Alors que la Commission constitutionnelle mise en place le 29 septembre dernier par le président du Faso est à pied d’œuvre pour proposer une nouvelle loi fondamentale marquant le passage à la 5ème république, des organisations de la société civile mènent un intense lobbying pour obtenir l’abolition constitutionnelle de la peine de mort dans notre pays.
Dans le texte ci-contre, elles justifient leur démarche par le fait que non seulement la peine de mort est de fait abolie au Burkina, mais surtout qu’à l’expérience, elle est inefficace dans la lutte contre la criminalité.
Seront-elles entendues ? Réponse dans quelques semaines lorsque la Commission présidée par Maître Halidou Ouédraogo rendra sa copie.

Kaceto.net

Ensemble contre la peine de mort au Burkina Faso : "La personne humaine est sacrée. Toute sanction tendant à la privation de la vie humaine est interdite."

Objet : Proposition en faveur d’une abolition constitutionnelle de la peine de mort

Il a plu au Président du Faso, après l’histoire tumultueuse que notre pays a connu, marquée ces derniers temps par l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et par la résistance populaire au coup d’Etat du 16 septembre 2015, de vous investir de la lourde et exaltante mission de doter notre pays d’une nouvelle Constitution qui reflète son histoire, ses acquis démocratiques, son attachement à l’Etat de droit, aux droits humains et aux libertés fondamentales, mais aussi une Constitution qui soit porteur d’une espérance nouvelle.

