C’est une nouvelle que le couple Yacine a accueillie avec soulagement ! Pour quelques mois de répit encore, M. Yacine et son épouse vont pouvoir dormir sans l’angoisse d’être réveillés tôt le matin par les bruits d’un bulldozer, venu démolir l’immeuble dans lequel ils habitent depuis… 1994, sis, rue Roosvelt, au Plateau, un quartier chic en plein centre de Dakar.Le 14 juin dernier, le juge de la chambre des Procédures accélérées de la Cour d’appel de Dakar a renvoyé au 12 septembre 2021 la décision qu’il doit rendre dans le différend qui les oppose à Yérim Sow, nouvel acquéreur de l’immeuble et qui a engagé une procédure d’expulsion contre eux et tous les occupants devenus désormais sans titres, ni droits. Ils ne sont pas les seuls dans cette affaire judiciaire vielle de plus de trente ans, qui a été jalonnée et marquée par de multiples rebondissements et qui implique plusieurs acteurs : les héritiers de SéKou Souaré, un patriarche guinéen qui a fait fortune dans le commerce de l’or et dans les transactions immobilières ; Akram Nehmé, un agent immobilier-serrurier de nationalité sénagalo-libanaise dont on ne retrouve plus aucune trace nulle part au Sénégal. C’est Akram Nehmé qui s’est retrouvé en possession des Titres fonciers appartenant à feu Sékou Souaré, quelque temps seulement après le décès de ce dernier. Et enfin, l’avocat de Akram Néhmé, Maître Mayacine Tounkara, un juge devenu avocat par la suite, dont le rôle dans cette saga judiciaire est une énigme.
Le prochain épisode de ce long et ombrageux feuilleton judiciaire est attendu dans quelques semaines, voire quelques mois, dans les arcanes de la Cour d’appel de Thiès, chef-lieu de la région éponyme, l’une des plus grandes villes du Sénégal. Elle est située à 70 km à l’est de Dakar.
Enquête.

Sékou Souaré est un self-made man comme l’Afrique seule sait en produire. Parti de rien, mais à force de travail et avec un sens aiguisé des affaires, analphabète, il est devenu un grand commerçant, puis un prospère homme d’affaires, respectable aussi bien dans son pays d’origine, la Guinée-Conakry, qu’au Sénégal et en Côte d’Ivoire où il s’est finalement établi avec ses quatre épouses qui l’ont fait père de sept enfants, dont un décédé, cinq filles et un garçon. Jeune, il s’adonnait au commerce en tout genre avant de se spécialiser plus tard dans les transactions portant sur l’or, un filon qui lui a permis de faire fortune, d’acquérir des biens et d’être propriétaire immobilier aussi bien en Guinée, qu’en Côte d’Ivoire, au Sénégal et en France.
« Nous étions impliquées dans les activités de notre père, ma sœur ainée et moi parce qu’il était illettré et ne faisait confiance à personne. Tout se gardait dans sa tête et c’est nous qui jouions le rôle de secrétaires. Il ne prenait aucune décision et n’entreprenait rien sans nous le soumettre auparavant ou nous en parler pour solliciter notre avis, notre opinion », confie l’une de ses filles. Une fois par an, il se rendait à Dakar, posait ses valises dans une des maisons, rue Kléber, pour suivre ses affaires, s’acquitter de ses impôts auprès de l’administration fiscale et allait rendre visite à ses amis. « Les agents immobiliers qui le connaissaient et qui savaient bien qu’il était illettré, n’arrêtaient pas de le harceler pour qu’il leur confie l’administration et la gestion de ses immeubles, mais il ne voulait pas du tout et se méfiait de tout et de tout le monde », poursuit une autre fille. Il finit néanmoins par se décider à faire confiance à l’agence Meugnier, gérée par à l’époque par une personne de nationalité française.
En mars 1984, Sékou Souaré est à Dakar, en compagnie de l’une de ses quatre épouses. Au cours de ce séjour, il a été pris d’un malaise. Transporté d’urgence à l’hôpital, il est dans le coma. Informés, ses parents et amis sur place et à l’étranger accourent à son chevet pour s’enquérir de son état. Au nombre de ces nombreuses personnes, son cousin Cabiné Kaba, ancien député de Tambacounda, très proche de lui.
Alors étudiante en France, Oumou Souaré, l’une de ses filles n’a pas d’autre choix que de sauter dans le premier avion qui l’amène à Dakar dans la soirée. Trop tard. Au petit matin du 28 mars 1984, son père rend l’âme. Les trois autres épouses et les enfants rappliquent tous dans la capitale sénégalaise pour assister aux obsèques et accompagner leur mari et père à sa dernière demeure. Il repose au cimetière de Yoff, au nord-ouest de Dakar, où il est enterré. Les cérémonies religieuses terminées, la famille rejoint Abidjan en attendant que la fratrie se retrouve pour parler de la suite.

