Il est parfois difficile, pour celles et ceux qui s’y intéressent, de faire la différence entre un complot réel ou une conspiration réelle et ce qui est souvent appelé « théorie du complot », « théorie conspirationniste », « complotisme » ou « conspirationnisme ». Il y a là une problématique définitionnelle que nous ne développerons pas ici.

Cela dit, la cartographie sémantique ci-jointe, réalisée sur la base de l’analyse d’un corpus significatif de titres de publications francophones en ligne centrés sur cet univers de sens permet de distinguer nettement deux clusters (groupes cohérents) sémantiques :

Le cluster « bleu » sur la cartographie s’articule autour des termes « complot(s) » et « conspiration(s) ». Ce cluster met centralement en évidence les livres (et BD en particulier) et les films et documentaires autour du complot et/ou de la conspiration. Pour les livres on notera en particulier la référence aux « Protocoles des Sages de Sion », une supercherie antisémite et antimaçonnique qui a alimenté les sphères complotistes et conspirationnistes depuis sa parution en 1903, il y a donc plus d’une centaine d’années. En effet ce faux est présenté comme un plan de conquête du monde conçu par les Juifs et les Francs-maçons. Le remarquable roman graphique du dessinateur Will Eisner - « Le complot : L’histoire secrète des Protocoles des Sages de Sion » (Grasset, 2018) - revient sur les origines de cette supercherie. En ce qui concerne les films, il faut bien reconnaître que dans nos sociétés de plus en plus paranos (désolé, fallait que je le dise), le thème du complot ou de la conspiration accroche bien au cinéma, que ce soit à travers des films historiques, de fiction ou même de comédie. Il apporte du suspens, de la tension et des rebondissements aux intrigues autour d’histoires de luttes politiques, d’espionnage industriel, de Guerre froide, de terrorisme et d’assassinats sordides, d’épidémies et de pandémies effroyables, de conquêtes spatiales à visées brumeuses, etc.
Le cluster « orange » sur la cartographie s’articule autour des « théories du complot », des « théories conspirationnistes », du « complotisme », du « conspirationnisme » et des « complotistes »/« conspirationnistes ». Rappelons qu’une « théorie du complot » ou une « théorie conspirationniste » est le récit d’un événement à la lumière d’un complot/d’une conspiration qui est énoncé(e). Ici, les événements sont interprétés suivant un plan supposé concerté et orchestré secrètement par un groupe malveillant. Quant aux termes « complotisme » et « conspirationnisme », ils désignent des modes de pensée, des croyances, des visions du monde, des attitudes, des discours qui sous-tendent les « théories complotistes/conspirationnistes ». Dans « L’imaginaire du complot mondial » (Mille et une nuits, 2006), Pierre-André Taguieff identifie quatre grands principes de base des croyances complotistes/conspirationnistes : « Rien n’arrive par accident ; Tout ce qui arrive est le résultat d’intentions ou de volontés cachées (le fameux « biais d’intentionnalité ») ; Rien n’est tel qu’il paraît être (« méfions-nous de tout ! Doutons de tout ! ») ; Tout est lié, mais de façon occulte. » Passionnant ! On pourra observer sur ce cluster « orange » la part faite aux études, recherches, enquêtes, observatoires autour de ces pensées et discours qui prospèrent aujourd’hui à la faveur de l’Internet et du développement des réseaux sociaux. Par ailleurs, on notera sur ce même cluster la mention d’événements ayant fait l’objet de théories complotistes/conspirationnistes (assassinant de John F. Kennedy en 1963, parution « Protocoles des Sages de Sion », Attentats du 11 septembre 2001 aux USA, attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher en 2015 à Paris, pandémie de la Covid-19) et d’organisations et élites à qui l’on attribue des complots/conspirations (lobbies (Juifs notamment) ; sociétés secrètes (franc-maçonnerie, Illumati et bien d’autres accusés non visibles sur cette carto : gouvernements ou services secrets des Etats-Unis, Etat profond, gouvernement mondial occulte, ONU, OMS ,GAVI, OMC, Banque mondiale, Finance internationale, grandes multinationales, extraterrestres, big pharma, Bill Gates et la Fondation Bill et Melinda Gates, Macron, etc.)) .

La cartographie sémantique ne montre malheureusement pas la dynamique dans le temps des éléments qui la composent. Le graphique ci-après permet d’observer la répartition de la densité des groupes de référence « Complot / conspiration » versus « Complotisme / conspirationnisme » (y compris : théories complotistes / conspirationnistes » dans les titres de publications francophones en ligne entre 2002 et 2021 (en gros, noyau de sens du cluster « bleu » versus « noyau de sens du cluster « orange » de notre cartographie sémantique).

Eh bien, les résultats sont assez parlants : au cours des deux décennies 2002-2021 c’est bien la dimension du « complotisme / conspirationnisme » - comme théories et comme modes de pensée, discours, visions du monde (croyances, imaginaires, représentations sociales), attitudes face au réel - qui a progressivement gagné en visibilité avec une nette accentuation à partir de 2015 (année des attentats contre Charlie Hebdo et contre l’Hyper Casher à Paris). Sommes-nous alors entrés dans l’« Ere de la post-vérité » (ou « Ere post-factuelle ») ? Cette Ere « qui fait référence à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles. » (Selon le Dictionnaire d’Oxford qui en a fait le mot de l’année 2016).

Ousmane Sawadogo, Consultant TM @Text Analytics
Kaceto.net.