Les relations entre le président du Conseil du peuple, Jean-Baptiste Ouédraogo et son premier ministre, Thomas Sankara étaient, on le sait, n’étaient les meilleures que peuvent avoir les deux têtes de l’exécutif d’un pays. Entre le "réactionnaire et suppôt de l’impérialisme" et "le progressiste" déterminé à restaurer la dignité des Burkinabè, c’était la dysharmonie à la tête de l’état burkinabè et les exemples ne manquent pas pour illustrer cet état de fait. L’auteur du texte ci-contre revient sur ce qui s’est passé à Bobo le 16 mai 1983 lors du meeting organisé Place Tiefo Amoro, un peu plus d’un mois après l’incident du 26 mars à Ouagadougou.
Pour l’histoire et pour contribuer à la compréhension de la trajectoire de Thomas Sankara.

Place Tiéfo AMORO de Bobo-Dioulasso ce 16 mai 1983, le Chef de l’Etat Jean Baptiste OUEDRAOGO vit une humiliation inédite dans les annales de l’histoire du pays. Manifestement banalisé par les historiens, l’évènement de la place Tiéfo AMORO a pourtant constitué le détonateur ayant explosé la crise qui minait le sommet de l’exécutif voltaïque. Trente huit années après, un rappel des faits s’impose pour éclairer la lanterne des jeunes générations.
Que s’est-il passé le 16 mai 1983 à la place Tiéfo AMORO ? Ce jour, le Conseil du Salut du Peuple (CSP) a tenu un meeting animé par le duo qui dirige le pays à savoir le Président Jean Baptiste OUEDRAOGO et son Premier Ministre Thomas SANKARA. La mobilisation est immense et la foule survoltée plus que jamais. Le nouveau régime dont la mission d’explication avait eu d’énormes difficultés à justifier le renversement du colonel Saye ZERBO et son CMRPN tenait cette fois-ci sa revanche. C’est du moins ce que l’on croit parce que l’immense foule massée à cette place historique ne réclame plus le rétablissement du régime déchu des colonels redresseurs qui, quoi qu’on dise, a posé des actes appréciés à Bobo la frondeuse. Sont de ceux-là l’exigence aux compatriotes désirant se rendre en Côte d’Ivoire, de se faire délivrer un laissez-passer afférent et censé réduire le flux migratoire en raison des humiliations vécues par les nôtres au bord de la lagune Ebrié pour non détention de la carte de militant PDCI/RDA, le parti unique du Président Félix Houphouët BOIGNY. Ce 16 mai, les organisateurs ont incontestablement réussi le pari de la mobilisation plutôt favorable. On notera dans l’immense foule, la forte présence de jeunes venus écouter un seul intervenant : le très charismatique Premier ministre Thomas SANKARA et cela s’est vérifié à l’applaudimètre tout au long de sa prise de parole précédée de slogans anti-impérialistes. Il faut dire que les bobolais savouraient pour la première fois le bagout de ce jeune capitaine tranchant avec les rhétoriques anciennes et que seuls les ouagalais avaient eu le privilège de vivre depuis sa nomination à la primature. A l’occasion, le ton et les accents radicalement marxisants ont amené les observateurs avertis à retenir leur souffle en raison de l’apparition publique des profondes divergences idéologiques au sommet de l’Etat. Personne en dehors des initiés, n’osait envisager encore un pire à venir. Quittant le pupitre, le Premier ministre a dit laisser la parole au Président Jean Baptiste OUEDRAOGO « qui aurait peut-être quelque chose à dire ».
Comme si le discours du Premier ministre marquait la fin des interventions, on a observé à la surprise générale un départ massif des participants au meeting dès la prise de parole du Président Jean Baptiste OUEDRAOGO en dépit des interpellations fortement sonorisées de l’organisation. C’est donc dans le brouhaha total et une foule clairsemée que le Chef de l’Etat a dû prononcer sous le regard goguenard de son Premier ministre et de son camp on l’imagine, son discours soigneusement rédigé. Une déculottée indigeste vécue en live qui ne sera pas sans conséquence pour la suite.
Indubitablement, l’évènement du 16 mai 1983 scelle irrémédiablement le divorce entre l’aile conservatrice du régime incarnée par le Président du CSP et celle dite progressiste et révolutionnaire représentée par le Premier Ministre.
La suite est beaucoup plus connue : le lendemain 17 mai 1983, Thomas SANKARA et certains de ses proches dont le commandant Jean-Baptiste Boukary LINGANI sont mis aux arrêts alors que le capitaine Henri ZONGO retranché au Camp Guillaume OUEDRAOGO essaye de résister. Seul rescapé de la trappe, le capitaine Blaise COMPAORE quitte discrètement Bobo-Dioulasso où il a passé la nuit pour rallier son unité à Pô et entrer en rébellion contre « le coup d’état impérialiste perpétré par la France qui avait dépêché Guy PENNE, le conseiller Afrique de François MITTERRAND en personne ». Dans sa parution qui a suivi l’évènement, l’hebdomadaire Jeune Afrique y a consacré sous la plume de Siradiou DIALLO, un article très léché intitulé « La chute de l’aigle ». Prémonitoire pour le camp des vainqueurs du moment, il n’écartait pas dans sa conclusion l’hypothèse d’un retour de SANKARA au pouvoir qui validerait l’idée selon laquelle le lion ne s’interdit plus de chasser dans la zone où il réside en raison de la perte des traditions. Comme pour dire que si « la patience du lion l’a emporté sur les envolées de l’aigle », selon la formule du journal, ce n’est probablement que de courte durée.