Le tour de passe-passe

Un beau jour, alors qu’elle ne s’attendait à rien de pareil, la famille reçoit un coup de fil de Maitre Denise Richemond, notaire connu de Sékou Souaré et dont le mari est par ailleurs Directeur général de la Banque internationale pour le commerce et l’industrie de la Côte d’Ivoire (BICICI), une filiale du groupe français BNP-Parisbas. « Quelqu’un tente de toucher un chèque de cent-cinquante millions (150.000.000) de F CFA signé par votre père, mais mon mari a fait bloquer l’opération parce qu’il soupçonne quelque chose de pas clair », souffle-t-elle à la famille Souaré.
Très vite, l’identité du porteur du chèque est révélée. Il s’appelle Akram Nehmé. Né le 19 mai 1950 à Dakar et naturalisé le 3 octobre 1973, fils de Aly et Leyla Abadallah, agent immobilier et serrurier. Il a pris la suite de son père à l’agence immobilière à Dakar. Rappelons qu’il n’y a aucun lien entre l’agence du père de Akram Nehmé et celle qui était chargée de l’administration des biens de feu Sékou Souare.
N’étant pas arrivé à se faire payer le chèque, Akram Nehmé porte plainte devant les juridictions ivoiriennes à Abidjan pour obtenir ledit paiement. Débouté par le Tribunal de première instance d’Abidjan, il rapplique sans tarder à Dakar où il dépose une nouvelle plainte. Il tient absolument à récupérer « son dû » de 150.000.000 de francs CFA, une somme qu’il aurait prêtée à Feu Sékou Souaré qui n’a pu rembourser avant qu’il ne décède. En plus du chèque, Akram Nehmé détient par devers lui six Titres fonciers, objet de plusieurs immeubles appartenant à Feu Sékou Soauré et une reconnaissance de dette signée à Dakar, le 7 mars 1984, par le patriarche guinéen, trois semaines avant sa mort ! Comment l’agent immobilier-serrurier est-il entré en possession d’une « reconnaissance de dette » et de six « Titres fonciers » supports d’une créance de montant de 150.000.000 sans témoins ? Ce sont ces questionnements que la justice sénégalaise n’a pas éludés depuis trente-sept (37) ans au moins.
D’abord en ordre dispersé, puis en rang serré, c’est en un bloc soudé que les six enfants Souaré se battent avec leurs avocats pour récupérer les six (06) immeubles ayant appartenus à leur feu père, dont l’un est devenu depuis, propriété du richissime Yérim Saw. Celui-ci s’est porté acquéreur de l’immeuble sis, rue Roosevelt, objet du TF N°3161/DG d’une superficie de 1090 m2. Cet immeuble a été adjugé à l’homme d’affaires, patron du Groupe Teyliom et propriétaire de l’hôtel de luxe, Radisson Blu, situé le long de la corniche à Dakar.
La troisième fille de la famille Souaré, Doussou Souaré, docteur en pharmacie, établie à Abidjan est formelle : « Notre père n’entretenait pas de relations d’affaires avec Akram Nehmé et je ne vois pas pourquoi il va lui emprunter 150.000.000 de francs CFA alors que son compte bancaire était créditeur de 700.000.000. »
