Le Mouvement U Gulmu Fi appelle à une nouvelle manifestation le 31 juillet prochain sur l’ensemble de l’Est pour interpeller le gouvernement sur les problèmes auxquels les filles et les fils de la région sont confrontés et qui attendent que des solutions leur soient apportées.
Dans l’interview que le coordonnateur du Mouvement, Emmanuel Ouoba a accordée à Kaceto.net, il explique les motifs de cet appel à la mobilisation tout en saluant les efforts consentis par le gouvernement dans la satisfaction de leur plateforme revendicative.

Pour quels motifs raisons appelez-vous à une nouvelle manifestation le 31 juillet prochain ?

En fait, nous voulons faire le bilan de la manifestation du 24 avril dernier car très sincèrement, la plupart des nos revendications ne sont pas satisfaites. Sur certains points de notre plateforme, la situation s’est empirée notamment au plan sécuritaire où des villages entiers se vident de leurs populations. Certes, il y a eu des avancées, mais globalement, ça ne va pas.

Sur la santé, il y a eu des avancées en termes de ressources humaines car 15 médecins ont été envoyés au CHR de Fada dont 11 spécialistes et 4 généralistes.
Mais il y a un bémol : le manque d’équipements pour que les spécialistes puissent faire correctement leur travail. C’est criard dans beaucoup d’unités et lors de sa visite ici, le ministre de la Santé, Charlemagne Ouédraogo nous a dit qu’il y avait un plan d’urgence pour les hôpitaux et que tout cela sera pris en compte. Reste que ce plan d’urgence doit d’abord être adopté par le ministère, ensuite qu’il soit présenté et adopté par le conseil des ministres avant sa mise en oeuvre. L’attente sera encore longue.
Depuis plusieurs mois, voire années, le CHR est confronté à des délestages récurrents alors que le groupe électrogène n’est pas en bon état pour prendre le relais. Sur ce point, également, il y a un début de solution puisque grâce au soutien du Conseil régional, un nouveau groupe électrogène a été acquis et est effectivement sur place. Il reste maintenant à l’installer et le mettre en marche, en espérant qu’il sera bien fonctionnel et que la maintenance sera bien assurée.

Il y aussi ce fameux chantier d’extension du CHR qui est à l’abandon et qui est très vilain à voir. Les fouilles ont été faites, et puis, plus rien ! L’entrepreneur a disparu depuis au moins deux ans et personne aujourd’hui ne peut nous dire qui est-il et pourquoi le chantier est à l’abandon. Nous avons rencontré le directeur du CHR et il nous a dit qu’il venait d’arriver et n’a pas encore eu le temps de s’imprégner du dossier. Le ministre a vu le chantier abandonné, qui représente un danger pour le public parce que c’est devenu un bassin. En cas de fortes pluies fortes, les inondations sont à craindre. Ce que nous voulons, c’est avoir la lumière sur ce dossier et savoir quand les travaux vont reprendre.
Autre point à noter, c’est le manque d’ambulances dans environ 16 CSPS dans la région. On nous a dit qu’elles seront bientôt livrées, mais ça reste vague !.

Les travaux de construction ou de réhabilitation des infrastructures routières étaient figuraient également sur votre plateforme...

C’est vrai ! Et sur ce point, c’est vraiment embarrassant et inquiétant. Quand nous avons rencontré le président du Faso le 22 avril dernier, lui-même ne semblait pas à l’aise sur le dossier. On nous dit, oui le financement est acquis, le premier ministre Christophe Dabiré est venu lui-même lancé les travaux le 19 septembre 2020 et dix mois après, il n’y a toujours rien ! A la veille de la manifestation du 24 avril dernier, l’entreprise, pour ses besoins de communication, a fait semblant de travailler en raclant les voies de déviation que les usagers de la route ont eux-mêmes créées. Puis, plus rien. Le tronçon Gounghin-Fada est actuellement dans un état de dégradation très avancé et c’est un calvaire pour les usagers. Mais il y a pire ailleurs sur les autres axes reliant les localités de la région et il faut craindre qu’avec les pluies qui tombent, certaines régions ne soient totalement coupées du pays, comme par exemple entre Pama et la Kompienga. Pourtant, sur ce tronçon, des travaux d’urgence avaient été programmés et après on nous explique que les entreprises n’ont pas la capacités financières pour les terminer ou qu’elles ont fui pour des raisons sécuritaires. Bref, il y a un épais mystère qui entoure le dossier tronçon Gounghin-Fada. Récemment, nous avons eu des entretiens avec le gouverneur de la région et le directeur régional des Infrastructures. Lors des discussions, ils nous ont demandé de mettre en place un comité de suivi, ce qui pour nous n’est pas nécessaire. Soyons sérieux ! Si les travaux commencent et avancent, tout le monde verra bien puisque c’est en plein air. Nous en tant que mouvement, nous n’avons pas besoin de mettre en place un comité de suivi parce que nous pouvons à tout moment nous déplacer sur les lieux et constater ce qui se passe. Nous refusons ce qui ressemble à une fuite en avant !


