Pour Denis Dambré, auteur de cet article, la violence des jeunes est révélatrice de l’incapacité des adultes à accepter simplement qu’ils prennent leur plac edans la société et participent à la vie démocratique. Pire, elle se nourrit des inconséquences des adultes qui édictent des lois qu’eux-mêmes ne respectent pas toujours. Dans un pays où le nombre de jeunes dépasse de loin celui des personnes âgées, il estime que la création, par exemple, d’une pré-majorité électorale comme dans d’autres pays contribuerait à changer la donne et obligerait les politiques à considérer différemment la jeunesse. Car comme disait un grand pédagogue : « Occupons-nous de nos jeunes si nous ne voulons pas qu’ils s’occupent de nous ! »

Les complaintes récurrentes des adultes au sujet de la violence des jeunes me rappellent le passage d’un livre paru en 2004 aux éditions Dunod sous le titre Enfermer ou Éduquer. Ecrit par Jean-Marie Petitclerc, prêtre, polytechnicien, éducateur spécialisé et expert des questions éducatives dans les zones sensibles où sévissent des phénomènes de violence, l’essai pointe la responsabilité des adultes dans le comportement difficile des jeunes. Voici ce qu’écrit l’auteur (p. 16) :
« Ce problème de la violence des jeunes, si médiatisé aujourd’hui dans notre société, n’est pas d’abord à considérer comme un problème de jeunes, ainsi que je l’entends dire trop souvent. Il s’agit en fait d’un problème d’adultes. La véritable question à se poser est celle-ci : comment se fait-il que les adultes aujourd’hui rencontrent plus de difficultés qu’autrefois à apprendre à la jeune génération à gérer son agressivité et à réguler sa violence ? N’est-ce pas en effet aux adultes qu’il incombe d’apprendre à l’enfant à maîtriser son impulsivité, afin qu’elle ne se transforme pas en violence ? »
Je trouve ce passage très éclairant sur la situation actuelle dans notre pays. Qu’avons-nous fait de nos enfants pour qu’ils soient devenus aussi violents ? Qu’avons-nous fait pour qu’un désaccord au sujet d’une réforme éducative, qui n’a de réforme que le nom, conduise des milliers d’élèves dans la rue à saccager des biens publics, entraînant du même coup des gesticulations sécuritaires dont la fermeté n’a d’égale que l’impuissance à juguler la violence juvénile ?
Autant j’ai de sérieux doutes quant à l’utilité de la réforme annoncée dans l’éducation, autant je suis fermement opposé aux actes de vandalisme auxquels se livre une poignée d’élèves leaders, prêts à démobiliser nos enfants de leurs apprentissages et à les galvaniser pour qu’ils commettent des actes inacceptables de destruction et de sape de l’autorité publique.
Que des proviseurs n’aient plus accès à leur bureau, que du matériel mis à disposition pour servir l’intérêt des élèves eux-mêmes soit inutilement saccagé et que des mineurs de moins de 15 ans se retrouvent à défiler dans les rues avec tous les risques que cela comporte pour leur propre sécurité et leur vie heurtent profondément les valeurs auxquelles toute personne qui aime son pays est attachée.
Et que dire lorsque des enfants se retrouvent enfermés à la maison d’arrêt, juste pour avoir voulu participer à un débat qui les concerne ? Que dire lorsque d’autres tombent sous les projectiles dans un contexte où la surdité des premiers responsables de l’éducation le dispute à l’inextinguible soif de démocratie des jeunes ? Les mots manquent pour dire l’abîme dans lequel est tombé le débat sur l’éducation dans notre pays.

