Les vendeurs de faux médicaments qui sillonnent nos villages sont de véritables marchands de mort. Exploitant la crédulité des gens, ils font croire qu’ils dispensent des remèdes à tous les maux ou qu’ils détiennent des secrets de jouvence, alors qu’ils font commerce de drogues qui tuent à petit feu. Denis Dambré livre un témoignage édifiant.

Je me souviens d’une histoire désolante qui s’est produite dans mon village il y a quelques années et qui mérite d’être portée à la connaissance de tous dans un souci de prévention :

Lors d’une conversation à bâtons rompus avec des parents, j’entends l’expression
« Pog-yãas tãod balle » (Les vieilles femmes jouent au football). Le contexte dans lequel cette expression est employée aiguise ma curiosité. Car, manifestement, il s’agit d’une périphrase pour désigner un produit qu’on ingère et qui rend dynamique. Je veux en savoir davantage. Mes interlocuteurs, en toute bonne foi, me racontent.

Régulièrement, de prétendus vendeurs de médicaments faisaient le tour des maisons du village pour vendre des produits soi-disant pharmaceutiques. Et l’un de leurs produits-phares s’appelait « Pog-yãas tãod balle » (Les vieilles femmes jouent au football). Car le vendeur avait assuré les gens qu’il s’agissait d’un médicament qui guérit toutes sortes de maux, y compris les courbatures liées à la vieillesse. En un mot, un produit miracle qui rend aux grands-mères l’énergie de leur jeunesse.

Certaines personnes âgées s’en procurèrent pour tester. Ils en furent convaincus et enchantés. De leur aveu, lorsqu’ils prenaient ce « médicament », ils se sentaient très bien, n’éprouvaient aucune fatigue au champ et oubliaient leurs petits soucis du quotidien. Le fameux médicament méritait donc bien son nom, car il pouvait effectivement transformer une grand-mère en joueuse de football.

Je fus profondément consterné par cette histoire. En effet, je découvrais avec stupéfaction que la consommation de drogue ne concernait pas seulement de jeunes citadins en mal de divertissement. Elle touchait sournoisement aussi nos villages sur fond d’exploitation immorale des problèmes de santé des gens et de leur crédulité.

L’histoire que je relate ici date déjà de plus de dix ans. Mais je la porte encore au fond de moi avec toute l’indignation qu’elle suscite. J’usai de tout ce que je pouvais avoir comme force de persuasion pour faire comprendre aux personnes présentes qu’il ne fallait surtout pas considérer ces produits vendus à la sauvette comme des médicaments. Car c’était de la drogue qui tue à petit feu. Un vrai médicament s’achète en pharmacie.

Mon indignation sincère les amena à m’accorder leur confiance. J’eus le sentiment que le message était passé. La suite de la conversation fut consacrée à quelques railleries sur le nom du produit : « Pog-yãas tãod balle » (Les vieilles femmes jouent au football) ! On s’amusa à imaginer telle ou telle de nos mères et grands-mères du village jouant au football. Et pourquoi pas en sélection nationale pour la Coupe d’Afrique des Nations ?

Mais l’histoire ne s’arrêta pas là. En effet, peu de temps après cet échange, alors que j’étais reparti du village, une triste nouvelle me parvint : un de mes cousins était décédé. Personne ne lui avait connu de maladie auparavant. C’était plutôt un homme solide et travailleur dont tout le village admirait le courage et l’efficacité.

Tous les ans, ses greniers comptaient au nombre des plus grands. Ses enfants étaient encore jeunes, de sorte qu’il cultivait ses champs avec sa femme. Mais il abattait journellement le travail de deux ou trois personnes. Présent dans son exploitation le matin avant le lever du jour, il ne la quittait jamais avant les autres le soir. Et tout le monde se demandait d’où il tenait cette force hors du commun. Jusqu’au jour où il ne se réveilla pas le matin.

Il s’était couché le soir après le repas. Puis, le lendemain matin, sa femme avait cru qu’il était parti travailler au champ. Elle ne s’était donc pas inquiétée. Mais, alors qu’elle préparait le repas pour le rejoindre, elle aperçut sa bicyclette sous le hangar devant sa case. Elle en fut étonnée. Un mauvais pressentiment lui traversa l’esprit. Elle essaya de se raccrocher au fait qu’il était peut-être malade. Ou qu’il avait tout simplement un peu trop dormi pour une fois.

Elle se présenta devant la case pour s’enquérir des nouvelles. Ses appels furent vains. Elle pénétra alors et constata que l’irréparable s’était produit. Couvert dans son lit comme à l’accoutumée, son époux ne respirait plus. Elle déchira le silence du matin de ses cris lugubres. Le village accourut. Il n’y avait plus rien à faire. Son cœur s’était arrêté pendant son sommeil.

Mais, à son chevet, on découvrit un sachet contenant une quantité non négligeable du fameux produit censé rendre la jouvence et transformer les vieilles femmes en footballeuses. On se rendit compte qu’il en prenait tous les matins avant d’aller au champ et doublait parfois la dose après la pause-déjeuner. Tel était le secret de son infatigabilité au champ. Paix à son âme. Honte aux marchands de mort.

Denis Dambré ; Proviseur de lycée (France)
Kaceto.net