Au Maroc, au Sénégal, en Côte d’Ivoire et en Tunisie, le taux de participation des électeurs français ou binationaux reste faible, entre 30 % et 45 %.

Un deuxième tour Macron-Mélenchon. C’est l’affiche qui ressort du vote des Français installés au Maroc, en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou en Tunisie, au premier tour de l’élection présidentielle française, tandis que Marine Le Pen arrive en quatrième ou cinquième position. La participation de ces électeurs, en baisse comparé à 2017, a toutefois été très faible, de moins de 30 % dans la circonscription de Dakar au Sénégal, à 45,3 % au Maroc.

Dans le pays d’Afrique du Nord, Jean-Luc Mélenchon est arrivé clairement en tête avec 40,2 % des 17 406 bulletins exprimés, contre 37,8 % pour Emmanuel Macron, selon les résultats diffusés par l’ambassade de France lundi 11 avril. La victoire du candidat de la France insoumise (LFI) est même écrasante à Tanger (54,5 %), sa ville natale. Ces résultats traduisent une forte progression du candidat LFI par rapport à 2017, où il avait recueilli 27 % des voix au Maroc.

Enseignant dans un établissement français, Valentin*, 34 ans, a donné sa voix à Jean-Luc Mélenchon. Un « vote d’adhésion, dit-il, à un programme de progrès social, qui place les services publics au cœur du pacte politique, prend en compte les ambitions écologistes et accorde des libertés aux minorités ». « Les attaques permanentes contre l’immigration et l’islam pendant la campagne m’ont profondément dégoûté, ajoute-t-il, et, en tant que Français immigré au Maroc, j’aurais du mal à marcher dans la rue en me disant que c’est l’image que mon pays renvoie ici. »

Pour Saïd, retraité binational de 66 ans, le vote Mélenchon est une réaction à la montée des « discours extrêmes sur les étrangers, l’immigration, l’islam, sans compter que Macron reste flou sur ce thème ». A la sortie du lycée Lyautey de Casablanca dimanche, beaucoup d’électeurs confiaient aussi avoir voté « utile » par crainte d’une montée de l’extrême droite, à l’instar de Guillaume, cadre dans une grande entreprise française, installé au Maroc depuis deux ans : « J’aurais bien voté pour Yannick Jadot pour donner du poids à l’écologie, mais je ne voulais pas disperser trop les voix par peur de la montée des deux candidats d’extrême droite. J’ai voté pour Macron », confie ce père de famille de 38 ans, ajoutant qu’il se retrouve aussi dans le bilan économique du président sortant.

« Choix pragmatique »

Si ses résultats restent bien en-deçà de la moyenne nationale, l’extrême droite renforce toutefois son score au Maroc. Marine Le Pen a remporté 4,5 % des suffrages et Eric Zemmour réalise une percée avec 6,6 % des voix. La proportion d’électeurs d’extrême droite est nettement plus forte à Marrakech (21 %) et à Agadir (24 %), deux villes du sud hautement touristiques et abritant une grande communauté de retraités.

A Abidjan, en Côte d’Ivoire, c’est Emmanuel Macron qui a fait le meilleur score avec 39,75 % des voix, devant Jean-Luc Mélenchon 28,8 %, Eric Zemmour 11 %, Marine le Pen 6,7 % et Valérie Pécresse 5 %. Le président-candidat a gagné un peu plus de 12 points par rapport à 2017 et se rapproche du score de François Fillon, l’ancien candidat Les Républicains, qui avait terminé en tête avec 40,90 % des suffrages. Le candidat de La France insoumise a lui aussi gagné 12 points en cinq ans. Parmi les 12 775 inscrits sur les listes électorales, seulement 31,40 % se sont déplacés.

Olivier Gacquerre, 54 ans, directeur de société, né en Côte d’Ivoire, fait partie de ces électeurs passés de Fillon à Macron : « En général ici on est plutôt de droite, mais côté Pécresse, j’estime qu’il n’y a pas assez d’expérience et que son programme est irréalisable. Macron a réussi à maintenir le pays par rapport à tout ce qui se passe. Voter pour lui est un choix pragmatique. »

Pour Daouda Touré, Franco-Ivoirien de 48 ans, contrôleur financier au ministère du budget, en Côte d’Ivoire depuis 2008, « la question fondamentale, c’est l’économie. Habituellement je vote à gauche, j’étais adhérent du PS dans le 10e, mais Macron a réussi à me convaincre ». Manon Chevallier, 28 ans, à Abidjan depuis trois ans, travaille dans une petite entreprise française qui aide de grands groupes dans le secteur des opérateurs et des banques. Elle affirme avoir « voté Macron pour sa stature à l’international, son charisme mais aussi son soutien aux entreprises françaises à l’étranger. Il y a plein d’organismes qui sont là pour nous soutenir, et énormément d’aides comme le chèque relance-export, mis en place pendant le Covid ».

Percée de l’extrême droite

Dans la circonscription du consulat général de France à Dakar, qui comprend le Sénégal, la Guinée-Bissau, le Cap-Vert et la Gambie, Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête du scrutin avec 38,64 % des voix (contre 22,8 % en 2017), suivi par Emmanuel Macron en deuxième position avec 33,06 %. L’extrême droite est loin derrière mais double quand même son score par rapport à 2017 avec 7,86 % pour Eric Zemmour et 6,14 % pour Marine Le Pen – la candidate du Rassemblement national avait fait 7,35 % il y a cinq ans. M. Diallo, retraité de 70 ans, dit espérer que l’extrême droite ne passe pas. « Si une politique migratoire sévère est appliquée en France, je crains une réciprocité de la part du Sénégal », estime-t-il, à la sortie de son bureau de vote.

« Le vote du premier tour avec Mélenchon en tête est plus un rejet d’Emmanuel Macron, de la France et de la politique française en Afrique et au Sahel qu’une adhésion au programme du candidat de La France insoumise – surtout pour les électeurs binationaux », analyse Fatou Sagna Sow, coordinatrice au Sénégal de la République en Marche (LREM). Selon elle, le vote d’extrême droite est particulièrement fort à Saly, ville balnéaire où résident de nombreux retraités français qui sont seulement 31 % à s’être déplacés pour voter.

En Tunisie aussi, les résultats partiels donnent Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron largement en tête avec un taux de participation de 40 % sur 17 000 électeurs inscrits, et une percée de l’extrême droite qui récolte près de 8 % des voix. Dans le pays, le scrutin a été assez suivi par l’élite tunisienne et des commentateurs sur les réseaux sociaux. « On regarde toujours ce qu’il se passe dans la démocratie voisine, ça rappelle un peu les années de l’avant révolution où l’on vivait la démocratie par procuration », explique Hatem Nafti, essayiste binational. Sana Ouechtati, universitaire en droit public et militante de gauche en Tunisie, déplore l’échec des partis de gauche français à réussir à s’unir : « C’est le même problème ici, comme si personne ne retenait les leçons des scrutins précédents. »

*Toutes les personnes interrogées ont souhaité rester anonymes.

Le Monde