Les deux candidats ont longuement confronté leur projet sur TF1 et France 2, lors du grand débat rituel avant le second tour de l’élection présidentielle.

Une poignée de main, un faux départ de Marine Le Pen, et deux heures et demie à couteaux tirés. Les deux candidats à la présidence de la République ont eu de vifs échanges sur le fond – bien que plus policés sur la forme – lors du débat télévisé, mercredi 20 avril, à quatre jours du second tour. Emmanuel Macron a d’ailleurs fait remarquer que le débat était « plus discipliné » qu’il y a cinq ans, sous l’approbation de son adversaire.

L’économie, les prix de l’énergie, l’Europe, le réchauffement climatique, l’école… A grand renfort de chiffres – sur lesquels ils se sont systématiquement opposés – et de nombreuses piques verbales, les deux finalistes à la présidentielle ont confronté leurs projets, très divergents, sur de multiples sujets.

Bras de fer sur le pouvoir d’achat

Marine Le Pen et Emmanuel Macron ont longuement débattu de leurs programmes sur le pouvoir d’achat, première préoccupation des Français. La première a attaqué le second sur son bilan, le second a voulu démontrer « l’inefficacité » des propositions de la première.

« Je veux restituer leur argent aux Français », a lancé Mme Le Pen en déroulant ses propositions en matière de pouvoir d’achat face à son adversaire qui défendait son bilan. Elle a notamment évoqué une baisse « pérenne » de la fiscalité (comme la TVA sur l’énergie ou sur des produits de première nécessité), contrairement aux mesures provisoires mises en place par le gouvernement (comme le chèque énergie ou le bouclier tarifaire).

Lire notre décryptage : Article réservé à nos abonnés Election présidentielle 2022 : comment le pouvoir d’achat a redessiné la fin de la campagne
Les deux candidats se sont aussi longuement opposés sur la hausse des salaires, sur laquelle Marine Le Pen ambitionne d’agir de manière pérenne, quand Emmanuel Macron revendique le recours au dispositif de primes versées par les entreprises, et qui seraient défiscalisées jusqu’à 6 000 euros. « Dans la vraie vie, quand vous allez chercher un prêt auprès de votre banquier, il vous demande votre salaire et il se moque des primes », a argué Mme Le Pen.

« Vous n’administrez pas les salaires, Mme Le Pen !, lui a opposé Emmanuel Macron. Je ne voudrais pas que celles et ceux qui nous écoutent pensent qu’avec vous, leur salaire va augmenter de 10 %, ce n’est pas automatique. » « Et vous n’administrez pas les primes, M. Macron », lui a rétorqué sa rivale.

Macron attaque Le Pen sur ses liens avec la Russie

Marine Le Pen a exprimé son soutien à l’« Ukraine libre », aux aides apportées à Kiev et aux sanctions contre la Russie – sur ce dernier point, elle s’oppose toutefois au blocage de l’importation du gaz et du pétrole russes.

Emmanuel Macron a répondu que la candidate du Rassemblement national (RN) tenait une position vis-à-vis de l’Ukraine et de la Russie qui « ne correspond pas au vote » des eurodéputés du RN – ils se sont opposés au versement d’une aide financière de l’Union européenne (UE) à l’Ukraine par un vote – ni à ses positions historiques.

« Vous avez été, je pense, l’une des premières responsables politiques européennes, dès 2014, à reconnaître l’annexion de la Crimée (…) Vous l’avez fait pourquoi ? Et je le dis avec gravité ce soir, parce que, pour notre pays, c’est une mauvaise nouvelle : parce que vous dépendez du pouvoir russe et que vous dépendez de M. Poutine », a lancé Emmanuel Macron, rappelant que le RN a contracté, en 2014, un prêt auprès d’une banque russe « proche du pouvoir » de M. Poutine.

« J’ai emprunté à une banque russe car aucune banque française n’a voulu me prêter » et « nous remboursons tous les mois rubis sur l’ongle », s’est défendue la députée du Pas-de-Calais, renvoyant M. Macron à sa promesse non tenue de créer une « banque de la démocratie » pour financer les partis politiques.