Faut-il encore le rappeler, l’histoire de notre pays s’est toujours conjuguée avec les luttes, luttes dans lesquelles bien des membres de cette commission ont laissé des empreintes indélébiles : rejet absolu de l’impunité et de l’injustice, luttes pour l’élargissement des acquis démocratiques, lutte pour le respect des droits humains. Comment concevoir donc en l’espèce que la nouvelle constitution, qui est le fruit de ces différentes luttes, et dont vous avez la responsabilité d’en faire la proposition, ne consacre pas le caractère sacré et inviolable de toute vie humaine ?
C’est donc conscients de ce que vous incarnez comme valeurs en matière de droits humains et de votre responsabilité collective historique d’inviter notre peuple à emprunter le chemin de l’abolition définitive de la peine de mort que nous avons entrepris de vous apporter tout le soutien qui sied à votre travail, et à traduire à travers cette Constitution l’audace et le courage qui ont bien souvent manqué à certains acteurs politiques pour une abolition de la peine de mort dans un pays qui est non seulement abolitionniste dans les faits, mais a soutenu depuis 2007 les moratoires des Nations unies sur les exécutions.
Nous invitons donc solennellement à :
  Proposer une abolition constitutionnelle de la peine de mort ;
  Plaider pour la commutation des peines capitales en réclusion à perpétuité ;
  Plaider pour la ratification du deuxième protocole facultatif se rapportant au PIDCP visant l’abolition de la peine de mort.
Malgré une opinion que l’on jugerait largement hostile à l’abolition, les organisations membres de la Coalition n’ont de cesse travaillé à éduquer les populations sur le bien-fondé de l’abolition, mais aussi à plaider auprès des décideurs (politiques) afin que de façon éclairée, ils amènent la majorité à se rendre à l’évidence de l’inutilité et l’iniquité de cette peine. Les aspirations de notre peuple, nous n’en doutons pas, ce n’est point de s’enfermer dans le maintien d’une peine inique, inéquitable et inefficace encore moins la légitimation d’une vengeance institutionnalisée vis-à-vis de certains des siens. Son aspiration c’est de jouir du mieux possible de ses droits, dont le plus fondamental d’entre eux est le droit à la vie duquel dépend tous les autres droits. Plusieurs raisons plaident pour une abolition :
• Se conformer aux engagements internationaux du Burkina Faso :
Le Burkina Faso a ratifié le Pacte international relatifs aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) qui consacrent le droit à la vie, le caractère sacré et inviolable de celle-ci, l’interdiction de la torture, des peines et traitements cruels, inhumains et dégradants. Il nous plait de rappeler que lors de la revue du Burkina Faso fin juin 2016 relativement à la mise en œuvre du Pacte international sur les droits civils et politiques, le Comité des droits de l’homme des Nations unies dans ses observations finales a recommandé que : "L’État partie devrait poursuivre le processus politique et législatif visant à l’abolition de la peine de mort et les efforts de sensibilisation de l’opinion publique et les campagnes en faveur de son abolition. Il devrait par ailleurs envisager d’adhérer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort. "
Par ailleurs, lors de l’examen périodique universel (EPU) en 2013 différents pays dont des pays africains (Burundi, Djibouti, Rwanda, Togo) avaient fait la recommandation au Burkina Faso non seulement d’abolir la peine de mort mais aussi d’adhérer au deuxième protocole facultatif se rapportant au PIDCP visant l’abolition de la peine de mort.
• La peine de mort est une peine inutile, inique et inefficace :
L’argument de la dissuasion qui soutient bien souvent le maintien de la peine de mort est en réalité inopérante et même l’Iran, dont on connaît le recours excessif à la peine de mort, viennent juste de reconnaître l’incapacité de cette peine à éradiquer le crime. Dans un contexte de lutte contre le terrorisme, ce serait illusoire de penser que la peine de mort puisse constituer une réponse à ce phénomène.
Aucune victoire sur le terrorisme ne peut s’obtenir en utilisant les mêmes méthodes que les terroristes, c’est-à-dire la barbarie de l’exécution ainsi que la banalisation de la vie humaine. La peine de mort est une solution de facilité qui empêche toute politique audacieuse en matière pénale et de réinsertion.
• De la nécessaire exemplarité de l’Etat :
Quel exemple l’Etat donne-t-il relativement au caractère sacré de la vie lorsqu’il s’arroge le droit d’ôter la vie de façon préméditée à certains de ses membres ? Et quelle espérance peut-on avoir dans un Etat ou une société qui promet la mort à ses membres ? Loin de rendre justice ou d’apaiser le cœur des victimes, la peine de mort avilit l’Etat, rend la société plus violente. Il est temps de sortir du cercle vicieux de la violence. Et comme le dit si bien Pape François à ce propos : « Pour les Etats de droit, la peine de mort représente un échec, car elle les oblige à tuer au nom de la justice. On n’arrive jamais à rendre justice en donnant la mort à un être humain »
L’adoption de la nouvelle constitution qui nous fera passer à la 5ème République est déjà en soi historique. Vous voudriez marquer encore davantage l’histoire de notre pays, en termes d’élargissement du spectre des droits humains, que vous consacrerez effectivement l’abolition constitutionnelle de la peine de mort. Pour sa part, la coalition nationale contre la peine de mort poursuivra son travail d’information et d’éducation des populations ainsi que le plaidoyer à l’endroit des décideurs et acteurs politiques pour un large soutien à l’élan abolitionniste.

