Face à la pandémie du COVID-19 qui a fait chuter les arrivées de touristes étrangers sur le continent noir, l’économiste préconise une réorientation des moyens vers le tourisme intérieur qui pourrait être un facteur de croissance durable.

Ces dernières décennies l’industrie du tourisme et du voyage est devenue un vecteur important de croissance économique et de création d’emplois à travers le monde. En 2019, elle représentait 334 millions d’emplois, soit 10,6 % des emplois mondiaux et a contribué à hauteur de 10,4 % au PIB mondial, soit 9200 milliards de dollars US (WTTC, Juin 2021). En Afrique, sa contribution à l’économie est estimée à 169 milliards de dollars US, soit environ 7 % du PIB et à peu près l’équivalent du PIB de la Côte d’Ivoire et du Kenya réunis (IFC, Mai 2021).

Dans le sillage de la pandémie du coronavirus qui a significativement affecté la dynamique de l’industrie à l’échelle mondiale en 2020 (5,5 % du PIB mondial, soit une baisse de 49,1 % par rapport à 2019), les perspectives de reprise sont plus lentes en Afrique que dans les autres régions du monde. Ceci s’explique en partie par l’architecture de l’industrie du tourisme sur le continent africain.

En effet, l’activité du secteur touristique en Afrique dépend principalement des voyageurs internationaux. C’est notamment le cas des pays d’Afrique de l’Est et australe, où les activités de loisir et de safari, bien développées, attirent plus les touristes venus d’Europe, d’Amérique et d’Asie. Comparativement aux autres régions du monde, la demande intérieure et intra régionale en termes de tourisme sur le continent africain est la plus faible. En 2019, les dépenses du tourisme domestique représentaient 71,7 % des dépenses touristiques globales à l’échelle mondiale. En Afrique, elles sont évaluées à 55 %, un niveau bien inférieur aux observations en Amérique du Nord (83 %), en Asie-Pacifique (74 %) et en Europe (64 %) (WTTC, 2020).

En Afrique, surtout les pays d’Afrique subsaharienne, il est essentiel d’élaborer et d’implémenter des politiques publiques pour stimuler le développement du tourisme intérieur (domestique). La région dispose d’un important patrimoine culturel, avec de grandes et belles plages, une faune et une flore variées ainsi que de nombreuses attractions naturelles et culturelles. A l’aune de la vague de la restitution des œuvres d’arts aux pays africains (le sabre d’El Hadj Oumar au Sénégal et plus récemment 26 œuvres au Bénin), le potentiel touristique y est de plus en plus important. Qui plus est, l’Afrique a un fort potentiel d’expansion de son marché intérieur, avec sa croissance démographique (la population de l’Afrique subsaharienne devrait doubler à 2,1 milliards d’habitants d‘ici 2050, le Nigéria serait alors le troisième pays le plus peuplé du monde) ; et le projet de la zone de libre-échange continentale africaine qui, à l’horizon, devrait renforcer la libre circulation des biens et des personnes sur l’ensemble du continent.

Le développement du tourisme domestique devrait permettre aux économies africaines de construire une résilience vis-à-vis des fluctuations des mouvements des touristes internationaux et de limiter la vulnérabilité face aux chocs externes. Aussi, il devrait contribuer à la diversification de ces économies et leur permettra par ailleurs, de tirer plus de profits (gains économiques) du patrimoine culturel dont dispose le continent.

Toutefois, l’essor du tourisme domestique en Afrique dépendra d’une réelle volonté, d’un engagement des gouvernants ainsi que des actions concrètes. Car, le tourisme en Afrique est tributaire d’une insuffisance des infrastructures, d’une classe moyenne encore en faible progression et des problèmes sécuritaires.

D’ores et déjà, il apparaît évidement que les décideurs du continent devraient favoriser la compétitivité et renforcer la liberté économique (facilité d’entreprendre dans le secteur) grâce au développement des infrastructures, notamment pour le transport routier, aérien et maritime, ainsi que la simplification des exigences en matière de procédures administratives (visas, etc.). A ce niveau, il est attendu des réponses collectives pour des impacts plus significatifs. D’ailleurs, l’inclusion des projets régionaux ou continentaux dans les plans nationaux de développement renforcera par le même biais l’intégration économique sur le continent. Les décideurs politiques à l’échelle du continent devraient améliorer la gouvernance grâce à une meilleure coordination de leurs efforts afin de simplifier la réglementation et de supprimer les obstacles au développement du tourisme domestique, d’attirer les investisseurs et de promouvoir les destinations touristiques africaines.

Quant à l’émergence d’une classe moyenne conséquente, cela constitue très également un chantier d’une importance capitale. La stratégie du développement du tourisme intérieur repose essentiellement sur les nationaux qui sont les principaux consommateurs. Leur consommation des services touristiques est corrélée avec le pouvoir d’achat. Généralement, on s’attend à une croissance des dépenses locales globales (dont celles liées au tourisme) à mesure que le pouvoir d’achat s’améliore ou progresse. Mathématiquement, la présence d’une classe moyenne importante devrait donc engendrer des dépenses du tourisme domestique plus importantes, toutes choses égales par ailleurs (infrastructures, sécurité, etc.). Par exemple, le marché du tourisme intérieur en Chine a progressé de 62 % entre 2008 et 2017, faisant de ce dernier le premier à l’échelle mondiale en 2017 alors qu’il occupait la 4ème place en 2008. Sur la même période, la Chine était en tête de classement des pays qui ont connu la croissance la plus rapide en termes de PIB par habitant et de dépenses intérieures en Asie-Pacifique, avec une croissance annuelle moyenne de 9,2 % du PIB par habitant et une croissance de 16,8 % des dépenses intérieures. Par ailleurs, chaque année depuis 2013, la Chine construisait aussi en moyenne huit (8) nouveaux aéroports et a intensifié le développement de son réseau ferroviaire à grande vitesse au cours des 15 dernières années, ce qui a renforcé l’accès à des endroits auparavant éloignés pour les touristes nationaux.

Enfin, sur la question de l’insécurité, il est aussi attendu une réponse collective (régionale voire continentale) pour marquer un signal assez fort afin d’éradiquer le mal des attaques terroristes, des crises sociales qui, souvent, ont des origines politiques. Car, les réels enjeux résident dans la quiétude des visiteurs (touristes nationaux) et la couverture médiatique négative et dissuasive sur les destinations africaines.

Bérenger Gloglo, Économiste, Fondateur du Cercle des Jeunes Économistes pour l’Afrique