Le Pen affirme ne pas vouloir sortir de l’euro, Macron l’accuse de vouloir « quitter l’UE sans le dire »

Les deux candidats ont confronté leurs visions de l’UE, Emmanuel Macron défendant une « Europe plus forte, plus intégrée », Marine Le Pen lui opposant une réforme « profonde » de l’UE pour « faire émerger une Alliance européenne des nations ».
« Ce que vous décrivez, ça ressemble à une bande à part, a critiqué M. Macron. L’Europe est une copropriété, on ne peut pas décider seul de ripoliner la façade. »

Lors du débat de 2017, Emmanuel Macron avait relevé les fragilités du programme de Marine Le Pen sur la sortie de l’euro et de ses conséquences. Si la candidate du RN a amendé son projet sur ce point, son rival l’a accusée de « mentir sur la marchandise » et de porter un « projet qui ne dit pas son nom, mais qui consiste à faire sortir de l’Europe (…) ».
La députée du Pas-de-Calais a répété à plusieurs reprises ne pas vouloir sortir de l’UE ni de l’euro, reprochant à Emmanuel Macron de « tomber dans une forme de complotisme ». « Donc 80 % du programme a changé, c’est une bonne nouvelle par rapport à il y a cinq ans », a répondu Emmanuel Macron.

Le Pen critique les choix d’Emmanuel Macron en matière d’économie

Alignant les chiffres sur la dette, sur la hausse de la productivité, sur le nombre d’emplois industriels, sur la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF), ou encore sur le chômage, Marine Le Pen, qui défend le « patriotisme économique », a critiqué un « Mozart de la finance » qui « a un bilan économique qui est très mauvais et un bilan social qui est encore pire » :

« Vous nous expliquez avoir fait beaucoup d’efforts pour les plus modestes. Moi, ce que je vois, c’est qu’il y a 400 000 pauvres supplémentaires sous votre quinquennat. (…) Vous dites que vous êtes très bon en économie, que les entreprises vous adorent… Or, il y a 400 milliards d’euros de déficit de la balance commerciale, un record absolu. »

Emmanuel Macron a répondu en défendant son bilan, balayant un usage abusif des chiffres du chômage, rappelant que 600 milliards d’euros de dette supplémentaires étaient dus au « quoi qu’il en coûte » dont il s’est dit « fier », et assurant que la plus grosse baisse d’impôts décidée sur le quinquennat concernait la taxe d’habitation pour la majorité des ménages.

Les deux candidats ont également confronté leurs projets sur l’âge de départ à la retraite. Alors que, durant l’entre-deux-tours, Emmanuel Macron a proposé de le fixer à 64 ans en 2027, son adversaire, qui privilégie en la matière une fourchette « entre 60 et 62 ans », a estimé que « la retraite à 65 ans est une injustice absolument insupportable » et « absolument pas justifiée sur le plan budgétaire ».

Emmanuel Macron lui a répliqué en insistant sur la « nécessité de rééquilibrer les finances des retraites » et a attaqué le financement de son projet : « Soit vous avez des impôts cachés, soit vous allez mettre en péril les pensions des retraités. »

« Vous êtes climatosceptique », « vous, vous êtes climatohypocrite » : passe d’armes sur la transition écologique

Comme sur tous les autres thèmes, Marine Le Pen a attaqué Emmanuel Macron sur sa philosophie et sur son bilan écologique et les deux rivaux se sont écharpés sur la faisabilité et l’efficacité de leurs projets respectifs.

La candidate a défendu son projet de « localisme » et dénoncé « l’hypocrisie qui consiste à refuser de voir que c’est le modèle économique fondé sur le libre-échange qui est responsable d’une grande partie de l’émission des gaz à effet de serre ». Mme Le Pen s’est déclarée favorable à « la transition » écologique, mais il faut qu’elle soit « beaucoup moins rapide que ce qu’on impose aux Français ».
« Vous êtes climatosceptique », l’a accusée Emmanuel Macron, défendant son bilan et dénonçant le projet de sa concurrente, qui souhaite stopper tous les nouveaux projets éoliens et solaires : « Votre stratégie est une stratégie du tout-nucléaire. Elle n’est pas possible. » « Je ne suis absolument pas climatosceptique, mais vous êtes un peu climatohypocrite », a rétorqué la candidate du RN.

