. Mais un passage de son interview télévisée m’a un peu gêné. Je le cite : « Il y a des réformes qui ont été engagées en tenant compte d’un certain nombre de réalités et ces réformes ont été réfléchies, mûries, discutées amendées et proposées par nos encadreurs pédagogiques et nos enseignants sur le terrain. Donc il n’est pas possible qu’on se retrouve à discuter avec des élèves sur la façon dont ils doivent être évalués, appréciés et tout. Il appartient à ce corps de pouvoir faire ce travail et ce travail a été fait ; maintenant, notre rôle est de sensibiliser davantage sur le bien-fondé de ces réformes. »
Je dis massivement oui au ministre de l’Education nationale sur sa volonté de sensibiliser davantage sur le bien-fondé des réformes engagées. Je comprends également et soutiens sa démarche d’avoir associé les professionnels experts à la réflexion sur les réformes. Mais je pense que son propos sur les élèves est pour le moins maladroit lorsqu’il affirme : « il n’est pas possible qu’on se retrouve à discuter avec des élèves sur la façon dont ils doivent être évalués, appréciés et tout. »
En effet, on n’apprend pas la démocratie à la jeunesse en lui fermant la porte de la discussion sur des réformes qui la concernent directement. Quelle image avons-nous de notre jeunesse si nous considérons d’emblée qu’elle peut bien manifester autant qu’elle veut, mais qu’elle n’a pas droit à la parole et à l’échange avec le ministre dans cette réforme qui concerne son avenir ? Soyons plutôt fiers et ravis de savoir qu’elle s’intéresse aux débats sur l’école, qu’elle veut y prendre part et qu’elle tient à se faire entendre. L’écouter ne signifie pas forcément céder à toutes ses revendications. Il s’agit de lui montrer qu’on l’entend bien, qu’on la comprend même et qu’on accepte qu’elle prenne part aux discussions la concernant. Car c’est cela, l’apprentissage de la démocratie.
N’oublions pas non que l’auto-évaluation est encouragée en pédagogie pour impliquer l’élève et le motiver en lui donnant une part de contrôle sur le processus d’apprentissage dans lequel il est engagé. Dans les universités américaines, par exemple, la pratique de l’évaluation des enseignants par leurs étudiants est répandue et conduit aussi les professeurs à s’améliorer dans leur pratique professionnelle.
Le regretté philosophe et académicien français Michel Serres, qui fut pendant quarante ans Professeur à Sandford University, écrivait en 2012 dans Petite poucette (Editions Le Pommier, 2012, p. 51) cette critique du système éducatif français (et francophone !) dans lequel l’idée que les élèves puissent noter leurs enseignants, voire simplement avoir droit à la parole pour dire ce qu’ils pensent, allume des querelles inutiles : « Voilà quarante ans que les étudiants me notent dans d’autres universités. Je ne m’en porte pas mal. Pourquoi ? Parce que, même sans loi, ceux qui assistent à un cours évaluent toujours le professeur. Il y avait beaucoup de monde dans l’amphi ; plus que trois ou quatre étudiants ce matin : sanction par le nombre. Ou par l’attention : écoute ou chahut. Cause de soi, l’éloquence prend sa source dans le silence de l’auditoire, lui-même né de l’éloquence. Mieux, toujours tout le monde supporte une note : l’amoureux, de l’amante silencieuse ; le fournisseur, aux grands cris de ses clients ; les médias, de l’Audimat ; le médecin, par l’afflux de ses patients ; l’élu, par la sanction des votants. »
Rejeter toute discussion avec les élèves sur leur évaluation – comme l’a fait le ministre Ouaro (je suis d’autant plus navré de le dire que je le trouve plutôt courageux) – nous renvoie à l’école d’antan où le maître était celui qui sait et l’élève la bouteille vide à remplir de connaissance. Oublions ce temps et passons à autre chose. D’autant que le ministre, à travers ces réformes, affiche aussi son ambition d’ajuster notre système à l’état actuel des recherches en sciences de l’éducation. Les enfants sont des apprentis citoyens. Apprenons-leur la démocratie en leur donnant la parole, en les écoutant et en leur expliquant le cas échéant pourquoi il n’est pas possible d’accéder à telle ou telle de leurs demandes.

Denis Dambré
Proviseur de lycée (France)
Kaceto.net