Pour la Coalition
Urbain Kiswend-Sida YAMEOGO
Président du CIFDHA

Contexte, justification et objectif du plaidoyer


Classé parmi les États abolitionnistes de fait, le Burkina Faso n’a procédé à aucune exécution de condamné à mort depuis plusieurs décennies. Toutefois la législation du pays maintient la peine de mort notamment dans le Code pénal , le code de justice militaire ainsi que dans la loi 6-72 du 22 juin 1972 relative à la police des voies ferrées . Les juridictions continuent de prononcer des condamnations à la peine capitale et les initiatives les plus récentes visant l’abolition ont connu des échecs.
Selon les statistiques officielles du gouvernement, treize (13) personnes sont dans les couloirs de la mort au Burkina Faso. Lors des assises criminelles de 2015, on a enregistré un retour inquiétant des condamnations à la peine capitale au Burkina Faso avec la condamnation de 3 personnes à cette peine. Ces condamnations constituent un revers après une accalmie de trois (03) ans et vont à contre-courant de la volonté abolitionniste du pays. Le développement de la grande criminalité, du terrorisme et de certains crimes atroces influence très négativement l’opinion publique de moins en moins favorable à son abolition. Et pour s’en rendre compte un journal titrait en éditorial : « Grande criminalité au Burkina : la peine de mort devient incontournable » .
Soucieuses de contribuer à l’abolition effective et définitive de la peine de mort, les organisations de défense des droits humains en collaboration avec le Ministère en charge des droits humains, ont depuis 2001 mené des actions visant l’abolition de la peine de mort. Les efforts de ses différents acteurs ont conduit le Gouvernement en 2012 à mettre sur table la question de l’abolition de la peine de mort aux débats du Cadre de concertation sur les réformes politiques (CCRP). Toutefois, la question de l’abolition n’ayant pas fait l’objet de consensus, le gouvernement s’est gardé d’engager des actions dans ce sens jusqu’en 2014. Mais convaincus du bien-fondé de l’abolition de la peine de mort au Burkina Faso et au regard des conventions internationales en matière de droits humains qui lient le pays, le Ministère en charge des droits humains et des organisations de défense des droits humains ont poursuivi des actions de sensibilisation et les plaidoyers sur la nécessité de l’abolition de la peine de mort dans le pays.
Finalement, un avant-projet de loi initié par le Ministère en charge des droits humains et de la promotion civique et portant abolition de la peine de mort au Burkina Faso a été adopté par le conseil des ministres et transmis au Parlement en octobre 2014. Toutefois, le projet n’a pu être adopté en raison de la survenue de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Le Burkina-Faso a régulièrement fait partie des pays ayant voté en faveur des Résolutions des Nations Unies demandant un moratoire sur les exécutions depuis 2007. Il a surtout fait partie des cent dix-sept (117) pays qui ont soutenu l’adoption de la cinquième Résolution 62/149 de l’Assemblée Générale des Nations Unies le 18 décembre 2014 intitulée « Moratoire sur l’application de la peine de mort ».
Le 10 juin 2015, le bureau du Conseil National de la Transition (CNT) a validé une proposition de loi portant abolition de la peine de mort. Soumise au gouvernement de Transition et resté sans réponse, le CNT a repris la proposition et engagé la procédure législative en vue de l’adoption de la loi abolissant la peine de mort. La Coalition nationale contre la peine de mort, a pris part à la consultation de la Commission des affaires institutionnelles, de la gouvernance et des droits humains (CAIGDH) et mené des activités de plaidoyer auprès des parlementaires en même temps que nous participions au débat public dans les radios ou sur des plateaux de télévision en vue de la sensibilisation du public. La survenue du coup d’Etat du 16 septembre 2015 a fait obstacle à la poursuite de la procédure législative et à l’abolition effective de la peine de mort.

