Initialement programmée hier, l’élection du nouveau bureau de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a finalement été reportée au 15 juillet. Conséquence d’un cafouillage qui cache mal une bataille rangée pour la présidence de l’institution.

Le communiqué "très urgent" signé par le ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, Clément Sawadogo est tombé hier après-midi : l’élection du présidents et des vice-présidents de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) initialement prévue le lundi 12 juillet est reportée au jeudi 15 juillet à 15 heures. Par ailleurs, chaque commissaire est invité à déposer son curriculum vitae au cabinet de Monsieur le président du Conseil constitutionnel au plus tard le 13 juillet en vue de la prestation de serment".
Ce report, faut-il le souligner, a été décidé suite à une lettre du chef de file de l’opposition dans laquelle il a dénoncé le non respect de la procédure devant conduire à l’élection régulière du président de la CENI, toujours issu de la société civile et des vice-présidents désignés par la majorité et l’opposition sur une base égalitaire.
“Avant leur entrée en fonction, les membres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et ceux de ses démembrements prêtent serment respectivement devant le Conseil constitutionnel et le tribunal de grande instance de leur ressort”, rappelle le CFOP, précisant que, toujours la loi, "les commissaires ne peuvent poser un acte légal qu’après leur prestation de serment qui sanctionne leur prise de fonction". Or, les quinze (15) commissaires ont été nommés en conseil des ministres le 7 juillet dernier et n’ont toujours pas prêté serment devant le Conseil constitutionnel. Ils ne jouissent donc pas de la légalité requise pour poser un acte qui relève de leurs attributions.
Le ministre d’Etat Clément Sawadogo s’est trouvé dans l’obligation de reporter de trois jours l’élection du bureau de la CENI, mais rien ne dit que ce nouveau rendez-vous serra tenu. Dans le même courrier adressé au Ministre d’Etat, le CFOP a récusé un commissaire désigné par la société civile, en l’occurrence Bonaventure Dimsongdo Ouédraogo, Chef de SAO. Son crime ? Ce représentant des autorités coutumières "est politiquement engagé et manifestement partisan. Précédemment député de la 4ème législature sur la liste CDP, il s’est affiché comme membre actif de la direction MPP de campagne du candidat Roch Marc Christian KABORE à Boussé, province du Kourwéogo lors des campagnes électorales de Novembre 2020", écrit le CFOP. Le chef de Sao est par conséquent disqualifié pour siéger en tant que commissaire de la CENI, sa neutralité étant mise en cause. Le CFOP demande de proposer un autre commissaire et menace de boycotter le renouvellement du bureau de CENI si sa demande n’est pas satisfaite.

A la lecture du communiqué du ministre d’Etat, on a l’étrange sentiment que le département dont il a charge a été pris de court dans le processus de renouvellement du bureau de la CENI alors même que la date d’expiration du bureau sortant est connue depuis le jour de sa mise en place. D’où cette précipitation à organiser en catimini l’élection du président et des vice-présidents de la CENI, quitte à prendre des libertés avec les dispositions de la loi.
A vrai dire, ce cafouillage incompréhensible cache en réalité une bataille souterraine pour le contrôle de la présidence de cette institution chargée d’organiser les élections démocratiques dans notre pays. Autrement dit, ravir le fauteuil présidentiel à Ahmed Newton Barry, commissaire au compte de la Fédération des associations islamiques du Burkina (FAIB) et candidat à sa propre succession est aux yeux de certains, un enjeu politique qu’il faut réussir à tout prix.
Tout observateur de la vie politique aura d’ailleurs remarqué la troublante coïncidence entre la publication le 10 juillet sur sa page Facebook par Newton Ahmed Barry (NAB) de son bilan à la tête de la CENI et celle de deux courriers du ministre de l’Economie, des finances et du développement (MINFID). Dans une lettre datée du 1er avril 2021 en réponse à une correspondance du président de la CENI dans laquelle il demandait l’autorisation du ministère pour régulariser certaines dépenses exécutées sans contrats d’un montant de 1,286 079 455 milliards de F CFA, le ministère avait conditionné son accord aux résultats d’un audit préalablement réalisé par ses services. Une condition que NAB a acceptée dans une lettre du 6 avril, se disant disposé, lui et son équipe à accueillir et faciliter la réussite de la mission des auteurs. L’audit réalisé par trois inspecteurs s’est effectivement déroulé du 22 avril au 12 mai 2021 dans les locaux de l’annexe de la CENI, à la cité An III.
Les inspecteurs ont passé au peigne-fin les dépenses effectuées en urgence, la veille et le jour même du déroulement du scrutin de novembre 2020. Il s’agit principalement de marchés liés à l’insertion de spots TV et radio, à la publication de communiqués dans dans les journaux imprimés, à l’impression de bulletins de vote, de PV, de feuilles de résultats, à la location d’un aéronef pour transporter le matériel de vote dans des zones inaccessibles par la route, à la location d’une salle pour des formations et de confection de badges pour les observateurs des élections.
Le rapport d’audit sur les dépenses d’un montant de 1,286079455 milliard effectuées dans le cadre des élections de novembre 2020 sans observations des procédures de passation et d’exécution des marchés publics, que Kaceto.net a pu consulter indique clairement que les prestations ont bel et bien été exécutées et que les paiements pouvaient être autorisés.
Sur plusieurs dizaines de marchés conclus en urgence, le paiement de seulement six (6), d’un montant de 2, 400 000 millions de F CFA n’a pas été autorisé par les inspecteurs. Il s’agit de la diffusion de spots et de communiqués dans des radios à Boulsa, Fada Ngourma, Koupéla, Tenkodogo, dans le Nayala et la location d’une salle à l’Institut supérieur privé polytechnique. Selon nos informations, ces prestataires n’ont pas apporté les preuves matérielles que les prestations ont été exécutées. "Dès que les preuves sont apportées, ils seront payés sans tarder", nous a confié une source au Trésor public.
Ceux qui surfaient sur une mauvaise gestion des dépenses liées aux élections de novembre dernier par NAB pour disqualifier sa candidature à un second mandat à la tête de la CENI en ont donc pour leurs frais. "Si la FAIB lui a renouvelé sa confiance en le reconduisant en le choisissant à nouveaux comme représentant à la CENI, ce n’est pas pour qu’il y siège en simple commissaire", commente un autre commissaire de la société civile.
Reste que manifestement, la majorité présidentielle ne semble pas prête à lui apporter son soutien à un second mandat, ses préférences allant vers un autre commissaire.

Dominique Koné
Kaceto.net