Plusieurs représentants afghans, dont l’ancien vice-président Abdullah Abdullah, ont annoncé dimanche que le chef de l’Etat avait quitté le territoire. Les talibans assurent souhaiter un transfert « pacifique » du pouvoir.

Il ne leur restait plus que Kaboul à conquérir. Alors que les talibans affirment ne pas avoir l’intention de prendre la capitale afghane par la force, le président afghan, Ashraf Ghani, a quitté le territoire, signant ainsi l’épilogue d’une reconquête éclair par les insurgés. L’annonce a été faite sous couvert d’anonymat par deux représentants afghans à l’agence de presse Associated Press (AP), dimanche 15 août, ainsi que par l’ancien vice-président Abdullah Abdullah dans une vidéo postée en ligne. La présidence afghane n’a pour l’heure pas commenté, invoquant des raisons de sécurité.
Les talibans ont intimé aux combattants d’éviter toute violence à Kaboul, de laisser passer les personnes qui veulent partir et demandé aux femmes de se mettre dans des endroits sûrs, selon un de leurs responsables à Doha, cité par l’agence de presse Reuters. « J’ai ordonné aux forces de sécurité (…) de garantir la sécurité de tous nos concitoyens. C’est notre responsabilité et nous le ferons de la meilleure manière possible. Quiconque pense à créer le chaos ou à piller sera traité avec force », avait déclaré plus tôt Ashraf Ghani, dans un message vidéo envoyé dimanche à la presse. Appelant les Afghans à « ne pas s’inquiéter », le ministre de l’intérieur, Abdul Sattar Mirzakwal, a assuré qu’un « transfert pacifique du pouvoir » vers un gouvernement de transition allait avoir lieu.
De leur côté, les talibans veulent prendre le contrôle du pouvoir en Afghanistan « dans les jours à venir » par un transfert « pacifique », a dit à la BBC Suhail Shaheen, un porte-parole basé au Qatar dans le cadre d’un groupe engagé dans les négociations. « Nous voulons un gouvernement inclusif (…) ce qui veut dire que tous les Afghans en feront partie », a-t-il assuré.
Les talibans avaient aussi pris, dimanche, le contrôle du dernier poste-frontière encore aux mains du gouvernement afghan : celui de Torkham, à la frontière avec le Pakistan, a déclaré dimanche le ministre de l’intérieur pakistanais, Sheikh Rashid Ahmed. Cela signifie que les insurgés ont désormais la maîtrise de l’ensemble des frontières afghanes, faisant de l’aéroport de Kaboul la dernière porte de sortie du pays.
Quelques heures plus tôt, ils s’étaient emparés sans résistance de la ville de Jalalabad (est), après avoir pris Mazar-e Charif, la quatrième plus grande ville afghane et le principal centre urbain du nord du pays. En à peine dix jours, les talibans, qui avaient lancé leur offensive en mai, à la faveur du début du retrait final des troupes américaines et étrangères, ont donc pris le contrôle de la grande majorité du pays et sont arrivés aux portes de Kaboul, complètement encerclée.

Déroute totale pour l’armée

Une poignée de villes mineures sont encore sous le contrôle du gouvernement, mais, dispersées et coupées de la capitale, n’ont plus une grande valeur stratégique. La déroute est totale pour le gouvernement du président, Ashraf Ghani, et pour les forces de sécurité afghanes, pourtant financées pendant vingt ans par les Etats-Unis.
Face à l’avancée fulgurante des talibans, des dizaines de soldats afghans se sont réfugiés en, Ouzbékistan voisin, ont annoncé dimanche les autorités de Tachkent dans un communiqué. En juillet, un millier de soldats afghans avaient déjà traversé la frontière vers le Tadjikistan après des combats avec les talibans. Les troupes ouzbèkes à la frontière entre les deux pays ont arrêté 84 soldats afghans et des discussions ont été engagées avec les autorités afghanes pour organiser leur retour dans leur pays, a fait savoir le ministère des affaires étrangères ouzbek.
Le chef de l’Etat avait dit faire de la « remobilisation [des] forces de sécurité et de défense » la « priorité numéro un ». Mais son message ne semble guère avoir été entendu. Ashraf Ghani se retrouve sans autre option que de devoir choisir entre capituler et démissionner, ou poursuivre le combat pour sauver Kaboul, au risque d’être responsable d’un bain de sang. Il avait toutefois ajouté samedi que des « consultations » étaient en cours pour trouver une « solution politique » garantissant la paix et la stabilité.