Le retour à un régime constitutionnel normal à la faveur des dernières élections et la perspective du passage à la 5ème République avec l’adoption d’une nouvelle constitution offrent l’occasion de plaider encore davantage en faveur de la prise en compte de l’abolition de la peine de mort dans le cadre des réformes.
En 2016, le projet "Action citoyenne pour l’abolition définitive et irréversible de la peine de mort au Burkina Faso" initié par le CIFDHA dans le cadre de l’appel à projets du Fonds francophone pour les droits de l’homme Martine ANSTETT a bénéficié du soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) pour sa mise en œuvre. Ce projet a été endossé par l’ensemble des organisations membres de la Coalition nationale contre la peine de mort au Burkina Faso et sa mise en œuvre a permis depuis juin 2016 de déployer sur le terrain les activités suivantes :
  Formation des journalistes et des acteurs de la société civile
  Formation des acteurs de la justice : magistrats, avocats, garde de sécurité pénitentiaire ;
  Formation des leaders religieux et coutumiers
  Organisation d’un atelier de préparation du plaidoyer
  Actions de communication publique à travers l’émission Les Chroniques de la vie" sur Burkina Info TV
  Contribution au débat public à travers des émissions interactives à la radio, etc. La 14ème journée mondiale contre la peine de mort qui a porté sur le terrorisme a été une opportunité de sensibiliser les populations et de contribuer au débat public. A la suite des débats et des formations, la coalition a noté avec satisfaction l’élargissement de la base de soutien à la cause abolitionniste et entend poursuivre ce travail jusqu’à et au-delà de l’abolition effective.
Notre rencontre avec la Commission constitutionnelle afin de plaider pour l’abolition constitutionnelle de la peine de mort dans le cadre de la réforme constitutionnelle en cours constitue en réalité le début d’un long processus qui nous conduira à la rencontre de la Présidence du Faso, de la Présidence de l’Assemblée nationale, des commissions et groupes parlementaires, du Premier Ministère et de certains ministères ciblés ainsi que des responsables d’institutions, des leaders d’opinion, religieux et coutumiers, des acteurs politiques, notamment les partis politiques et regroupements de partis politiques de la majorité comme de l’opposition.

Propositions et recommandations de la Coalition


La coalition nationale contre la peine de mort plaide pour la consécration constitutionnelle de l’abolition de la peine de mort pour marquer notre attachement au droit à la vie, à son caractère sacré et inviolable comme d’autres pays l’ont fait avant nous.

Côte d’Ivoire : L’article 2 de cette constitution ivoirienne de 2000 est stipulé comme suit :
"La personne humaine est sacrée.
Tous les êtres humains naissent libres et égaux devant la loi. Ils jouissent des droits inaliénables que sont le droit à la vie, à la liberté, à l’épanouissement de leur personnalité et au respect de leur dignité. Les droits de la personne humaine sont inviolables. Les autorités publiques ont l’obligation d’en assurer le respect, la protection et la promotion. Toute sanction tendant à la privation de la vie humaine est interdite."
Cap-Vert, une abolition historique depuis 1981 :
La peine de mort a été complètement abolie par la première constitution des Iles du Cap Vert, dès 1981. Celle de 1992 précise dans son article 26-2 que :
"Aucun individu ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la peine de mort ne sera appliquée en aucun cas."
La consécration constitutionnelle de l’abolition en France en 2007 :
Alors que la peine de mort a été abolie par la voie législative depuis 1981 sous l’impulsion de Robert Badinter, c’est plus de 25 ans après la promulgation de cette loi interdisant la peine de mort, que le Congrès français réuni à Versailles a entériné l’inscription de l’abolition de la peine de mort dans la constitution à travers la loi constitutionnelle n° 2007-239 signée le 23 février 2007. L’article 66-1 (Titre VIII De l’autorité judiciaire) est stipulé en ces termes :
"Nul ne peut être condamné à la peine de mort."

La Coalition propose que l’une ou l’autre de ces dispositions constitutionnelles puisse être reprise dans la projet de constitution de la 5ème République. Elle s’engage par ailleurs à poursuivre le travail de plaidoyer et de sensibilisation pour son adoption effective.

