Alors que la polémique née des réformes entreprises par le ministère de l’Education nationale, de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales occupe une bonne partie des débats publics, il nous a paru utile de donner à lire "l’Appel de Gaoua" le discours de Thomas Sankara prononcé le 17 octobre 1986 à Gaoua sur la qualité de l’enseignement. Rien des maux dont souffre le système éducatif burkinabè n’a été oublié, l’accent ayant étant mis sur les acteurs concernés : élèves, enseignants, parents d’élèves.
Trente-cinq (35) ans après, ce discours n’a pas pris un ride !

"Si les élèves ont le droit de se plaindre de la mauvaise qualité de l’enseignement dispensé, ils doivent savoir qu’une grande part de la baisse de la qualité de l’enseignement leur revient également. Certains d’entre eux sont passés champion dans la pratique de l’école buissonnière aussi bien au primaire qu’au secondaire. Les leçons ne sont plus apprises, les devoirs ne sont plus exécutés et parce qu’ils ont désormais le droit de s’exprimer à travers leur CDR, ils essaient souvent d’utiliser ce droit-là pour camoufler leur paresse.
Ils se croient autorisés sous ce prétexte à avoir des attitudes irrespectueuses vis-à-vis de leurs enseignants. Des élèves interpellés pendant les cours, quittent les classes sans la permission de leurs professeurs. Les activités parascolaires prennent le pas sur les cours.
Nos lycées et collèges sont souvent le théâtre des méfaits de l’alcool, de la cigarette et même de la drogue.
Les robes prêt-à-porter, les bijoux et grosses ceintures, les pantalons à pinces, la mode provocatrice, la bamboula hebdomadaire sont devenus les préoccupations principales des élèves au prix d’une prostitution occasionnelle qui tend à devenir un fléau dans nos villes. Que dire alors du sport que les élèves désertent par bandes entières, témoins les 3. 000 exemptés de sport aux épreuves du B. E. P. C. de 1985. Que l’on ne s’étonne pas que nos enfants ne soient pas capables de soutenir le moindre effort physique.
Les élèves se contentent d’être présents de temps en temps dans les classes, ils n’ont plus le temps de se consacrer à leurs études et beaucoup comptent sur l’heure de la négociation avec leurs enseignants pour avoir les points nécessaires pour passer en classe supérieure ou réussir un examen. A la maison, d’interminables séances pour ingurgiter du thé ou danser sans rythme à la faveur d’une lueur blafarde et complice, dans l’ambiance d’une musique qui, pour être non conformiste, multiplie les décibels ou persiste dans l’harmonie des temps. Au mur, la large photo d’une vedette au regard éthéré, en fait, un délinquant produit par le show-business du capitalisme immoral. C’est le début de l’idolâtrie.
Par couples ou par groupes, des mineures dans les bras de non majeurs, célèbrent une messe qui n’est que la compétition à qui défiera la plus les règles de retenue morale. La société permissive prend ainsi naissance ; l’irresponsabilité de demain s’incruste chez ces jeunes esprits ; les volutes d’une plante prétendue paradisiaque font le reste. Que pourra-t-on faire alors faire plus tard pour rectifier une telle inconduite chez ces futurs hommes quand ils entreront en production ? Les avertissements, les blâmes, les suspensions, les dégagements et les licenciements n’y feront rien. Des inconscients sont nés. Au vu et au su d’enseignants lascifs et les regards démissionnaires de parents qui se vantent que leurs enfants soient aussi éveillés ! Oui, éveillés, mais éveillés à la perdition.
Si j’ai fait le tour des différents partenaires de l’éducation, c’est pour permettre de comprendre que chacun à son niveau est également responsable de la mauvaise qualité de notre système éducatif et de notre enseignement : les parents par leur égoïsme, leur indifférence et leur insouciance, les enseignants par leur paresse et leur affairisme, les élèves par leur paresse, leur indiscipline et leur mauvaise conduite.
Voilà décrits nos comportements inadmissibles. La qualité de notre système éducatif déterminera la valeur des hommes que nous mettrons demain au service de notre peuple. C’est pour cela qu’il est important et urgent que chacun de nous se ressaisisse.

Thomas Sankara
Président du Faso
Kaceto.net