Les héritiers ne sont pas au bout de leurs surprises. A Dakar, Akram Nehmé obtient gain de cause là où Abidjan l’avait débouté : le 29 septembre 1999, le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar, par un jugement, reconnait la validité de l’acte de reconnaissance de dette et condamne les héritiers Souaré à lui payer la somme qu’il a réclamée, soit 150.000.000 francs à titre principal et prononce la saisie judiciaire d’un TF à hauteur de 160.000.000 de francs CFA. Une décision contestée par les héritiers Souaré qui font appel. Contre toute attente, la Cour d’appel de Dakar confirme le dit jugement.
Un pourvoi en cassation a été introduit auprès de la Chambre civile de la Cour suprême du Sénégal. La procédure qui n’est pas épuisée est relancée. Mais cela n’a pas suffi à dissuader Me Tounkrara. Agissant au nom de Akram Néhmé, désormais invisible et introuvable au Sénégal, l’avocat procède à la vente aux enchères publiques de l’immeuble objet du TF 3161/DG sis à Dakar, Rue Roosvelt. Adjugé à 1.200.000.000 de francs CFA, le produit de la vente a été déposé dans les livres de la Caisse de dépôt et de consignation. Le montant de 700.000.000 de francs CFA a été versé pour le compte des héritiers et déposé à la Caisse de règlement pécuniaire des avocats (Carpa) au nom de leur avocat. Sur le reliquat du prix de la vente, selon nos informations, des retraits à hauteur de 535.000.000 de F.CFA ont été effectués par l’entremise de l’avocat de Akram Néhmé dans des conditions sombres, somme toute à élucider.
Sollicité par Enjeux Africains, Me Tounkara s’est montré dans un premier temps coopératif, en nous assurant de répondre à nos interrogations dès lors que les questions lui seraient adressées. Contacté à plusieurs reprises par nos soins, nous avons reçu le 4 juin un message de Me Emmanuel Diatta, collaborateur au cabinet Tounkara, qui nous promettait de nous donner une « réponse avec pièces à l’appui ». Puis plus rien. Nous avons relancé au moins à trois reprises les avocats du cabinet Tounkara, la dernière en date était le 14 juin….toujours sans réponse.
On ne saura donc pas trop des agissements de l’avocat quant au volet civil de l’affaire. Pourquoi, alors que la procédure est loin d’être encore terminée, lui et son client se sont-ils empressés de vendre l’immeuble dont la propriété est encore disputée ? Comment M Yérim Saw s’est-il porté acquéreur d’un immeuble, sachant bien que l’issue des procédures judiciaires était des plus incertaines au regard des rebondissements déjà survenus ?
Confirme-t-il avoir reçu de son client une lettre lui notifiant qu’il était désormais dessaisi du dossier et qu’il se désistait de toutes les actions judiciaires engagées et celles à venir ? Pourquoi détient-il par devers lui les autres Titres fonciers alors même que la vente d’un seul immeuble suffit à éponger la dette vis-à-vis de son client ? Certes, son client a remporté des victoires d’étapes au plan civil, mais entre-temps, une des filles Souaré a engagé une procédure pénale contre Akram Néhmé à Dakar pour « vol, faux et usage de faux », convaincue que non seulement la signature qui figure sur le chèque n’est pas celle de son père, mais aussi que l’agent immobilier a usé de moyens frauduleux pour obtenir la reconnaissance de dette par son père.

