Le sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) le 18 août 2021 principalement consacré à « l’évolution de la situation macroéconomique dans la zone CEMAC en contexte de pandémie du Covid-19 et l’analyse des mesures de redressement » a également abordé d’autres sujets d’intérêt commun au rang desquels l’avenir de la coopération monétaire avec la France.

Hormis le huis clos des chefs d’Etat, ledit sommet tenu par visioconférence a été marqué par la participation des partenaires au développement notamment la Banque mondiale (BM), le Fonds monétaire international (FMI), la Banque africaine de développement (BAD) et la France. Au sujet de la France liée à quinze pays africains par des accords de coopération monétaire « qui constituent un mécanisme de solidarité unique au monde », les dirigeants de la sous-région ont « réitéré leurs orientations à la Commission de la CEMAC et la BEAC (Banque centrale des Etats de la CEMAC) relativement à la réflexion ouverte sur le cadre et les conditions d’une nouvelle coopération monétaire avec la France ».

Ce quatorzième point sur la vingtaine de recommandations ayant sanctionné lesdites assises est loin d’être un fait anodin, en ce sens qu’il participe fondamentalement de la réforme des relations monétaires avec la France dont nombre d’analystes et d’Africains militent pour la résiliation pure et simple de ces accords qui sonnent comme un anachronisme. En plus de maintenir la dépendance de ces pays vis-à-vis de la France, cette situation constitue par ricochet un frein à leur développement.

D’après des sources proches du dossier, revisiter la coopération monétaire entre les pays de la CEMAC et la France impose au moins deux paradigmes. Le premier consisterait à amener la France à quitter le conseil d’administration de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC). Ceci ayant pour conséquence, entre autres, la liberté pour l’institution d’émission monétaire de l’Afrique centrale de battre sa monnaie en toute liberté là où elle veut, et se départir du diktat imposée par la France – accords secrets – dont l’imprimeur François-Charles Oberthur (FCO) détient l’exclusivité de la fabrication de l’argent mis en circulation dans la sous-région, où cette entreprise familiale de droits français réalise des bénéfices substantiels pouvant lui permettre de couvrir plusieurs années d’activité. Le second paradigme objet des débats houleux dans l’opinion est le retrait des pays de la CEMAC de la Zone Franc CFA et la liberté pour eux de battre leur propre monnaie. Une posture plus radicale que celle de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) dont la monnaie communautaire en devenir l’ECO, soutiennent des observateurs, ne serait dans les conditions actuelles qu’un simple changement de nom par rapport au Franc CFA (Communauté financière africaine).

Annulation de la rencontre Biya-Macron

Les mécanismes de coopération monétaire entre la France concernant la CEMAC reposent sur quatre principes fondamentaux : la garantie de convertibilité, la fixité des parités, la libre transférabilité et la centralisation des réserves de change enlèvent toute souveraineté monétaire à ces Etats. Or, dans l’esprit et la lettre des changements attendus, les dirigeants de la CEMAC semblent de plus en plus épouser la posture d’Idriss Déby Itno, l’ancien président tchadien qui ne cachait que peu, l’ambition qu’il nourrissait pour l’Afrique centrale de s’affranchir de la dépendance monétaire et économique envers la France. Plus de soixante ans après les indépendances africaines, il appert qu’au-delà des problèmes de gouvernances qui constituent le ventre mou des pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre, le fait de disposer de leur propre monnaie serrait un atout indéniable sur le chemin de l’émergence.

La recommandation des chefs d’Etat d’Afrique centrale de revoir la coopération monétaire avec la France conforte la position du président de la Commission de la CEMAC, Daniel Ona Ondo, qui confiait à propos que « nos amis de l’UMOA ont pris la décision de créer l’ECO. Mais naturellement l’ECO fait écho en Afrique centrale. Nous sommes en train de négocier. Donc ce dossier est en cours ». Reste à savoir si la CEMAC aura le courage nécessaire pour discuter d’égal à égal avec la France, car au-delà d’un discours officiel tendant à montrer qu’elle ne s’accroche pas sur cet accord scélérat et qu’il revient aux Africains d’en décider, la France fait pourtant feu de tout bois pour que le statu quo soit maintenu.

Selon nos informations, la France verrait d’un mauvais œil des « velléités expansionnistes » des pays Africains de quitter la zone Franc pour créer leur propre monnaie. Avant le dernier sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la CEMAC, les dirigeants de la sous-région avaient donné un mandat clair au président Paul Biya, son président en exercice, de prendre toutes les initiatives nécessaires devant favoriser les réformes monétaires. Dans ce sillage, le chef de l’Etat camerounais qui séjournait alors à Genève en Suisse, dans le cadre d’une visite privée devrait avoir une rencontre avec son homologue français Emmanuel Macron à Paris avant la mi-août courant pour statuer sur le sujet. Un rendez-vous finalement annulé en dernière minute à la demande de la partie française, officiellement, pour des « raisons de calendrier et pour cause de pandémie de Covid-19 ».

Visiblement, la France utilise tous les subterfuges qui lui sont favorables pour bloquer les réformes attendues. Comme on le voit, c’est stricto sensu un problème d’intérêts, toute autre explication n’étant qu’oiseuse. Une situation qui nécessite pour les Etats de la CEMAC et de l’UEMOA de mener une action commune et concertée, si tant que des initiatives individuelles semblent vouer à l’échec. De toute évidence, dans ces batailles politico-économiques, seul le rapport de force à l’avantage des Africains pourrait incliner la balance à leur coté. Et c’est là, tout l’enjeu du puzzle.

f.afrik