Pour l’ancienne ministre du Genre et de la promotion de la femme, Nestorine Sangaré, "sans patriotisme, leadership de qualité, ordre, discipline, unité nationale et confiance mutuelle entre les leaders et les citoyens, il est impossible de vaincre le terrorisme".

Les premières attaques terroristes sur le territoire Burkinabè ont eu lieu en 2015. Dans la journée du samedi 4 avril 2015, aux environs de 10h30, une équipe de la sécurité de la mine de Tambao en patrouille a fait l’objet d’une attaque par des individus armés non identifiés. Iulian Gherghut, un officier de sécurité roumain de 39 ans, responsable de la sécurité de la Mine de Tambao a été enlevé. La mine de manganèse de Tambao est située à l’extrême nord du Burkina Faso, dans la zone dite des trois frontières avec le Mali et le Niger. L’attaque a été revendiquée par Adnan Abou Walid Sahraoui, un cadre du groupe terroriste Al-Mourabitoune.
Le 17 août 2015, un véhicule de l’armée burkinabè roule sur un engin explosif à Touronata : 3 soldats sont tués et 2 grièvement blessés. C’est la première attaque de ce type au Burkina Faso. Le 23 août 2015, un gendarme est mortellement blessé dans une attaque menée contre le poste de Oursi par trois hommes armés.
Le 9 octobre 2015, trois gendarmes, un djihadiste et un civil sont tués lors d’un affrontement à Samorogouan. Mais, il a fallu l’attentat du 15 janvier 2016 contre le Cappucino et l’Hotel Splendid à Ouagadougou, qui a fait 30 morts et revendiqué par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et attribué à la katiba Al-Mourabitoune pour que le Burkina Faso devienne un pays victime du terrorisme.

Une lenteur et inefficacité récurrente de la réponse publique

Depuis lors, il est question d’une inefficacité récurrente de la réponse politique face au phénomène terroriste par manque de stratégie adéquate, d’équipements en quantité et qualité et de soutien populaire massif à la lutte.
Au titre des actions politiques, on note l’allocation d’un budget de plus en plus important à la sécurité de 2016 à 2022. Mais, il manquait des documents d’orientation des actions. Un Forum national sur la sécurité a été organisé du 24 au 26 Octobre 2017 sous la présidence du Ministre d’Etat Simon Compaoré. C’est le 17 juin 2019 à Ouagadougou que l’ancien Président Roch Marc Kaboré a lancé les travaux de la Commission d’élaboration de la politique de sécurité nationale (PSN). La commission composée d’une équipe pluridisciplinaire de 100 membres avait un délai de 100 jours pour proposer une politique de sécurité nationale et un projet de loi sur la réorganisation de l’architecture générale de la sécurité nationale. Dans son discours, le Président a dit ceci : « C’est la première fois que notre pays se donne l’espace et les moyens de se doter d’une vision malgré l’ampleur inégalée des menaces sécuritaires en général et des harcèlements terroristes en particulier ». C’est finalement le 6 octobre 2021, que le gouvernement burkinabè a adopté la politique nationale de sécurité (PNS) tant attendue. Concomitamment, une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme a été élaborée entre mai et septembre 2021.
Pendant ce temps, les attaques se sont multipliées et intensifiées sur le terrain, faisant de plus en plus de victimes civiles et militaires, les déplacements des populations et l’occupation de certaines parties du territoire national par les groupes terroristes. Suite à l’attaque de Solhan dans la nuit du 4 au 5 juin 2021 ayant fait plus de 130 victimes, l’ex-président Roch Marc Christian Kaboré a ouvert un dialogue politique avec l’opposition. L’objectif était de trouver des solutions face à la montée des violences terroristes dans le pays. Dans un entretien sur TV5 Monde, l’analyste politique Siaka Coulibaly dit que la classe politique a préféré capitaliser sur cette situation de plus en plus délétère pour ne pas être distancée dans l’opinion publique, au lieu d’œuvrer pour l’unité d’action en appui au gouvernement. A son avis, « le problème fondamental du gouvernement a été la non adhésion de la population en général vis-à-vis de ses politiques de défense et de sécurité ». Par ailleurs, « tout ce qui existe comme politique, comme dispositif, comme solution ne fonctionnait pas vraiment ».

Une opportunité de sursaut national contre le terrorisme ?

Après vint l’onde de choc d’Inata. Et les attaques se sont poursuivies, accompagnées d’une crise humanitaire et politique et le Chef d’Etat a été accusé d’incompétence. Les multiples critiques et le désespoir de la population face à la situation sécuritaire ont favorisé le coup d’Etat du 24 Janvier 2022. La lutte contre l’insécurité, la reconquête des espaces du territoire sous occupation terroriste et le retour des populations déplacées dans leurs localités sont les priorités annoncées par le MPSR. Au nom de la continuité de l’Etat, le pouvoir en place doit finaliser et opérationnaliser la stratégie de lutte avant d’engager des actions efficaces sur le terrain. Dans son discours du 1er Avril 2022, le Président de la Transition a annoncé l’adoption d’une stratégie de partenariats variés avec des pays étrangers pour la lutte contre le terrorisme. Après la mise en place des organes de gouvernance du pays de février à mars 2022, le Premier ministre Albert Ouédraogo a procédé le mardi 5 avril 2022, à l’installation des membres de la Task-Force pour l’opérationnalisation de la Stratégie nationale de lutte contre le terrorisme (SNLCT).
Composée des membres ayant participé à l’élaboration de la stratégie nationale, cette Task-Force disposait de trois (03) semaines pour finaliser ladite stratégie, assortie d’actions concrètes qui puissent permettre une prise en charge globale des questions sécuritaires au Burkina Faso. Le mercredi 20 avril 2022, les membres de la Task Force ont eu une séance de travail avec les députés de l’Assemblée Législative de Transition (ALT), pour présenter le document cadre aux députés afin de recueillir leurs amendements.