Comment appréciez-vous la question sécuritaire dans votre région ?

C’est la question la plus délicate sur laquelle, on a du mal à discuter parce qu’on ne peut pas nous dire où est le problème et ce qu’on va faire pour le régler. Or, la situation ne fait qu’empirer, le nombre de déplacés internes augmente et il y a des localités entières où on ne peut plus résider. L’’année dernière, les gens ont eu le bonheur d’avoir pu cultiver, mais cette année, ils ont foutu le camp pour sauver leur vie. C’est le cas de la zone de Matiacoali où les gens ont afflué vers le centre de la ville. Pareil pour les localités de Nagré, Natiaboani où les gens sont réduits au chômage. Le cas le plus emblématique, c’est Madjoari, une localité de 14 000 habitants et où il n’en reste que 2000 ! Et ceux qui y résident toujours sont totalement isolés : on ne peut même pas faire entrer une noix de cola encore moins des vivres. Tout est confisqué par les terroristes, leur objectif étant de vider totalement la localité de ses habitants, l’occuper totalement et y mener leurs activités. Il y a pourtant un camp militaire dans la zone, mais on ne le sent pas.
Le corollaire de tout cela, c’est la catastrophe l’humanitaire qui en résulte. Sans ravitaillement, les gens n’ont pas à manger et les tueries de juin dernier les ont poussé à l’exode. Il faut faire quelque chose !

Quid de l’usine de phosphate ? Vous suspectez le gouvernement de vouloir l’implanter Koupéla au lieu de Kodjari. Avez-vous des éléments de preuves ou est-ce de simples spéculations ?

Pour beaucoup de ressortissants de la région de l’Est, ce ne sont pas des spéculations et ils se battent pour que l’usine de phosphate soit implantée dans la Tapoa. Quand nous avons rencontré le président du Faso, il nous a clairement dit qu’il n’y avait pas de lien entre l’usine de production d’engrais de Koupéla et le phosphate de Kodjari. A Koupéla, c’est juste un simple mélangeur alors qu’à Kodjari, c’est tout autre chose. Le directeur DG de la Société d’exploitation des phosphates du Burkina que nous avons également rencontrés nous a donné la même exploitation : le projet est de mettre en place une unité de production à Kodjari pour la transformation du phosphate sur place à Diapaga. Reste qu’il faut d’abord trouver des partenaires qui acceptent de financer ! On est donc au stade d’intention en réalité, mais nous souhaitons vivement la mise en place d’un complexe industriel dans la zone car c’est un projet qui existe depuis 1978. Cela profitera à la population notamment à travers la responsabilité sociale des entreprises.

Autour de tous ces points de votre plateforme, peut-on dire qu’il y a une union sacrée des filles et fils de la région de l’Est ?

Non, ce n’est vraiment pas l’union sacrée et il faut que je sois franc avec vous. Quand on préparait la manifestation d’avril dernier, le ministre des Infrastructures Eric Bougouma est venu nous dire que les travaux avaient commencé et qu’il est allé lui-même visité le chantier. Je ne sais pas pour qui ils nous prenait ! Est-ce qu’on peut cacher des travaux en plein air ? Déjà en 2017, le même ministre était venu rencontrer les forces vives et leur avait dit que les travaux allaient commencer. Pour prouver sa bonne foi, il a même dit avoir pris des engagements avec le défunt roi le Kupiendéli et qu’il n’allait quand même pas mentir au roi ! A l’expérience, rien ne s’est passé et tous ceux qui croyaient à la parole officielle ont maintenant compris qu’il fallait bouger.
Ce que je retiens, c’est que même si ce n’est pas l’union sacrée, tout le monde est dans la même dynamique de la manifestation prévue le 31 juillet prochain et c’est l’essentiel.

Interview réalisée à Fada Ngourma par Joachim Vokouma
Kaceto.net