Elle a notamment reproché à M. Macron son « écologie punitive », ses choix de début de mandat, entre autres le fait d’avoir fermé la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), et son soutien aux énergies renouvelables, dont elle affirme qu’elles ne sont pas efficaces car intermittentes.

Macron promet une revalorisation des enseignants, Marine Le Pen l’attaque sur le rôle du cabinet de conseil McKinsey

Sur l’éducation, Emmanuel Macron a promis d’« investir sur l’école » s’il est réélu et a tenu à défendre son bilan, et notamment le maintien de l’ouverture des écoles pendant la pandémie de Covid-19 : « On a évité des drames tels qu’ils se sont passés aux Etats-Unis ou dans d’autres pays européens [qui ont fermé les établissements scolaires plus longtemps] », a-t-il affirmé.

« La réforme que vous proposez consiste à payer les professeurs en fonction des résultats de leurs élèves. Je ne sais pas si c’est [le cabinet de conseil] McKinsey qui a proposé ça », a répondu Marine Le Pen, faisant valoir sa mesure de revalorisation du salaire des enseignants de 3 % par an sur cinq ans.

« De manière inconditionnelle il y aura une revalorisation d’environ 10 % des salaires des enseignants et il n’y aura plus de démarrage de carrière sous 2 000 euros par mois. Donc, je veux dire ici très clairement que ce n’est conditionné à absolument rien », a rétorqué M. Macron.

Sur la laïcité, Macron accuse Le Pen de pousser à la « guerre civile »
Les deux candidats ont conclu cet échange sur la laïcité en actant leur « incontestable divergence ». Interrogée sur le sujet, Marine Le Pen a affirmé lutter contre « l’idéologie islamisme », « pas contre la religion de l’islam, il n’y a aucun problème », et s’est dit favorable à l’interdiction du voile dans l’espace public.

Emmanuel Macron a critiqué le fait que sa rivale soit passée « d’une question sur le voile » « au terrorisme, pour revenir à l’islamisme, et pour aller vers les étrangers ». « Vous créez un système d’équivalence par votre cheminement qui confond tous les problèmes et qui les entretient », a tancé le président sortant, fermement opposé à une « interdiction de quelconque signe religieux dans l’espace public ».
« Vous allez créer la guerre civile si vous faites ça », a ajouté M. Macron. La France, patrie des Lumières, deviendrait avec vous le premier pays au monde à interdire les signes religieux dans l’espace public, cela n’a aucun sens. (…) Ce n’est pas la France de l’universalisme ce que vous proposez (…), c’est une trahison de l’esprit français et de la République. »

« Mme Le Pen, on parle de religion, (…) vous ne pouvez pas expliquer qu’une loi qui interdit le voile dans l’espace public est une loi contre l’islamisme radical », a lancé M. Macron. « Eh bien si », a répliqué son adversaire. « Les bras m’en tombent », a conclu Emmanuel Macron.

Sur les institutions, Macron promet une « autre pratique du pouvoir », Le Pen vante l’utilisation du référendum

Emmanuel Macron a dit vouloir « une autre pratique du pouvoir », s’affirmant personnellement favorable à la proportionnelle à l’Assemblée nationale et exprimant son souhait d’installer une commission transpartisane sur les voies et les moyens de changer les institutions.

« Un espace dans lequel les élus de différents partis qui discutent et, accessoirement, qui votent, ça s’appelle l’Assemblée nationale. Vous l’avez mise de côté pendant cinq ans », a rétorqué, cinglante, Marine Le Pen. La candidate du RN a accusé le président de ne pas avoir « consulté » ni « entendu » les « gilets jaunes ». « Vous les avez maltraités, avec des mots violents à leur égard », a estimé Mme Le Pen, insistant sur son projet de mise en œuvre du référendum d’initiative citoyenne.

« Dans mon référendum sur l’immigration, il y a une révision constitutionnelle. Je passerai par l’article 11 de la Constitution », a aussi assuré la candidate du RN face aux critiques d’Emmanuel Macron, qui évoquait le caractère inconstitutionnel de la procédure. « Le souverain, c’est le peuple, ce n’est pas le Conseil constitutionnel », a affirmé la candidate d’extrême droite. « Vous proposez donc une formule qui éradique le rôle de l’Assemblée nationale », a répliqué Emmanuel Macron.

Le Monde