En attendant une stratégie consensuelle et une hypothétique unité nationale

Pendant que la Task Force s’active toujours pour finaliser la Stratégie de lutte contre le terrorisme et son plan d’action, le nouveau gouvernement a procédé au rappel des militaires et sous-officiers retraités. Il a aussi annoncé l’ouverture de négociation avec les citoyens burkinabè impliqués dans les attaques pour les amener à déposer les armes et réintégrer la nation. Toutes ces propositions font l’objet de contestations et de critiques dans les médias et sur les réseaux sociaux. La question de l’achat des armes reste une grande source de préoccupation au moment où le choix des pays partenaires fait l’objet de polémiques publiques et non de concertation secrète. Depuis mars 2022, des mouvements et associations manifestent pour demander au gouvernement de choisir la Russie comme partenaire militaire principal dans la lutte contre le terrorisme. Ils exigent la rupture des accords de coopération militaire avec la France comme conditions obligatoires pour leur appui au pouvoir en place pour lutter contre le terrorisme. Ces associations et mouvements de citoyens se réfèrent à l’expérience du Mali voisin pour faire pression sur les autorités burkinabè pour adopter une démarche similaire dans le choix des partenaires de lutte contre le terrorisme. Cependant, plusieurs disent ignorer quel est le coût actuel d’un assistant militaire russe intervenant au Mali. Certains avancent des chiffres variant de 4 ou 8 millions CFA par mois par militaire. Face à la situation sécuritaire et économique actuelle du Burkina Faso et avec des militaires non formés en Russie, quelle proportion du budget national pourra être allouée à cette assistance russe et pendant combien de temps ? Faudrait-il revaloriser les 20 000 CFA servis aux VDP pour attirer plus de volontaires nationaux « motivés » par l’argent ? Comment motiver davantage les militaires engagés au front ? Toutes ces questions indiquent que le coût de la Stratégie de lutte sera très élevé. Comme il sied en pareilles circonstances il sera secret, mais, connaissant la mentalité contestataire actuelle des burkinabè, les polémiques ne manqueront pas. C’est pourquoi, il convient de se demander quelles sont les solutions alternatives si le Burkina Faso ne peut pas s’offrir et dans la durée les services des militaires russes. Nul ne fait mention de la Chine comme partenaire militaire potentiel comme ce fut le cas avec Taïwan par le passé. Pourtant, la Chine soutient aussi le Mali voisin. La Turquie et l’Iran sont mentionnés comme des partenaires possibles sans que la poursuite de la collaboration avec tous les pays de l’OTAN ne soit remise en cause. Avant que la Stratégie de lutte contre le terrorisme ne soit finalisée et opérationnalisée sur le terrain, on assiste toujours à l’absence d’une stratégie consensuelle de lutte, d’insuffisances des moyens humains et logistiques et de manque de soutien populaire massif au gouvernement.

Un échec collectif à assumer enfin pour le sursaut national

Plus de 100 jours après le putsch du 24 Janvier 2022, les attaques terroristes se poursuivent et s’intensifient. Les leaders d’opinion exigent ici et maintenant la redevabilité du nouveau régime par rapport à ses promesses. Dans ce contexte, le décompte méticuleux et quotidien du nombre d’attaques et de victimes peut paraitre cynique. Large diffusion. Ces derniers temps, les publications des statistiques macabres tendent à démontrer à l’opinion nationale que le Président Damiba et son équipe ont déjà échoué. Des leaders d’opinion et militants de partis font le suivi des statistiques au quotidien sans la moindre analyse des causes et facteurs explicatifs. Ils publient largement et avec célérité les scoops sur les attaques et le nombre de victimes sur toutes les plateformes non pour informer mais pour provoquer une réaction d’indignation. Ils disent réunir les preuves montrant que Damiba ne vaut pas mieux que Roch. Certains ironisent et pensent tenir leur revanche en refusant avec fierté et conviction de soutenir le pouvoir en place. Trop d’experts virtuels en défense qui pompent l’air au quotidien et découragent les vrais combattants sans y prendre garde.
Pourtant, la menace terroriste met en cause la survie de toute la nation. En cas d’échec, c’est tout le peuple burkinabè qui s’est montré incapable, depuis 2015, de s’unir pour lutter efficacement contre le terrorisme. L’échec éventuel est surtout celui des leaders politiques qui refusent de taire leurs ambitions et leurs conflits d’intérêts personnels pour mobiliser le peuple pour la défense de la Nation, comme au Mali.
La lutte contre le terrorisme ne saurait être l’affaire des seuls militaires et VDP. Les autres citoyens doivent quitter les maquis, les manguiers et les réseaux sociaux pour se joindre à la lutte active et pratique sur le terrain. La défense de la patrie et des intérêts nationaux doit devenir prioritaire dans les actions des leaders coutumiers et religieux, des élites intellectuelles, politiques et économiques et de la jeunesse.
Les partis politiques doivent adopter un discours rassembleur et patriotique en plus d’éduquer leurs militants à une expression citoyenne ordonnée, pacifique et respectueuse de l’autorité de l’Etat. Sans patriotisme, leadership de qualité, ordre, discipline, unité nationale et confiance mutuelle entre les leaders et les citoyens, il est impossible de vaincre le terrorisme. Même avec l’aide de la Russie, de la Chine et de la Turquie. Et, cinq ou dix coups de plus ne changeront rien à la désintégration en cours du Burkina Faso. Changeons ensemble.

Dr Nestorine SANGARE/COMPAORE
Experte en Sociologie du Développement