Ces déclarations n’ont pas empêché la panique de s’emparer de la capitale depuis samedi. Les magasins ont fermé, des embouteillages monstres sont apparus, des policiers ont été vus troquant leur uniforme pour des vêtements civils. Une énorme cohue était visible aux abords de la plupart des banques, les gens cherchant à retirer leur argent tant qu’il était encore temps. Les rues étaient aussi remplies de véhicules chargés à ras bord tentant de quitter la ville, ou de se réfugier dans un quartier que les gens estiment plus sûr.

Evacuation des diplomates étrangers

Face à l’effondrement de l’armée afghane, le président américain, Joe Biden, a porté à 5 000 soldats le déploiement militaire à l’aéroport de Kaboul pour évacuer les diplomates américains et les civils afghans ayant coopéré avec les Etats-Unis et qui craignent pour leur vie. Le Pentagone évalue à 30 000 le nombre de personnes à évacuer.
Comme la veille, les hélicoptères américains continuaient dimanche leurs rotations incessantes entre l’aéroport et l’ambassade américaine, un gigantesque complexe situé dans la « zone verte », ultrafortifiée, au centre de la capitale. Le président des Etats-Unis a menacé les talibans d’une réponse « rapide et forte » en cas d’attaque qui mettrait en danger des ressortissants américains lors de l’opération d’évacuation.
Mais il a aussi défendu sa décision de mettre fin à vingt ans de guerre, la plus longue qu’ait connue l’Amérique, lancée dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001. « Une année ou cinq années de plus de présence militaire américaine n’aurait fait aucune différence, quand l’armée afghane ne peut ou ne veut pas défendre son propre pays », a-t-il affirmé. L’ambassade américaine a ordonné à son personnel de détruire les documents sensibles et symboles américains qui pourraient être utilisés par les talibans « à des fins de propagande ».
Londres a parallèlement annoncé le redéploiement de 600 militaires pour aider les ressortissants britanniques à partir, et fait savoir dimanche que le parlement serait convoqué en urgence pour discuter de la situation en Afghanistan. Plusieurs pays occidentaux vont réduire au strict minimum leur présence, voire fermer provisoirement leur ambassade. C’est le cas par exemple du Canada ou encore de l’Allemagne. Le ministère des affaires étrangères allemand a ainsi annoncé dimanche avoir fermé l’ambassade allemande de Kaboul, invitant ses ressortissants à quitter le pays. Le personnel de l’ambassade néerlandaise, lui, a été évacué la nuit dernière et officie désormais depuis un endroit proche de l’aéroport, a détaillé dimanche le ministère des affaires étrangères des Pays-Bas.

Priorité à la sécurité des Français encore sur place, selon l’Elysée

« La priorité immédiate et absolue dans les prochaines heures est la sécurité » des Français « qui ont été appelés à quitter l’Afghanistan, ainsi que des personnels sur place, français et afghans », a réagi dimanche l’Elysée, face à la « dégradation très préoccupante de la situation en Afghanistan ».
« Ces opérations, qui concernent plusieurs centaines de personnes, ont été menées à bien au cours des dernières semaines et se poursuivent », a précisé l’Elysée. La France est l’un des rares pays qui n’a pas fermé son ambassade et appelle depuis avril les ressortissants français à quitter le pays.
De son côté, la Russie ne prévoit pas d’évacuer son ambassade à Kaboul, a fait savoir dimanche un responsable du ministère des affaires étrangères russe à l’agence de presse Interfax. Moscou dit également œuvrer pour la tenue d’une réunion urgente du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies.
Les talibans, qui veillent à afficher une image plus modérée que lorsqu’ils dirigeaient le pays, entre 1996 et 2001, ont maintes fois promis que s’ils revenaient au pouvoir, ils respecteraient les droits humains, en particulier ceux des femmes, en accord avec les « valeurs islamiques ». Ils ont aussi promis qu’ils ne chercheraient à se venger de personne, y compris des militaires ou fonctionnaires ayant servi pour l’actuel gouvernement. Mais, dans les zones nouvellement conquises, ils ont déjà été accusés de nombreuses exactions : meurtres de civils, décapitations, enlèvements d’adolescentes pour les marier de force, notamment.

Le Monde avec AP