L’universitaire de 55 ans, jusqu’ici à la tête du Musée national français de l’histoire de l’immigration, a été nommé, vendredi, dans le gouvernement Borne pour prendre la suite de Jean-Michel Blanquer.

C’est l’un des nouveaux visages du gouvernement Borne. L’historien Pap Ndiaye a été nommé ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, vendredi 20 mai, a annoncé le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, en remplacement de Jean-Michel Blanquer resté cinq ans rue de Grenelle. L’école est présentée comme l’un des trois grands chantiers du nouveau quinquennat d’Emmanuel Macron.

Cet universitaire français de 55 ans, spécialiste de l’histoire sociale des Etats-Unis et des minorités était jusqu’ici à la tête du Musée national français de l’histoire de l’immigration. Au printemps 2021, il a été nommé à ce poste par Emmanuel Macron qui réclamait du sang neuf. Inquiet des tensions identitaires qui montent en France depuis quelques années, le chef d’Etat cherchait un lieu, et une personne, pour apaiser le débat. « Un an avant la présidentielle, le président a voulu un changement symbolique au musée, expliquait au Monde, Mercedes Erra, cofondatrice de l’agence de communication BETC et présidente du conseil d’administration du Palais de la Porte-Dorée, en juin 2021. Un directeur médiatique, pacificateur, qui sortirait du sérail des conservateurs. »

Selon le sociologue Michel Wieviorka, la réalité serait très politique : « Le chef de l’Etat voulait ­lancer un signal politique pour contrebalancer les positions des ministres Jean-Michel Blanquer [éducation], Frédérique Vidal [enseignement supérieur] et Gérald Darmanin [intérieur]. » Tous trois ont notamment dénoncé ces derniers mois les « ravages de l’islamo-gauchisme ».

Maître de ses émotions

Début février 2021, quand Frédérique Vidal a déclenché la controverse sur « l’islamo-gauchisme » à l’université, Pap Ndiaye a senti le danger. Mais « j’avais l’obligation d’intervenir, sinon je perdais toute crédibilité », expliquait-il au Monde en 2021. Sur France Inter, il a pris sa voix la plus douce pour asséner : « Ce terme d’islamo-gauchisme ne désigne aucune réalité à l’université. Ce qui me frappe surtout, c’est le degré de méconnaissance du monde politique des recherches qui sont menées à l’université en sciences sociales et en sciences humaines. »

Parfaitement maître de ses émotions, le frère de Marie NDiaye, écrivaine lauréate du Femina et du Goncourt, sait aussi cadrer celles des autres. Valentine Umansky, curatrice de la Tate Modern à Londres, qui l’a connu professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), ne l’a jamais entendu élever la voix : « Il ne rentre jamais dans le conflit, même avec les gens les plus emportés, c’est désarmant dans tous les sens du terme. »

Depuis qu’il a écrit La Condition noire (Calmann-Lévy), en 2008, première étude notoire des black studies à la française, la cote de Pap Ndiaye monte chez les politiques, rassurés par son côté détaché de la lutte des races et de la lutte des classes. Ils l’ont aussi vu à l’œuvre dans les institutions culturelles. En 2019, le Musée d’Orsay l’a intégré dans le comité scientifique de l’exposition « Le Modèle noir, de Géricault à Matisse », grand succès de l’année. Ses modèles sont saxophonistes, écrivains – Aimé Césaire, le poète de la négritude, est son idole.

« Mes premières pensées vont vers le monde enseignant, qui est le mien depuis longtemps », a déclaré M. NDiaye, lors de la passation des pouvoirs vendredi soir avec son prédécesseur, Jean-Michel Blanquer, visiblement ému de remettre le flambeau. Les deux hommes ont fait référence à Samuel Paty, l’enseignant d’histoire assassiné par un terroriste. Pap NDiaye lui a dédié ses premiers mots, tandis que Jean-Michel Blanquer a insisté sur l’avant et l’après que représente le drame : « Samuel Paty nous oblige à une vigilance sur nos valeurs. Vous en êtes maintenant le garant. »

Pap NDiaye a mis en avant son parcours durant son discours : « Je suis le pur produit de la méritocratie républicaine dont l’école est le pilier », avant d’ajouter : « Je suis le symbole de la méritocratie et de la diversité. Je n’en tire aucune fierté, mais le sens du devoir et des responsabilités. » Parmi les « défis immenses », il évoque « la consolidation des savoirs fondamentaux, l’égalité des chances et l’adaptation nécessaire de l’école aux bouleversements des économies et des sociétés ». « Le dialogue avec la communauté éducative sera aussi important », a-t-il martelé en forme de gage donné aux enseignants.

Critiques de l’extrême droite

Quelques minutes après l’annonce de la nomination de Pap Ndiaye, de nombreuses personnalités d’extrême droite ont critiqué ce choix. Pour Marine Le Pen, « la nomination de Pap Ndiaye, indigéniste assumé, à l’éducation nationale est la dernière pierre de la déconstruction de notre pays, de ses valeurs et de son avenir ».

Le président par intérim du Rassemblent national, Jordan Bardella, a estimé que M. Ndiaye est « un militant racialiste et anti-flics ». Pour l’eurodéputé, sa nomination « est un signal extrêmement inquiétant envoyé aux élèves français au sein de l’éducation nationale, déjà minée par le communautarisme ».

Chez Reconquête, également, le parti d’Eric Zemmour, Pap Ndiaye a été l’objet de toutes les critiques. Sur Twitter, le militant Damien Rieu a déploré le fait que M. Ndiaye ait participé en 2016 « à des “réunions en non-mixité” (interdites aux Blancs) aux côtés des pires “indigénistes” dans le “bâtiment occupé” de l’université Paris-VIII. Voici celui qui sera chargé de l’éducation de nos enfants. »

Du côté de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon s’est exprimé après l’annonce du gouvernement et a évoqué « l’audace » de la nomination de l’historien Pap Ndiaye que les « insoumis » « saluent ». « Si je ne sais rien de ses intentions dans l’éducation nationale, je partage l’appréciation qu’il avait formulée à propos du président de la République dans une interview au Monde en juillet 2019 : “Quant à Emmanuel Macron au centre droit, s’il lui arrive de s’exprimer avec éloquence comme lors du 10 mai à propos de la mémoire de l’esclavage, on peine à discerner une politique ou même un point de vue consistant.” Sur ce point, nous sommes d’accord », a-t-il dit.

Le Monde- Service politique (avec AFP)