L’intérêt de l’abolition par la voie constitutionnelle et les raisons de notre préférence
Au-delà de l’opportunité que nous offre la réforme constitutionnelle en cours pour l’abolition, la voie constitutionnelle recueille la préférence des organisations membres de la Coalition nationale contre la peine de mort pour plusieurs raisons :
• La constitutionnalisation sera le signe de la valeur absolue que notre pays accorde à la vie et à sa protection. En tant que loi fondamentale, la Constitution est le lieu privilégié de l’expression de telles valeurs supérieures, de sacraliser la vie ;
• Les difficultés d’un retour en arrière : alors qu’une simple loi d’abolition fait courir le risque d’une remise en cause par un pouvoir rétrograde, les obstacles et difficultés sciemment érigés à l’adoption d’une loi constitutionnelle modificative font que l’intégration de l’abolition à la constitution complique du même coup l’éventualité d’un retour en arrière ;
• Une alternative à l’hostilité éventuelle de l’opinion publique : dans bien des pays, l’abolition a fait l’unanimité ou a été l’objet d’un consensus politique. Les acteurs politiques notamment les parlementaires ont fait le choix d’affronter leur opinion publique supposée hostile pour indiquer la voie à suivre. Sans préjuger du courage politique des acteurs politiques burkinabè et leur capacité à faire émerger le consensus voire l’unanimité, l’abolition constitutionnelle évite que la question ne fasse l’objet d’un marchandage politique ou d’un chantage de l’opinion. Il est peu probable que la question de la peine de mort soit suffisamment décisive pour entraîner le rejet de la Constitution dans le contexte actuel de l’adoption globale d’une nouvelle constitution ;