Mais la rébellion de nos jeunes s’explique. Et pas forcément de la manière dont on prend habituellement la question. Car, à écouter les récriminations des adultes, aussi accusatrices à l’égard des jeunes qu’impuissantes contre la violence galopante, il suffirait d’un surcroît de fermeté pour résoudre le problème. Entendez par là que le monde des adultes devrait se liguer pour mater ces mutins de morpions ! On est dans ce que raillait le célèbre écrivain et humoriste américain Mark Twain : « L’éducation est une défense organisée des adultes contre les enfants ».
Grosse erreur si nous voyons ainsi les choses ! D’abord parce que, dans un pays qui compte plus de jeunes que de vieux, si une bataille à mains nues devait opposer les uns aux autres, je ne donne pas cher de la peau des gens de ma génération. Les jeunes nous infligeraient une sérieuse correction. Certes, ce n’est ici qu’une simple hypothèse qui, heureusement, risque peu de se produire. Mais il est important que nous restions attentifs à la réalité du rapport de force entre les jeunes et les personnes plus âgées dans un pays comme le nôtre où la représentativité des jeunes est beaucoup plus élevée. J’y reviendrai à la fin de cet article.
Ensuite parce qu’on n’apprend pas la non-violence à un enfant en usant de la violence contre lui. L’idée qu’il suffit d’un surcroît de fermeté, autrement dit de contrainte par la violence autoritaire, pour obtenir l’obéissance des enfants et la paix sociale est, en réalité, une idée simpliste et absurde. Non qu’il ne faille jamais user de coercition en éducation, mais parce qu’il faut toujours chercher à susciter l’adhésion de l’éduqué à la contrainte qu’on lui impose.
Sinon, on verse dans le dressage et cela ne fonctionne pas avec un être humain. Et lorsqu’on a l’impression un moment que cela fonctionne, il faut éviter de se réjouir trop tôt, car des jours plus difficiles arrivent. De nombreuses expériences conduites en la matière en psychologie de l’éducation l’ont suffisamment prouvé pour qu’il ne soit pas utile de s’y attarder.
Aujourd’hui, force est de constater que nos enfants n’ont pas conscience qu’en détruisant le matériel de leur école, en empêchant le personnel d’accéder à l’établissement ou en saccageant les biens publics, ils sont en train de se causer du tort à eux-mêmes. Car les biens détruits sont acquis grâce aux impôts de leurs parents.
Combien de jeunes savent qu’en allant acheter tel ou tel produit, ils paient des impôts par le biais de la taxe sur la valeur ajoutée ? Combien savent que l’argent ainsi récolté entre dans les caisses de l’Etat qui s’en sert pour des investissements à leur profit ? La méconnaissance du fonctionnement de l’Etat par les jeunes est un symbole éloquent de la faillite des adultes en matière d’éducation. Mais elle n’est pas seule en cause.
Nous vivons dans une société gainée et corsetée dans laquelle la jeunesse du pays s’étouffe. Une société dans laquelle les adultes dictent la loi et les jeunes doivent se contenter d’obéir sans avoir leur mot à dire. On se croirait presqu’avant mai 1968. Pour preuve, on a entendu récemment le ministre de l’Education nationale en personne énoncer avec assurance et sans sourciller qu’on n’a pas à discuter avec des élèves sur la manière dont ils vont être évalués. Une déclaration ubuesque de la part de celui qui est le garant de la bonne transmission des valeurs démocratiques aux élèves.
Si nous voulons juguler les phénomènes de violence, entendons la parole de nos jeunes au lieu de la balayer du revers de main de nos certitudes. L’observation de la différence de fonctionnement d’autres pays interpellent sur notre rapport à la jeunesse. Un exemple illustre mon propos :
Notre pays comptant plus de jeunes que de personnes âgées, l’imitation stricte et sans aménagements contextuels du fonctionnement démocratique de la France où la majorité électorale est fixée à 18 ans aboutit proportionnellement à l’inaudibilité de la parole de la jeunesse dans les instances décisionnelles. Par ailleurs, l’éducation des jeunes à la citoyenneté demande à être étoffée avant le seuil des 18 ans. De nombreux pays dans le monde ont abaissé, soit entièrement soit partiellement, la majorité électorale à 16 ans pour permettre aux jeunes d’être davantage représentés : Autriche, Argentine, Brésil, Cuba, Ecosse, Equateur, Malte, Nicaragua, Slovénie, certains Länder allemands dans le sillon de la Jugendbewegung (mouvement de jeunes) datant de la République de Weimar (1918-1933), et j’en passe.
Sans que l’abaissement de l’âge d’accès au vote soit total, n’y aurait-il pas lieu de réfléchir sérieusement à créer, comme dans certains pays, une pré-majorité en abaissant partiellement la majorité électorale pour permettre la prise en compte de la parole des jeunes et une meilleure éducation à la citoyenneté ? J’entends par « partiellement » la possibilité, par exemple, de commencer à 16 ans par accorder le droit de vote aux élections locales (élections municipales) pour initier progressivement les jeunes à l’exercice de la citoyenneté et éviter la brutalité factice du seuil des 18 ans où l’on se retrouve tout à coup citoyen de plein droit alors que la veille encore on n’avait aucun droit.
L’avantage d’une telle réforme du code électoral est qu’elle obligerait les partis politiques et les pouvoirs publics à respecter les jeunes et à les traiter comme des électeurs potentiels. Et les jeunes eux-mêmes auraient une autre possibilité que la casse et le vandalisme pour se faire entendre et manifester le cas échéant leur mécontentement.
Le développement, comme dans d’autres pays, de parlements de jeunes, la restructuration encadrée des instances représentatives des élèves à l’école, la responsabilisation des élèves par la prise en compte dans leur évaluation scolaire de compétences développées dans des associations citoyennes, dans des actions de solidarité ou humanitaires, le tissage de liens plus étroits entre les associations de parents d’élèves et les associations des élèves, des sondages réguliers de la population sur les violences éducatives (comme cela existe en Suède), une campagne de sensibilisation sur la non-violence sont d’autres pistes de réflexion susceptibles de contribuer progressivement à sortir du corsetage actuel de notre société où les jeunes ne trouvent pas leur place.
En somme, la manière dont les jeunes sont traités aujourd’hui, conjuguée à l’inconséquence des adultes qui édictent sans concertation des lois qu’eux-mêmes ne respectent pas toujours, les conduit à revendiquer leur place dans la société par des défilés et des actes inacceptables. Comme disait un grand pédagogue : « Occupons-nous de nos jeunes si nous ne voulons pas qu’ils s’occupent de nous ! »

Denis Dambré ; Proviseur de lycée
(France)