Depuis quelques années, les administrations des régies financières multiplient les innovations dont l’un des objectifs essentiels est d’avoir une meilleure maîtrise de l‘assiette fiscale et ainsi trouver les ressources budgétaires internes à même d’assurer la prise en charge des besoins de l’Etat et des investissements. Les techniques élaborées et mises en œuvre sont diverses et variées, et pour certains spécialistes de la fiscalité et de l’économie, il faut citer l’amnistie fiscale.

L’amnistie est un acte du législateur qui efface rétroactivement le caractère punissable des faits auxquels il s’applique. Selon le cas, l’amnistie empêche ou éteint l’action publique, annule la condamnation déjà prononcée ou met un terme à l’exécution de la peine. Les peines amnistiées ne figurent plus au casier judiciaire.
Appliquée à la fiscalité, elle consiste à abandonner totalement ou partiellement des sanctions prononcées par les cours et tribunaux à l’encontre de contribuables qui ont enfreint à leurs obligations fiscales. Dans notre cas, ces sanctions sont celles qui sont aussi prononcées par les administrations fiscales, à l’occasion ou non des contrôles fiscaux.
Il est attribué plusieurs avantages mais aussi des inconvénients aux programmes d’amnistie fiscale. Parmi les avantages, on peut noter entre autres :
La lutte contre la fraude : c’est le principal objectif d’un programme d’amnistie fiscal, la fraude fiscale étant définie comme une entorse à la loi fiscale avec un manque à gagner dans les caisses du Trésor public. Dans ce sens, il s’agit d’identifier les contribuables non à jour de leurs obligations fiscales et de leur proposer de se mettre en règle. A la fraude fiscale, il faut associer l’évasion fiscale définie comme des stratagèmes par l’exploitation judicieuse de la règlementation avec pour but de payer le moins d’impôt possible. En somme, c’est « le fait de soustraire le maximum de matières imposables à l’application de la loi fiscale en général ou à l’application d’un tarif d’impôt particulier, sans transgresser la lettre de la loi –ce qui correspondrait à la fraude fiscale– en mettant systématiquement à profit toutes les possibilités de minorer l’impôt, ouvertes soit par ses règles, soit par ses lacunes ». L’évasion fiscale correspond donc à une forme d’optimisation fiscale excessive.
Le recouvrement des arriérés d’impôts : il contribue au renflouement des caisses de l’Etat, donc à l’élargissement de l’assiette fiscale du fait que l’on retrouve des contribuables. Il s’agit en l’espèce d’offrir aux contribuables défaillants de se faire connaitre, une occasion de « se repentir » et verser au besoin une partie des impôts dus. On peut noter qu’en 2018, le programme d’animiste fiscale proposé par le gouvernement nigérian a rapporté au Trésor public environ 98 millions de dollars.
Avantages et inconvénients
Un instrument de relance économique : une amnistie fiscale donne l’occasion à des opérateurs économiques de regagner leurs pays pour réinvestir. L’importance des sommes en jeu indique que ce sont des entrepreneurs d’une certaine taille qui sont concernés. Les exemples sont légion même si toutes les catégories de la population sont intéressées. Parfois, ils sont « partis » à la faveur de règles fiscales qu’ils jugent contraignantes et non incitative pour ne pas dire pénalisantes pour leurs outils de travail. On peut aussi noter qu’une amnistie bien menée peut permettre à certains secteurs d’activités de réduire leurs charges et jouer mieux leur partition dans le développement du pays. La référence est faite à l’endroit de la presse. La Côte d’Ivoire de ce point de vue constitue un exemple. Cette technique a été utilisée dans de nombreux pays notamment européens et asiatiques dans le but de reconstituer le tissu économique et les principaux agrégats économiques
A côté de ces avantages, l’amnistie fiscale comporte des inconvénients dont la plus importante est le sentiment d’impunité de fraudeurs qui n’ont pas respecté leurs obligations fiscales. En effet, cela peut être ressenti comme une prime à des « hors la loi », qui ont agi très souvent de manière volontaire et qui ont trouvé des moyens pour continuer leurs activités commerciales. Ce sentiment d’impunité peut avoir des conséquences sur les autres contribuables qui ont l’impression de supporter plus durement la charge fiscale nationale alors que d’autres ne le font pas ou pas suffisamment. Il y a donc cette impression d’injustice et de traitement inégalitaire des contribuables, surtout lorsque la puissance publique ne met pas suffisamment les moyens ou l’autorité nécessaire pour recouvrer les impôts et taxes. Le cas des arriérés d’impôts est un signe de ce manque d’autorité. En effet, plus ils sont importants, plus leur recouvrement est problématique, plus l’autorité de l’Etat est en cause.