Etat des lieux et modalités d’abolition de la peine de mort en Afrique

Loin d’être isolée, la marche du Burkina Faso vers l’abolition est en droite ligne de la tendance africaine et mondiale vers l’abolition universelle de la peine de mort. Selon les dernières statistiques d’octobre 2015, sur les 54 Etats Africains, 20 ont aboli en droit la peine de mort, 17 sont qualifiés d’abolitionnistes de fait et seulement 17 autres sont considérés comme rétentionnistes, appliquant toujours la peine de mort. Plus de la moitié des pays africains, soit 37 sur 54, n’appliquent donc plus la peine de mort. L’abolition en droit de la peine de mort s’est faite suivant plusieurs modalités différentes :
La voie contentieuse et l’impulsion sud-africaine de l’abolition en Afrique
Après la victoire sur l’apartheid et l’élection de Nelson Mandela à la Présidence de la République en 1994, l’Afrique du sud est entrée une fois de plus dans l’histoire du monde par l’abolition de la peine de mort en juin 1995 par un arrêt rendu par la Cour constitutionnelle sud africaine dans l’affaire Makwanyane déclarant la peine de mort inconstitutionnelle :
« En nous engageant dans une société fondée sur la reconnaissance des droits de l’homme, nous sommes tenus d’accorder plus de valeur à ces deux droits [droit à la vie et droit à la dignité] qu’à tous les autres. Et cela doit être démontré par l’État dans tout ce qu’il entreprend, y compris dans la façon dont il punit les criminels » déclare la Cour dans son ordonnance. Elle conclut que « aux termes de l’article 98 (7) de la Constitution, et à compter de la date de la présente ordonnance : il est interdit à l’État et à tous ses organes de procéder à l’exécution d’une personne déjà condamnée à la peine capitale en vertu de dispositions dorénavant considérées comme étant non valides. » Cette décision va conduire Nelson Mandela, qui a échappé lui-même de justesse à la peine de mort en 1964 à commuer les peines des condamnés qui attendaient dans le couloir de la mort en Afrique du sud.
Les juridictions d’un certain nombre de pays comme l’Ouganda lui ont emboîté le pas déclarant la peine de mort anticonstitutionnelle. En juin 2005 la Cour constitutionnelle ougandaise a également déclaré inconstitutionnelles les peines de mort obligatoires. Et le 21 janvier 2009, la Cour suprême de ce pays a confirmé la décision de la Cour constitutionnelle dans l’affaire Procureur général c. Susan Kigula et 416 autres, et statué que les peines de mort devaient être commuées en peines d’emprisonnement à vie.
La Cour constitutionnelle du Bénin dans une décision du 4 août 2012 (DCC 12-153) sur la conformité des dispositions du code de procédure pénale à la constitution, a confirmé que la peine de mort était inconstitutionnelle .
La voie de la ratification du deuxième protocole facultatif se rapportant au PIDCP au Bénin
Avant la décision de sa Cour constitutionnelle déclarant anticonstitutionnelles les dispositions du code de procédure pénale prévoyant la peine de mort, le Bénin a aboli la peine capitale en adhérant le 5 juillet 2012 au "Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort", qui est entré en vigueur au Bénin le 5 octobre 2012. La décision de la Cour constitutionnelle est venue, s’il en était besoin, conforter la position abolitionniste du pays.
La voie législative : Sénégal, Togo, Madagascar et Guinée
Dans bien des pays africains, l’abolition de la peine de mort s’est faite par l’adoption d’une loi spéciale consacrant expressément l’abolition de la peine de mort ou par un moratoire de droit à la faveur de la révision de la législation pénale.
Au Sénégal, l’abolition de la peine de mort était un engagement personnel du Président Abdoulaye Wade qui avait fait une déclaration solennelle demandant l’abolition de la peine de mort au Sénégal. Le 10 décembre 2004, le Parlement sénégalais adoptait le projet de loi sur l’abolition de la peine de mort, projet précédemment approuvé à l’unanimité par le gouvernement sénégalais en juillet 2004 .
Au Togo, c’est le 23 juin 2009 que le Parlement togolais a adopté une loi qui abolit la peine capitale. La ratification à l’unanimité des députés du deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort est intervenue plus tard en septembre 2016 .
Plus récemment encore, Madagascar a intégré la liste des pays abolitionnistes en abolissant la peine capitale par la promulgation en 2015 de la "Loi n° 2014-035 portant abolition de la peine de mort", adoptée le 10 décembre 2014 par l’Assemblée nationale malgache, et publiée au Journal Officiel le 2 février 2015. Cette loi précise dans son article premier que : "La peine de mort est abolie. Nul ne peut être exécuté."
En Guinée, c’est le 4 juillet 2016 que l’Assemblée nationale a adopté un nouveau code pénal et un nouveau code de procédure pénale tous deux expurgés de la peine de mort, qui est remplacée par la réclusion à perpétuité. Ceci constitue une victoire importante d’autant plus que la Guinée avait repris les exécutions capitales en 2001 (5 personnes) après plus de 15 ans d’accalmie. Par ailleurs la Guinée faisait partie des pays qui se sont régulièrement opposés en 2008, 2009 puis 2011 au projet d’imposition d’un moratoire sur la peine de mort au niveau de l’ONU (Cf. notes verbales aux résolutions 62/149, 63/168 et 65/206) à la différence du Burkina Faso qui a toujours soutenu ces différents moratoires sans pour autant parvenir à l’abolition jusqu’à ce jour. A l’occasion de l’adoption de ces codes, le ministre guinéen de la Justice, Cheick Sako, a précisé : "Concernant la peine de mort, nous passons d’un moratoire de fait à un moratoire de droit". La Guinée est devenue par ce fait le 19ème pays africain à abandonner la peine de mort.
La consécration constitutionnelle de l’abolition : Cap-Vert (1981), Guinée Bissau (1993) et Côte d’Ivoire (2000)
Le Cap Vert est assurément un des plus vieux pays abolitionniste du continent africain et celui qui a ouvert la voie à la consécration constitutionnelle de l’abolition constitutionnelle bien avant même des pays comme la France . Le 19 mai 2000, le Cap Vert réaffirme son engagement abolitionniste par la ratification du "Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort".
La Guinée Bissau a aboli la peine de mort par l’adoption en 1993 d’une loi modificative de la Constitution. Dans son chapitre II intitulé "Droits, libertés, garanties et devoirs fondamentaux", la Constitution de la République de Guinée-Bissau (1984) précise dans son article 36-1 que : "En aucun cas, la peine de mort n’existera en République de Guinée-Bissau." Le 24 septembre 2013 la Guinée Bissau a ratifié le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, après l’avoir signé en 2000.
La Côte d’ivoire a aboli la peine de mort à la faveur de l’adoption Constitution du 23 juillet 2000 (Cf. article 2). Mais c’est finalement le 9 mars 2015 que le Parlement a adopté à l’unanimité le projet de loi modifiant et complétant la loi n° 81- 640 du 31 juillet 1981 portant code pénal, supprimant ainsi toute référence à le peine de mort dans la législation ivoirienne, parachevant ainsi le processus d’abolition.

