Pour décrypter l’actualité et apporter de la profondeur géopolitique et géostratégique aux informations, le professeur Benoit Ngom* traite dans ces colonnes d’une rubrique hebdomadaire, à retrouver tous les jeudis. Cette deuxième chronique traite de la Russie en Afrique.

En réponse à la France qui a décidé unilatéralement de réduire son engagement dans son pays, Monsieur Choquel Kokalla Maiga, Premier Ministre du Mali, déclarait ce mois-ci à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies que « la nouvelle situation née de la fin de Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d’autres partenaires ».

Comme s’il saisissait la balle au bond, lors d’une conférence de presse à l’ONU, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, avait confirmé que Bamako avait approché « des sociétés privées russes » pour lutter contre les terroristes qui malgré la force Barkhane continuaient de régner dans la zone. Faisant écho au Premier Ministre du Mali, le Président français a qualifié ses propos de « honte » et de déshonorant pour son gouvernement qui, étant issu d’un coup d’état de coup d’Etat, n’en n’est même pas un. La présence russe en Libye, en Centrafrique et maintenant au Mali, agace plus d’un tout en montant s’il en était besoin, qu’elle pose, patiemment mais sûrement, ses jalons dans le continent africain.

La reprise des Relations multilatérales entre l’Afrique et la Russie est intimement liée à la volonté profonde du Président Vladimir Poutine qui, après avoir repositionné son pays comme acteur majeur des Relations Internationales, s’est décidé à occuper dans ce continent la place digne de son pays. A cet égard, Poutine déclarait : « si à une époque, nous avons pu donner l’impression d’avoir perdu tout intérêt pour le continent africain, il est de notre devoir de rattraper le temps perdu ».
Dans cet esprit, il n’est point besoin d’épiloguer sur la nature idéologique ou historique du retour de la Russie en Afrique. De notre point de vue, la position de Poutine découle d’une synthèse de données historiques, idéologiques et économiques qui se situe dans l’évolution naturelle de son pays de la période des Tsar’s en passant par celle des révolutionnaires de l’ex URSS pour aboutir aux réalités de la Russie moderne évoluant dans le cadre de la mondialisation.


Naturellement, ce constat entraîne une double interrogation : Que cherche la Russie
en Afrique et qu’est-ce que l’Afrique peut attendre de la Russie ?

La continuité d’une relation historique

La Russie, faut-il le rappeler, est un des 5 membres du Conseil de Sécurité avec un droit de veto qui a fait la démonstration de ses capacités diplomatiques et militaires au Moyen Orient en sauvant le régime Bachar El Assad du naufrage, malgré l’hostilité grandissante des occidentaux. C’est cette Russie qui a jugé, à bon droit, qu’elle pouvait prétendre de nouveau jouer un rôle en Afrique, en contribuant à asseoir la sécurité et le développement durable des pays africains qui le
souhaiteraient.

En effet, quoi qu’on puisse en dire, la Russie s’est intéressée depuis des décennies à la sauvegarde de la souveraineté de certains peuples d’Afrique. Ainsi, devant les menaces que faisaient peser les Italiens sur la souveraineté et l’indépendance de l’empire éthiopien de Ménélik, le Tsar de Russie se tiendra militairement aux côtés des combattants éthiopiens qui infligèrent une lourde défaite aux italiens à la bataille d’Adoua durant la première guerre italo-éthiopienne de 1895-1896.

La Russie a été aux côtés de nombreux Etats africains et de l’OUA actuelle UNION AFRICAINE. En effet, de nombreux états africains ont dû la sauvegarde de leur souveraineté et de leur indépendance aux multiples interventions de la Russie. Ainsi, bon nombre d’Africains gardent de la Russie l’image d’un pays qui les a soutenus dans les temps difficiles de la période coloniale et de la première période de l’acquisition de l’indépendance de leurs pays. C’est pourquoi en 2018, quand en Afrique du Sud, en marge du sommet des BRICS à Johannesburg, le Président Poutine proposa d’organiser une rencontre multilatérale avec les pays africains pour créer une plateforme de mise en œuvre des futurs axes de la coopération entre la Russie et l’Afrique, l’accueil fut plus qu’encourageant.

SOTCHI FONDEMENT D’UNE ALLIANCE POUR LA PAIX ET LE DEVELOPPEMENT

La rencontre de Sotchi qui en suivit permit aux russes et aux africains de fixer les contours d’une nouvelle politique de coopération gagnant-gagnant. La déclaration de Sotchi peut être considérée comme le fondement de la nouvelle politique de coopération de la Russie avec l’Afrique. Cette déclaration a l’avantage d’énumérer l’ensemble des domaines sur lequel portera la nouvelle coopération Russie-Afrique tout en instituant un mécanisme de partenariat par le dialogue. Les principes généraux énumérés dans la déclaration vont dans le sens des aspirations de bon nombre de pays africains qui souhaitent l’’instauration d’un Nouvel Ordre International Polycentrique qui, autour d’une ONU, animée par un Conseil de Sécurité réformée, agirait pour le maintien de la Paix et de la Sécurité internationales.

