L’actualité minière africaine est animée par le litige entre l’australien Sundance Resources et deux pays africains, le Cameroun et le Congo, au sujet du grand projet de minerai de fer Mbalam-Nabeba. Voilà plus de 15 ans que cette société junior est présente sur le site, mais n’a produit aucun gramme de fer. Maintenant que les Etats ont décidé de lui retirer ses licences, elle engage une action en justice. Charles Bourgeois, associé du cabinet Bourgeois-Itzkovitch AARPI et spécialiste du droit minier, nous donne son avis sur cette situation malheureusement courante dans le paysage minier africain. Il aborde aussi pour l’Agence Ecofin, l’aspect juridique de la question.

Agence Ecofin : Que pensez-vous de la situation au Cameroun ?

Charles Bourgeois : Il m’est difficile de me prononcer sur le fond du dossier, mais ce qui semble se passer actuellement sur le projet Mbalam-Nabeba est loin d’être un cas isolé, que ce soit en Afrique ou ailleurs dans le monde. C’est malheureusement à peu près toujours la même histoire, la découverte d’un important gisement dont l’exploitation nécessite la construction d’infrastructures lourdes de transport, devant parfois traverser plusieurs pays et situé dans une région difficile d’accès et/ou éloignée de la façade maritime.
Les sociétés minières ayant les capacités pour réaliser ce genre de projets sont extrêmement rares dans le monde, car les coûts de développement se chiffrent généralement à plusieurs milliards de dollars sans aucune garantie de retour sur investissement.
Il existe dès lors, naturellement d’énormes tensions juridiques et politiques entre les gouvernements et les opérateurs miniers qui se cristallisent généralement sur la capacité financière et technique des titulaires de permis à mener à bien ces « super-projets » miniers, ainsi que sur la volonté politique des gouvernements à respecter leurs engagements sur le long terme. L’exemple des « Monts Nimba » en République de Guinée illustre, me semble-t-il, parfaitement la difficulté qui existe pour les Etats et les opérateurs miniers à développer ce type de projet en Afrique.

AE : Au Cameroun, plusieurs petites sociétés vides viennent prendre des licences d’exploration, certaines se font des plus-values sans exploiter les gisements. Tout cela au détriment de l’Etat et du peuple. Il y a plusieurs exemples, Geovic Mining, Hydromine… Est-ce une insuffisance du code minier camerounais ?

CB : Il faut faire attention à bien distinguer ce que l’on appelle communément les « juniors minières » des sociétés ne possédant aucun actif minier, ni aucune expérience en la matière au sein de ses employés. Si ces dernières sociétés peuvent se révéler nuisibles, les juniors minières ont, quant à elles, un véritable rôle dans le jeu minier, et ce, même si elles font parfois d’importantes plus-values en cédant leurs droits miniers avant toute exploitation des gisements concernés.
Tout d’abord, parce que dans toute activité minière, la phase de recherche et d’exploration est de loin la plus risquée. La rémunération du capital étant normalement corrélée au risque, il est normal que des sociétés ayant pris un risque financier important puissent obtenir, en cas de découverte, une contrepartie financière en conséquence. Ensuite, parce que l’exploration et l’exploitation d’un gisement minier sont deux métiers très différents qui ne requièrent pas les mêmes compétences et les mêmes capitaux. C’est la raison pour laquelle de nombreuses sociétés minières internationales font le choix d’acquérir des permis miniers déjà mis en valeur par des juniors minières au lieu de financer en interne la prospection et la recherche de gisements.
Cela dit, l’Etat a un rôle important à jouer afin, dans un premier temps, de s’assurer que les permis de recherche sont accordés à des sociétés disposant de la capacité technique et financière permettant la potentielle découverte de la ressource minière. De plus, il doit contrôler que chaque titulaire de ces permis respecte bien ses engagements financiers et opérationnels conformément aux dispositions de la législation minière applicable.
Que ce soit au Cameroun ou dans d’autres pays de la sous-région, les dispositions des codes miniers prévoient généralement des obligations à la charge des titulaires de permis de recherche, dont il appartient aux Etats de faire respecter l’application.

AE : Le Cameroun n’est pas le seul pays africain touché. Dans d’autres pays, des compagnies détiennent des licences sur plusieurs années sans développer les projets. Certains pensent que les excuses qu’elles donnent après (état du marché pour la plupart) sont futiles et qu’elles n’ont jamais eu l’intention de développer les gisements, quel est votre avis ?