La marche africaine vers l’abolition : les initiatives de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP)
Dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples les articles 4 et 5 stipulent déjà respectivement que : « La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne. Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit » ;
« Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment [...] la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites » ;
La Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP ), joue un rôle de premier plan dans la dynamique continentale en faveur de l’abolition de la peine capitale, se fixant comme objectif d’engager un dialogue fécond avec les Etats sur la question lors de la présentation de leurs rapports périodiques et pendant des missions de promotion.
En 1999 à Kigali (Rwanda) lors de sa 26ème session ordinaire, la Commission africaine a adopté une résolution exhortant les Etats parties à la Charte africaine à envisager non seulement un moratoire sur les exécutions, mais aussi à réfléchir à la possibilité d’abolir définitivement la peine de mort. En 2005, la Commission a mis en place un mécanisme spécial pour se consacrer entièrement à la question de la peine de mort ; il s’agit du « Groupe de travail sur la peine de mort et les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires en Afrique ». .
La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples exhorte aussi les États parties à envisager la ratification du deuxième Protocole facultatif au Pacte international se rapportant aux droits civils et politiques visant l’abolition de la peine de mort. Par ailleurs, les 21 au 07 mai 2015, lors de sa 56ème session ordinaire, la Commission a adopté un projet de protocole à la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples, visant à amener les Etats membres de l’Union Africaine à abolir de manière définitive et irréversible la peine capitale. Ce projet de protocole s’inscrit dans une stratégie visant à amener les Etats les plus réticents, ou qui n’ont pas le courage politique d’affronter leur opinion publique interne considérée comme hostile, à trouver une ligne médiane vers l’abolition définitive. La position du Burkina Faso vis-à-vis de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et son protocole additionnel pourrait être des plus inconfortables si à l’adoption de ce protocole le Burkina Faso n’a pas encore définitivement tourné le dos à la peine de mort.
Les autorités politiques du Burkina Faso ont tout intérêt à prendre le devant en adoptant dès maintenant l’abolition de la peine de mort à la faveur de la rédaction de la nouvelle constitution, se conformant ainsi à ses engagements internationaux actuels, et anticipant du même coup les exigences du protocole africain à venir.
La peine de mort existe dans notre arsenal législatif mais les exécutions ne sont pas appliquées. Elle nuit davantage à l’image de notre pays plus qu’elle ne dissuade de la commission d’éventuels crimes. Il est donc temps de s’en débarrasser et de manifester notre attachement aux valeurs des droits humains en général et au droit à la vie en particulier.

Fait à Ouagadougou le 10 octobre2016

Les organisations membres de la Coalition nationale contre la peine de mort et associées :

1. Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) Burkina
2. Amnesty International Burkina Faso (AIBF)
3. Association Semfilms
4. Centre d’information et de formation en matière de droits humains en Afrique (CIFDHA)
5. Centre pour la qualité du droit et la justice (CQDJ)
6. Centre d’éveil démocratique et d’éducation citoyenne Burkina Faso (CEDEC/BF)
7. Club des étudiants juristes de la Patte d’Oie (CEJPO)
8. Commission épiscopale justice et paix
9. Commission pour le dialogue islamo-chrétien
10. Communauté de SANT’EGIDIO au Burkina Faso
11. Conseil des Femmes du Burkina (CFB)
12. Jeunesse Etudiante Catholique (JEC)
13. Jeunesse unie pour une nouvelle Afrique (JUNA)
14. Ligue pour la défense de la justice et de la liberté (LIDEJEL)
15. Mouvement burkinabè pour l’émergence de la justice sociale (MBEJUS)
16. Syndicat national des avocats du Faso (SYNAF)