L’éclipse d’un des protagonistes

Les Souaré soupçonnent Akram Nehmé de s’être introduit dans l’appartement de leur défunt père et pour y soustraire le chéquier et les Titres fonciers. Ils déposent une plainte. Entendu en juin 1984 par la Division des Investigations Criminelles de la police judiciaire de Dakar, Akram Néhmé confie lui-même que ses relations avec Sékou Souaré remontent à juillet 1980, quand il était locataire de son immeuble sis, 21 rue Kléber, donc son voisin. Ses relations qui étaient d’abord amicales, sont devenues par la suite des relations d’affaires au point que Sékou Souaré lui a proposé la gestion de ses biens immobiliers. Ce que contestent de façon véhémente les Souaré. Il affirme avoir accordé à Sékou Souaré, à sa demande, ce, en plusieurs tranches allant de 20 à 37 millions de F CFA, en espèces, des prêts supportant un taux compris entre 25 et 30% et dont le montant total s’élève à 150.000.000 F CFA. Sur sa recommandation, un de ses amis Suisse, Denis Moret, qui était à la recherche d’un logement, a pu louer un studio mitoyen à lui, rue Kléber. Toujours selon le rapport de la police judiciaire, vers fin décembre 1983, Akram Néhmé affirme qu’avec son « partenaire », ils ont convenu de regrouper tous les prêts accordés dans une seule reconnaissance de dette. « La reconnaissance de dette que j’ai rédigée et dactylographiée a été lue par moi à M. Sékou Souaré qui a accepté de la signer » soutient-il, lui ayant conservé l’original et la copie à Sékou Souaré. Les frères Souaré ne lâchent pas prise, demandent une expertise graphologique afin d’authentifier la signature de leur feu père. En avril 1985, Saliou Mbaye, expert en graphologie agréé par la Cour d’appel de Dakar confirme leurs doutes. Après avoir analysé la signature de Sékou Souaré apposée sur les quittances de loyer, la convention de location, le dépôt à terme, puis celle figurant sur le chèque de 150.000.000 et celle portant sur la reconnaissance de dette, la conclusion de l’expert est sans appel : les trois premiers documents « présentent des similitudes alors que le chèque présente trois dissemblances par rapport aux autres pièces ». Idem pour la signature de la reconnaissance de dette « qui ressemble à celle du chèque ».
Au terme d’une longue audience, Akram Néhém est condamné fin décembre 2004 au pénal à vingt-quatre (24) mois de prison dont six (6) ferme, pour faux et usage de faux. Mais il ne goûtera pas aux plaisirs de la prison sénégalaise. Comme un fantôme, il s’est évanoui dans la nature et n’a plus donné signe de vie. Est-il mort ou est-il encore en vie à ce jour ? Son avocat, Me Mayacine Tounkara dont on reparlera plus loin, a sans doute la réponse à cette question. Selon certaines sources, il se serait réfugié au Maroc quand d’autres sources l’annoncent en Belgique, plus précisément au 6 Helstewegel Heusden Destelberg 9070. Cette adresse qu’Enjeux Africains a fait vérifier, existe bel et bien en Belgique, dans la partie flamande, mais en revanche, nous n’avons pas pu vérifier si Akram Néhmé y habite réellement.