Boycott prémédité du discours présidentiel

Déjà, les 20, 21 et 22 mai 1983 ont été organisées à Ouagadougou, des manifestations de jeunes dites anti-impérialistes sous l’égide des organisations politiques clandestines de gauche, en réaction au fameux coup d’état impérialiste. Naturellement, à ces manifestations chacun des protagonistes de la crise, a sa lecture particulière tout comme à cette marche de soutien organisée sans grand succès par des partisans du Président du CSP.
Après la publication des mémoires du Président OUEDRAOGO, des zones d’ombre résident toujours autour du meeting de Bobo-Dioulasso toujours perçu à tort ou à raison comme un épiphénomène. Or, quoique moins enclins à la soumission, on ne saurait reprocher aux Bobolais d’être irrévérencieux au point d’infliger un tel affront au premier magistrat du pays peu importe les conditions de son accession au pouvoir.
Des temps ont passé et beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Des langues se sont déliées permettant une compréhension des péripéties de l’évènement de la Place Tiéfo AMORO. Le boycott du discours présidentiel a été parfaitement prémédité la veille et sur place à Bobo-Dioulasso même où des enseignants d’obédience marxiste-léniniste ont travaillé au corps dans une salle un groupe d’élèves meneurs sous leur contrôle et issus des plus grands établissements de la ville à savoir, le lycée Ouezzin COULIBALY (LOC) et le lycée Municipal (LM). Les élèves ont été exhorté à entrainer leurs camarades dans des applaudissements nourris pendant le discours du Premier ministre et à déguerpir immédiatement les lieux dès le début de l’allocution du Président JBO, incarnant l’aile réactionnaire du CSP. Selon l’un des élèves présents à la rencontre, le capitaine Blaise COMPAORE y est venu sans prononcer un seul mot. Une chose est sûre : les directives ont été exécutées parfaitement par les scolaires des établissements concernés massés aux abords des axes allant vers l’Est de la place Tiéfo AMORO et qui ont opéré leur retrait dès le début de l’allocution présidentielle.
Nous sommes en mesure de citer nommément les enseignants présents à l’intrigue et qui ont tous exercé d’importantes responsabilités sous le régime COMPAORE. Certains ne sont plus malheureusement de notre monde et parmi ceux qui le sont, quelques-uns sont encore actifs dans l’arène publique e. Il leur appartient comme nous le souhaitons, apporter leur éclairage sur cette page de l’histoire de notre pays.

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Patrice Traoré
Kaceto.net