CB : Derrière les polémiques et les postures de circonstance, il est important de s’en tenir au droit applicable à chaque permis minier. En zone CEMAC ou CEDEAO, les codes miniers sont de plus en plus harmonisés et prévoient pour la plupart d’entre eux des dispositions encadrant strictement le renouvellement des permis de recherche. Il faut savoir qu’un permis de recherche est généralement attribué pour une première période initiale (par exemple 3 ans) au terme de laquelle le titulaire du permis peut demander un ou plusieurs renouvellements sous réserve du respect des obligations fixées par le code minier.
Cela signifie que lorsque les sociétés détiennent des permis de recherche pendant de nombreuses années sans demander de permis d’exploitation, et donc sans commencer la mise en production du gisement, soit ces dernières respectent la législation minière applicable en ayant obtenu un ou plusieurs renouvellements de leurs permis de recherche, soit c’est l’Etat qui est défaillant dans le contrôle et la sanction de la règle de droit applicable qui peut aller jusqu’au retrait du titre minier. A ma connaissance, les niveaux du cours des matières premières sur les marchés mondiaux ne sont pas un critère prévu dans les législations minières africaines afin de permettre la suspension des obligations de travaux et d’investissements des titulaires de permis de recherche…

AE : Selon vous donc, les codes miniers prévoient des sanctions et la faute est imputable aux Etats si les sociétés sans moyens font une éternité sur les projets. Qu’est-ce qui peut expliquer autant de « laxisme » de la part des autorités africaines ?

CB : Attention. Tout n’est pas aussi simple. Il n’y a pas d’un côté l’Etat totalement laxiste dans le suivi des obligations des sociétés minières et de l’autre, l’opérateur minier opportuniste qui, faute d’argent, reste assis sur son gisement en attendant une grosse plus-value.

Ici encore, il faut bien distinguer le cas de « juniors minières » des sociétés « fantômes » qui ne disposent d’aucune capacité financière et technique pour effectuer des travaux d’exploration.
Concernant les juniors minières, ces dernières ont généralement tout intérêt à suivre la règle de droit applicable pour les renouvellements de leurs permis de recherche puisque la valorisation de ces sociétés, dont la plupart sont cotées en bourse, repose principalement sur l’existence et la validité du titre minier. Dans cette hypothèse, il peut exister parfois des défaillances des Etats africains dans le suivi des obligations des sociétés minières et notamment concernant le contrôle de l’investissement minimum à réaliser par l’opérateur pour chaque période de validité du permis de recherche et de la réalité des travaux de recherche engagés sur le terrain.
Concernant le cas des « sociétés fantômes » détenant des permis de recherche totalement inactifs depuis de nombreuses années, le laxisme des Etats africains dans le contrôle de ses titres miniers s’explique malheureusement encore trop souvent par la corruption ou le manque de moyen au niveau de l’autorité de tutelle afin de diligenter des audits des différents permis miniers inscrits sur des cadastres encore trop souvent défaillants.

AE : Comment peut-on donc différencier une junior-minière d’une compagnie vide qui n’a pas les moyens ? Comment les Etats peuvent-ils faire pour s’assurer qu’ils ne concluent pas des partenariats avec des compagnies sans moyens ?

CB : Dans la majorité des codes miniers de la zone CEDEAO et CEMAC, l’attribution de permis de recherche se fait suivant le principe du « premier venu, premier servi » à la personne morale qui en fait la demande, à charge pour l’autorité de tutelle de s’assurer que cette dernière possède les capacités techniques et financières nécessaires pour mener à bien les travaux de recherche. Et c’est là tout le problème, car il n’existe pas, à ma connaissance, de critères objectifs permettant aux Etats de s’assurer que le demandeur d’un permis de recherche répond bien à ces critères.
Il existe toutefois des faisceaux d’indices permettant aux Etats d’obtenir une première idée sur le profil du demandeur d’un permis de recherche, à savoir par exemple l’expérience minière des dirigeants, la pertinence du programme de travaux, le montant des fonds propres de la société, la composition de son actionnariat, les garanties financières apportées ou encore l’existence d’une cotation en bourse. Autrement dit, il s’agit de renforcer le contrôle de l’Etat sur les conditions d’attribution des permis d’exploration et/ou de recherche afin de limiter l’existence de ces « sociétés fantômes » qui détiennent des titres miniers sans intention de les explorer.

AE : Des pays commencent par en avoir marre et décident d’annuler les licences non utilisées, c’est le cas de l’Ethiopie par exemple… Est-ce finalement la bonne chose à faire ?

CB : C’est le contraire qui serait condamnable. Je m’explique. La délivrance d’un permis d’exploration ou de recherche à un opérateur minier n’est pas un acte administratif ouvrant un droit illimité à son titulaire de procéder ou non à des travaux miniers sur le périmètre de recherche attribué. Dans l’hypothèse où ce dernier ne respecterait pas ses engagements de travaux, l’Etat doit pouvoir le sanctionner, et lui retirer son titre minier afin de le rendre disponible à la prospection pour d’autres sociétés minières.

En outre, en plus de privilégier la bonne application du droit existant, l’autre défi des Etats africains sera de veiller notamment à bien tenir à jour les cadastres miniers. En effet, il existe dans de trop nombreux pays africains de graves défaillances dans la tenue du cadastre minier ; ce qui empêche matériellement les Etats de contrôler le respect de leur législation minière par les titulaires de permis miniers.

Agence Ecofin