Un nouveau rebondissement

Les héritiers Souaré exultent et pensent enfin apercevoir le bout du tunnel, d’autant qu’ils viennent de prendre connaissance d’une lettre dactylographiée datée du 8 mars 1993 par laquelle Akram Néhmé demande au Président du Tribunal régional de Dakar « de bien vouloir procéder à la radiation d’un dossier portant mon nom contre les sœurs Souaré et passant à l’audience du 20 avril 1994 ». Mieux, Akram Nehmé informe le Président du Tribunal que « Me Mayacine Tounkara n’est plus » son « avocat ». « J’ai décidé son déport depuis février 1994 ». Or, et c’est là que le bât blesse, l’avocat qui a été récusé par son client est arrivé à faire appel de la décision au nom et pour le compte de son client qui l’a récusé. Pis, dans un arrêt contradictoire rendu le 18 décembre 2013, la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Dakar a considéré que « le premier juge a fait une application désastreuse de la loi » et a, en conséquence, décidé de « relaxer le prévenu en application des dispositions de l’article 451 alinéa 1er du Code de procédure pénal ».
Le hic, selon Me Dioma Ndiaye, conseil des Souaré, c’est que c’est l’avocat qui a fait appel au nom de Akram Néhmé et qu’il a été le seul qui a comparu en lieu et place de son client et même obtenu l’infirmation du jugement condamnant son client au pénal. Or, expliquent les spécialistes de la procédure pénale, dans ce type de procédure, la présence du prévenu est obligatoire et l’avocat ne peut pas venir en représentation comme au civil. Il y a donc une anomalie et qui est la source d’invalidation de la reconnaissance de dette de M. Souaré.
Nous n’aurons guère plus de chance avec Yérim Saw, le nouvel propriétaire de l’immeuble querellé. Bien sûr, l’homme d’affaires qu’il est sait que le risque accompagne en permanence ses activités. Mais n’a-t-il pas été trop imprudent en déboursant 1.200.000.000 de F CFA pour l’acquisition d’un bien qui peut bien être annulée ? « Il y a beaucoup de turpitudes dans la conduite de ce dossier qui ne fait pas honneur à la justice sénégalaise » confie, dépité, un ancien magistrat à la retraite que nous avons sollicité.
Mais les héritiers Souaré veulent encore croire en la justice. Leur espoir a été ravivé par l’arrêt de la Chambre civile et commerciale de la Cour suprême, rendu le 17 juillet 2019. Les juges de cette haute Cour ont estimé que « la relaxe du prétendu créancier du chef de faux ne dispensait pas le juge civil de vérifier si la reconnaissance de dette opposée à l’illettré avait été établie en présence de témoins qui lui ont fait connaitre la teneur et la portée de son engagement ». Ne l’ayant pas fait, « la Cour d’appel a violé les textes et par ce motif, la Cour suprême « casse et annule l’arrêt N°519 du 21 décembre 2017 rendu par la Cour d’appel de Dakar ».
La Cour suprême renvoie la cause et les parties devant la Cour d’appel de Thiès et condamne Akram Néhmé aux dépens. Autrement dit, la Cour suprême demande à la Cour d’appel de Thiès, qui est une autre juridiction, de dire si Sékou Souaré a été assisté en tant qu’illettré, par au moins deux témoins comme l’exige la loi, au moment de la signature de la reconnaissance de dette litigieuse. Or, affirme l’avocat des Souaré, il ne fait pas de doute que Sékou Souaré n’a pas été assisté par deux témoins, ce qui suffit à annuler l’acte de reconnaissance de dette, donc de la vente.
Tous les regards sont donc tournés vers la Cour d’appel de Thiès où le prochain épisode de ce long feuilleton pourrait s’écrire. Les dernières informations laissent dire que le ministre de la Justice du Sénégal a été sollicité par l’une des parties à l’effet d’exercer un pourvoi d’ordre dans l’intérêt de la loi. En effet, en raison des zones d’ombre qui entourent le dossier pénal et les conditions qui ont prévalu à l’infirmation du jugement de condamnation, seule cette voie de recours permet de tirer au clair un certain nombre d’attitudes et de comportements. (Voir encadrés)