La déclaration de Sotchi commence, à cet égard, par une proclamation des Relations positives qui ont existé entre la Russie et l’Afrique depuis des décennie en indiquant que les États africains et la Fédération de Russie dans leur désir de développer leur coopération comptent s’appuyer « sur les Relations amicales existantes entre la Fédération de Russie et les États africains et les traditions de lutte commune pour la décolonisation et l’établissement de l’indépendance des États africains » Ce passage est d’autant plus important que les africains d’aujourd’hui sont conscients du fait que la sauvegarde de leur indépendance et des acquis de leur développement économique dépend de l’instauration de la paix à l’intérieur de leurs frontières. Ces pays savent que cela ne peut se réaliser sans la consolidation de leurs moyens de défense que pourrait leur apporter un pays allié qui ne leur posera pas des préalables au-dessus de leurs moyens. Or, dans ce domaine sur le plan militaire et idéologique, la Russie a montré ses capacités.

En effet la Russie s’est montrée fidèle alliée à des pays qu’elle a doté militairement et défendu diplomatiquement sans leur imposer une ligne politique. La présence de la Russie en Centrafrique, par exemple, semble avoir contribué à restaurer une paix inespérée dans ce pays. L’intérêt que porte le nouveau pouvoir militaire malien au savoir-faire militaire russe, s’il se concrétisait par une nouvelle coopération, marquerait un grand tournant dans la politique africaine de la Russie.

Ce que la Russie de Poutine peut apporter à l’Afrique

Dans cet esprit, en dehors de la coopération militaire et économique, ce que la Russie peut apporter à l’Afrique est intimement lié à la personnalité de son dirigeant. En effet, le Président Poutine, nous semble-t-il, peut inspirer les dirigeants du Continent africain à avoir d’avantage confiance en eux-mêmes et à leurs peuples, à être persévérants et patriotes dans les orientations qu’ils prennent dans l’intérêt de leurs pays. En effet, c’est la persévérance, l’endurance de ses orientations, et son patriotisme à toute épreuve qui a permis à Poutine, dans le sillage d’hommes comme Mandela, de concrétiser la Renaissance de la Russie qui risquait d’être vendue aux enchères à des intérêts privés. Poutine a montré qu’un dirigeant digne de ce nom doit être capable de susciter le bon exemple en s’en tenant aux orientations qu’il donne. A cet égard, le système politique qu’il a fondé en Russie, même s’il est loin d’être celui auquel je suis le plus attaché, force est de le reconnaître, lui a permis de redonner confiance à son peuple traumatisé par la perte brutale de son influence consécutive à la dislocation de l’URSS. Ce système politique décrié par certains lui aura aussi permis d’éviter le dépeçage d’une vielle Nation et de créer une Nouvelle Russie. Le patriotisme dont Poutine a fait preuve a beaucoup marqué, malgré les apparences, la conscience de bon nombre de jeunes Africains dont les dirigeants ne sont et ne demeurent au pouvoir que parce qu’ils sont les gardiens zélés d’intérêt étrangers. Nos dirigeants africains devraient d’autant plus s’inspirer de Poutine que celui-ci ne s’est jamais érigé en donneur de leçons de modèle démocratique.

Offre d’une politique de coopération

La diplomatie actuelle de la Russie offre une réelle opportunité aux Etats africains de diversifier leurs relations au lieu de continuer à se complaire dans la situation d’éternel assisté, sous le joug de certaines dominations étrangères que rien ne leur impose sauf le goût de la facilité. Dans cet esprit, les dirigeants africains devraient saisir l’opportunité que la Russie leur offre pour former leurs jeunes dans de nombreux domaines. Sur ce point, notre Académie est heureuse d’avoir établi des relations de coopération avec l’Académie Diplomatique du Ministère des Affaires Étrangères de la Fédération de Russie qui devrait permettre de faire bénéficier à de jeunes africains des connaissances actualisées dans les Relations Internationales et en Diplomatie. Mais pour réussir cette nouvelle politique africaine de la Russie, il me paraît évident que la seule bonne volonté de Poutine ne suffira pas. Je pense qu’il doit éviter l’erreur de Mouhamar Ghadafy dont la profondeur de la volonté sincère d’unifier l’Afrique était inversement proportionnelle à la connaissance qu’avait de l’Afrique l’élite libyenne que nous avons côtoyée des années durant.

Dans cet esprit, nous ne pourrons pas nous abstenir de faire quelques recommandations. La Russie doit tout mettre en œuvre pour rendre effective les dispositions de la Déclaration de Sotchi relative à la coopération entre les sociétés civiles, les jeunesses de Russie et d’Afrique. En considération de son désir d’avoir une influence plus grande dans le continent, la Russie doit apporter une attention soutenue au choix du prochain pays africain qui doit accueillir la prochaine rencontre Russie-Afrique. Enfin, la Russie devrait faire plus d’efforts pour soutenir les structures
culturelles des cadres africains qui ont été formés en Russie, dont je ne suis pas, afin que celles-ci puissent servir à former des russes à la connaissance de l’Afrique. Ces structures, dans l’intérêt de l’Afrique, pourraient compléter la coopération scientifique et universitaire avec la Russie.

*Benoit NGOM, Président Fondateur de l’Académie Diplomatique Africaine (ADA)
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