La prise du pouvoir par les Talibans à Kaboul et la déroute de l’armée nationale suscitent moult commentaires. Quel rapprochement peut-on faire avec l’actualité dans les pays du Sahel ? Tentative de réponse avec notre chroniqueur Maixent Somé.

Le rôle joué par les "Barbes Blanches", les chefs traditionnels afghans dans la chute sans combat du régime de Kaboul est très peu commenté. Mais nous au Sahel, devrions examiner attentivement ce point, leur double jeu pendant 20 ans !
Ce sont eux qui ont fait la navette entre les casernes et les assiégeants Talibans, pour négocier la reddition des villes et demander aux garnisons de se rendre sans combattre !
Pourtant, ils ont largement bénéficié des 2 000 milliards déversés par les USA en 20 ans sur le pouvoir, l’armée, et les notables afghans.
Nous voyons les Talibans comme d’affreux fanatiques. Les quelques Afghans occidentalisés aussi. Pas la majorité des Afghans, et pas uniquement les pachtounes.
Le Tadjik Ahmed Chah Massoud très apprécié des occidentaux, et l’Ouzbek Abdul Rachid Dostom aussi appliquaient la charia de la même manière.
Et désormais, on trouve toutes les ethnies et toutes les régions dans ce mouvement.
La société afghane est restée très conservatrice, tribale, clanique et patriarcale.
Ses deux piliers sont là tradition et l’islam rigoriste.
Nous avons le même problème avec les populations de certaines régions du Mail, du Burkina, du Niger, qui n’ont aucun soucis avec la Charia. Elles ont toujours vécu en marge de la république.
Et même une partie de nos intellectuels musulmans, en particulier ceux qui sont allés faire des études à l’université de Médine avec des bourses saoudiennes, attribuent la faillite de nos états à leur modèle occidental et rêvent de les remplacer par le modèle oriental et islamique. Exactement comme ceux qui allaient à l’université Patrice Lumumba de l’Amitié des Peuples à Moscou avaient pour mission de travailler à l’instauration de régimes communistes dans leurs pays à leur retour !
Seulement, voilà. Beaucoup y sont allés faire des études en théologie au lieu d’en faire d’autres pourtant enseignées dans cette université, si bien qu’il est difficile de les intégrer dans l’administration.
Voilà pourquoi depuis quelques années, ils poussent l’idée de quotas confessionnels dans l’administration. Le naufrage et le blocage du Liban montrent pourtant la dangerosité d’un tel système.
Ça, c’est l’un des grands tabous au Burkina. Un de ces fameux "sujets sensibles" et ce n’est pas un hasard si le Soum et Pouytenga sont particulièrement infestés de jihadistes.
Aucune rébellion armée ne peut prospérer si elle ne fait pas corps avec la majorité des populations dans son bastion. Si les rebelles n’y sont pas comme poisson dans l’eau. C’est pourquoi Mao parlait de vider la mare (déplacement forcé des populations) pour attraper le poisson (les rebelles) !
Technique que les américains mettront en pratique pendant leur guerre du Vietnam.
Au Mali, les choses sont de plus en plus claires et ouvertement exprimées. Pensez à la déclarations de l’imam Dicko qui lui avait valu une convocation du procureur pour sédition. Le procureur "zélé" fut désavoué par le gouvernement impotent de IBK face à la mobilisation des supporters de l’imam Dicko.
Or, lors de ce discours, l’imam Dicko appelait à abroger la constitution, le parlement, le gouvernement ainsi que d’autres institutions et à instaurer la loi islamique (charia).
En clair, le califat ou la république islamique !
Le Soudan et la Mauritanie ont connu une telle évolution dans la région.
Hier encore, plusieurs centaines de personnes étaient près du Camp1 de la Gendarmerie à Bamako pour apporter leur soutien à deux imams qui y étaient convoqués. Un ministre de la transition a même quitté son bureau pour se joindre à eux.
Pensez également à la récente sortie du ministre malien des cultes qui a déclaré que le Mali est une république islamique !
Au Burkina, comme d’habitude, tout le monde sait, mais personne n’ose l’exprimer publiquement. Je ne sais d’où vient cette culture burkinabè qui consiste à dénoncer bruyamment des généralités, et à éviter soigneusement les problèmes concrets et précis, surtout lorsqu’ils sont structurants et déterminants.
Plus je lis et écoute les vrais experts de l’Afghanistan, plus je vois des parallèles avec les pays du Sahel malgré les différences évidentes, et moins je crois que la forme de démocratie libérale dont nous rêvons dans ces pays a des chances de marcher à brève échéance.
Mais bien-sûr, on m’objectera toutes les différences bien réelles qu’il y a entre cette région et celle du Sahel, et entre l’Afghanistan et chaque pays du Sahel.
Sauf que l’un n’exclut pas l’autre !

Maixent Somé
Analyste politique
Kaceto.net