Encadré 1

Mayacine Tounkara, l’énigmatique avocat de Néhmé Akram

Dans l’affaire qui oppose les héritiers de Sékou Souaré à l’agent immobilier-serrurier Néhmé Akram, Maitre Mayacine Tounkara, anciennement juge devenu avocat comme la loi les y autorise au Sénégal, joue un rôle pour le moins trouble.
En effet, après un certain nombre d’années passé à la magistrature ou au barreau, l’un ou l’autre des membres, peut par une sorte de passerelle, franchir le rubicond pour devenir avocat et/ou magistrat. Mais comme le dit un avocat ouest-africain, c’est plus les magistrats qui franchissent la passerelle plutôt que les avocats.
Ce professionnel du droit note au passage que l’on détecte toujours l’ancien magistrat dans l’avocat qu’il devient. A la question en quoi et comment les reconnait-on ? Il répond par « leurs méthodes ». Plus encore ? « leurs micmacs ».
Maître Mayacine Tounkara n’était au départ que l’avocat de son client. Au fil du dossier, il semble qu’il a joué un rôle qui va au-delà de simple conseil. Très familier des arcanes de la justice sénégalaise, il est à l’évidence rompu dans ce que son confrère a qualifié de « micmacs » judiciaires, pour avoir été magistrat durant plusieurs années. Il a réussi l’exploit d’obtenir non seulement le jugement en appel de la condamnation au pénal, à 24 mois de prison dont six (6) mois ferme de son client Néhmé Akram, en son absence. Mais il a surtout obtenu d’infirmer le dit jugement sur l’essentiel de la condamnation. Néhmé Akram est quitte avec la justice sans jamais s’être présenté ni être présenté aux juges. N’est-ce pas là une anomalie procédurale ? En tout cas, les professionnels du droit interrogés sont à la fois perplexes et dubitatifs. « Au pénal, la présence du prévenu est obligatoire ; l’avocat ne peut en aucun cas le représenter », explique, indigné un magistrat.
Un autre met en avant ses trente années passées en tant que juge pour dire sa stupéfaction devant un tel exploit. Il nous en dira pas plus ! Pour lui, il faut aller chercher dans les mauvaises archives de la justice sénégalaise tant décriée pour trouver de tels exemples.
Pis, alors que la Cour suprême du Sénégal a cassé l’arrêt de la cour d’appel qui avait validé la « reconnaissance de dette » dite frauduleuse par les héritiers Souaré et renvoyé le dossier devant la Cour d’appel de Thiès qui rendra son arrêt le 27 juillet prochain. Maitre MayacineTounkara a réussi à prendre en possession des Titres fonciers (TF) de Feu Sékou Souaré alors même que son client l’avait formellement récusé. Il a ensuite procédé à la vente aux enchères publiques du TF N°3161/DG et l’homme d’affaires ivoiro-sénégalais Yérim Saw, PDG du Groupe Teyliom (agro-alimentaire, immobilier, hôtellerie, téléphonie), s’est porté acquéreur dudit titre.
Par quelle magie a-t-il pu poser tous ces actes sans avoir été pris une seule fois à défaut ?
Sollicité par nos soins, Me Tounkara n’a pas répondu aux questions qu’il nous a pourtant demandées de lui envoyer par voie électronique. « C’est un des ténors du barreau de Dakar, très compétent mais qui a une réputation sulfureuse ici », confie un avocat sénégalais.

Encadré 2

Habib Yérim Saw, un homme d’affaires très ambitieux !

Fondateur du groupe Teyliom, Habib Yérim Sow incarne pour beaucoup d’Africains, la réussite dans les affaires. Héritier d’un père lui-même richissime chef d’entreprise qui a fait fortune entre autres, dans l’immobilier, Yérim Sow est présent dans plusieurs activités notamment dans l’immobilier, l’hôtellerie, les télécoms et l’agro-alimentaire. C’est surtout dans les télécoms qu’il a pris son envol avec la vente de son entreprise Loteny Telecom au groupe sud-africain MTN pour 76 millions d’euros de l’époque. Une opération qui lui a permis de prendre des participations dans plusieurs entreprises et d’investir dans des activités en Afrique dont l’hôtellerie haut de gamme. Il est d’ailleurs le propriétaire de cet hôtel de la capitale sénégalaise Radisson Blu qui longe la corniche de Dakar.
Il a cependant subi un sérieux revers en septembre 2020 à Cotonou, au Bénin.
Le gouvernement de ce pays lui avait accordé en juin 2012 deux (2) hectares sur la base d’un bail emphytéotique de 99 avant de revenir sur sa décision. Alors que l’homme d’affaires sénégalo-ivoirien âgé de 54 ans aujourd’hui avait entrepris la construction de l’hôtel (Noom de Cotonou), le gouvernement a décidé de faire démolir l’infrastructure hôtelière qui était en phase de finition. C’est alors que le promoteur sénégalais a mis en œuvre une procédure judiciaire de mise en cause de la responsabilité du gouvernement béninois et de demande d’indemnisation en tant qu’investisseur. L’organe de règlement des litiges d’investissement, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI).
Réputé très discret, fuyant les médias, nous l’avons sollicité par plusieurs messages électroniques pour en savoir plus sur l’acquisition « litigieuse » du TFN°3161/DG appartenant à feu Sékou Souaré. En vain ! Si la reconnaissance de dette que Feu Sékou Souaré aurait signée avec Néhmé Akram venait à être annulée par la Cour d’appel de Thiès, ce serait un autre revers que Yérim Saw viendrait à subir. Ce qui remettrait en cause, selon nos informations, le projet de création d’une banque, rue Roosevelt qu’il nourrit en acquérant la propriété de Feu Souaré pour 1,200 milliards de F CFA.

