Depuis qu’il est arrivé au pouvoir en France, le président Emmanuel Macron a entrepris de solder quelques contentieux que son pays avait avec certains autres, ou des communautés vivant en France, en essayant de réconcilier les mémoires comme l’a si joliment dit quelqu’un.

Il y eut notamment avec le Rwanda, l’Algérie, et la communauté noire de France, à travers l’histoire de l’esclavage.

« Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures…Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures », discours de Jules Ferry à l’Assemblée nationale le 28 juillet 1895

Les contentieux avec la communauté juive avaient déjà été soldés par ses prédécesseurs.

Avec le Rwanda les choses se sont passées si bien que c’est une Rwandaise qui a été choisie pour diriger l’Organisation internationale de la Francophonie alors que le Rwanda est en train de remplacer le français par l’anglais comme langue officielle.

Avec l’Algérie, les choses se passent plutôt mal, malgré tous les efforts du président français. Il faut dire que le contentieux entre les deux pays est de l’ordre du très lourd.

Avec les Noirs de France, la situation est pour le moins mitigée. Ces derniers reprochent à la France de ne pas en faire assez, même si le pays a fini par reconnaître que l’esclavage fut un crime contre l’humanité.

C’est sur la colonisation qu’il y a un silence assourdissant des autorités françaises, mais on ne peut pas trop leur jeter la pierre, puisque nous-mêmes, Africains, les premiers concernés, ne semblons pas, en dehors de quelques intellectuels, accorder une grande importance à la question.

La preuve en est que même lorsque des prétendus libérateurs souverainistes ou panafricanistes ont eu à diriger nos pays, nous n’avons pas assisté à une décolonisation des mémoires et des espaces.

En Côte d’Ivoire par exemple, dans la ville la plus importante du pays, Abidjan, les plus grandes voies portent des noms d’anciens gouverneurs coloniaux ou de personnalités françaises plus contemporaines telles que de Gaulle, Giscard d’Estaing, François Mitterrand, ou carrément boulevard de France.

De même, de nombreuses écoles s’appellent André Malraux, Jean Mermoz, Voltaire, Victor Hugo, Jules Verne ou même Jules Ferry, celui-là même qui disait dans un discours à l’Assemblée nationale le 28 juillet 1895 que c’était un devoir pour les races supérieures de civiliser les races inférieures : « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures…Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ».

Gérard Larcher et Emmanuel Macron

Et il faut dire que pour de nombreux hommes politiques français contemporains, la colonisation est un bienfait apporté par leur pays à l’Afrique. Citons en quelques-uns. Commençons par le général de Gaulle que de nombreux Africains considèrent comme leur sauveur (puisqu’il a « sauvé » la France) : « Il est vrai que pendant longtemps l’humanité a admis – je crois qu’elle avait raison- que pour ouvrir à la civilisation des populations qui en étaient écartées, par les obstacles de la nature ou par leurs propres caractères, il était nécessaire qu’il y eut pénétration de la part de l’Europe occidentale, malgré quelques fâcheuses péripéties ».

Les meurtres, l’avilissement de l’homme noir, la destruction de civilisations entières, ce n’était que des « fâcheuses péripéties. »

Jacques Chirac tenta pour sa part de faire adopter une loi qui stipulait que « la Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie, et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française…les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer… » Cette loi fut retirée devant le tollé qu’elle provoqua.

Le 28 août 2016, à Sablé-sur-Sarthe, François Fillon, ancien Premier ministre français et alors candidat à la présidence de la République de son pays déclara : « Non, la France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du nord. »

Lorsque certains Européens consentent à reconnaître que la traite négrière, seulement elle, pas la colonisation, était un crime contre l’Humanité, aucun d’entre eux ne veut présenter des excuses. Ainsi, le 26 juillet 2007 à Dakar, Nicolas Sarkozy, alors président de la République française, déclara-t-il : « Il y a eu la traite négrière, il y a eu l’esclavage, les hommes, les femmes, les enfants achetés et vendus comme des marchandises.

Et ce crime ne fut pas seulement un crime contre les Africains, ce fut un crime contre l’Homme, un crime contre l’Humanité ». Concernant la colonisation, il dit : « Le colonisateur a pris, mais je veux dire avec respect qu’il a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des écoles. Il a rendu fécondes des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir ».

Et que dire, lorsque nous-mêmes, Africains, construisons un monument à la gloire du colonisateur comme cela fut fait au Congo-Brazzaville en 2006 pour Savorgnan de Brazza, celui qui conquit le pays pour le compte de la France ?

En Afrique nous avons deux mémoires de la colonisation : celle pour qui la colonisation a détruit des civilisations qui avaient leurs richesses, et celle pour qui la colonisation a apporté la civilisation à des peuples qui en étaient dépourvu.

Il faudrait que nous commencions par réconcilier ces deux mémoires.

Venance Konan