Encadré 3

Quelles seront les suites probables de l’arrêt de la Cour de Thiès dans le dossier qui oppose les héritiers Souaré à Néhmé Akram et Yérim Sow interposé ?

Faut-il le rappeler, la Cour suprême du Sénégal a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Dakar et a renvoyé le dossier devant la juridiction d’appel de Thiès. Cette dernière rendra sa décision le 27 juillet 2021. Une affaire qui dure depuis trois décennies bientôt sans qu’aucune solution définitive n’en soit trouvée.
Selon les conseils dans ce dossier, il est demandé aux juges de la Cour d’appel de Thiès de vérifier et d’apporter la preuve que Feu Sékou Souaré, en tant que « signataire, illettré, de la « reconnaissance de dette de 150 millions dont se prévaut Néhmé Akram a été signée dans les conditions qui soient conformes au droit ».
En effet, afin de protéger pleinement l’intégrité de la conscience des personnes illettrées, la loi prévoit généralement que ces derniers ne peuvent apposer leurs signatures sur une quelquonque acte qui les engage, qu’après en avoir librement pris connaissance de son contenu pour envisager ses effets. En clair, les personnes illettrées doivent bénéficier des services de « témoins certificateurs ».
Ces derniers doivent expliquer avant la signature de l’acte, le contenu du dit acte et ses implications en termes d’engagements. Il semble que Feu Sékou Souaré n’a pas bénéficié de ce privilège. Du coup, la loi ne se trouve-t-elle pas violée ? La Cour d’appel de Thiès a-t-elle d’autre alternative dans ce cas que de constater cela et de casser en conséquence le jugement précédent ?
Néhmé Akram n’a-t-il pas lui-même affirmé dans un procès-verbal à la police (DIC) qu’il est le rédacteur de la reconnaissance de dette ? N’a-t-il pas affirmé qu’il s’est retrouvé seul à seul dans la chambre de Feu Sékou Souaré et que ce dernier lui a demandé de s’emparer de la valise au-dessus de l’armoire en face, pour y soustraire un papier à en-tête au nom de Sékou Souaré et rédiger le texte de la reconnaissance de dette ? S’il arrivait que les juges de Thiès accèdent à la demande des Souaré en cassant la décision qui valide la reconnaissance de la dette, sans doute que Néhmé Akram formera un pourvoi à son tour. Il en serait de même si les Souaré venaient à perdre. Dans les deux cas de figure, la Cour suprême du Sénégal serait à nouveau saisie. Elle devra, selon les juristes consultés par nos soins, réunir les chambres dans le cadre d’une assemblée plénière de la Cour. A moins que l’une des parties ne veuille saisir la Cour commune de justice et d’arbitrage dont le siège est à Abidjan, en Côte d’Ivoire.
La partie saisissante mettra en avant l’application ou l’interprétation du droit OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires) et mettre en avant le statut des deux protagonistes : tous les deux commerçants et la reconnaissance de dette étant un acte de commerce.

Par la rédaction de Enjeux Africains