Au regard du dispositif et en dépit des difficultés et/ou des inconvénients, il convient d’analyser l’amnistie fiscale comme une des mesures dans la panoplie visant à emmener les contribuables à régulariser leurs situations fiscales et donc à offrir une occasion « d’un nouveau départ » dans les relations entre l’administration fiscale et les contribuables.
Qu’est-ce que l’amnistie fiscale peut apporter ?
La fraude fiscale fait perdre au Burkina Faso chaque année des centaines de milliards de F CFA. Comme « un cancer », elle gangrène l’économie nationale et empêche ainsi les services de recouvrement de collecter le maximum de recettes attendues pour financer le développement. C’est le constat fait par les autorités publiques lors de l’atelier des 20 au 25 août 2018 à Ouagadougou. Au 31 décembre 2017, les Restes à Recouvrer (RAR), c’est-à-dire la différence entre les montants transmis aux services de recouvrement et les montants effectivement encaissés par ces derniers étaient estimés à 482 milliards de FCFA, ce qui est une somme très importante.
Un programme d’amnistie fiscale peut donc permettre de recouvrer un certain nombre d’impôts et de taxes rentrant dans la catégorie des RAR mais aussi de lutter contre les mauvaises pratiques dont les conséquences sont importantes en termes de manques à gagner. Une des données aussi capitale dans une décision d’amnistie fiscale est la confiance retrouvée entre les acteurs économiques et les administrations en charge de la gestion du système fiscal dans notre pays. Ce sera un signal fort que donneraient les autorités en permettant aux partenaires économiques de reprendre leur place dans le processus de développement endogène.
Mais comme toute amnistie fiscale régulière et surtout bien menée, elle doit se faire avec des conditions bien précises.
Quelles conditions pour une amnistie fiscale ?
Une amnistie fiscale est soit totale, soit accompagnée de conditions plus ou moins draconienne. Dans notre cas, il est souhaitable que des conditions soient définies afin de se donner toutes les chances de sa réussite en termes de résultats. Deux conditions essentielles peuvent être analysées :
La limitation à certains impôts : autrement une amnistie fiscale serait limitée aussi bien dans son objet que dans le temps. Dans ce sens, elle pourrait concerner dans un premier temps les restes à recouvrer (RAR). Il ne s’agirait pas d’abandonner totalement ces recouvrements mais proposer un abandon d’au moins 50% et le reste pourrait faire l’objet d’un échéancier de paiement. La durée de cet échéancier pourrait être laissée à l’appréciation du contribuable car lui seul connait sa trésorerie. Dans un second temps, l’amnistie pourrait concernée les impôts directs à ne pas payer pendant une période de cinq ans, c’est-à-dire une forme d’exonération temporaire. Dans cette proposition, seront exclues les obligations de déclaration qui incombent aux contribuables. Autrement les contribuables seront toujours soumis à l’obligation de faire les déclarations de leurs revenus, lesquelles déclarations seraient traitées conformément aux procédures légales, c’est-à-dire qu’elles pourraient l’objet de contrôle fiscal. Pourraient être aussi exclus les impôts locaux, en raison de leur importance pour les budgets des collectivités territoriales.
Un contrat de confiance entre les parties : il s’agira de prendre l’opinion publique à témoin des engagements des administrations fiscales et des contribuables concernés. Pour éviter de nombreux contrats et pour assurer une certaine discrétion ou une forme de protection des contribuables, le contrat de confiance pourrait être signé et paraphé entre les administrations fiscales et les associations représentatives des contribuables concernés par l’opération, c’est-à-dire les organisations patronales. Ce contrat de confiance devra être analysé comme une obligation de résultat dans lequel les contribuables bénéficiaires devraient prendre l’engagement d’être désormais en règle vis-à-vis de leurs obligations fiscales. Dans certains cas en Europe ou en Asie, ce contrat devra intégrer des sanctions plus sévères à l’encontre des bénéficiaires dits récidivistes, donc en cas de non-respect de leurs obligations fiscales.
Une garantie de transparence de l’utilisation des recouvrements dus à la mise en œuvre du programme d’amnistie fiscale : il s’agit de donner toutes les informations pour lever tout doute sur les destinations des sommes obtenues. On pourrait par exemple indiquer par avance que les montants recouvrés serviraient au financement d’infrastructures scolaires ou sanitaires. Par un tel engagement, l’autorité publique inciterait les contribuables bénéficiaires de se rendre utile à la nation.
Une amnistie fiscale est une décision technique certes, mais elle comporte aussi des aspects politiques en ce qu’elle induit parfois des répliques bien agencées face aux inévitables critiques sur ses inconvénients. Il faut donc une dose de courage pour la conception et la mise en œuvre d’un programme d’amnistie fiscale. Mais au regard des avantages qu’elle peut engendrer, la mesure en vaut la chandelle.

Amadou Yaro, Fiscaliste, Enseignant, ancien Directeur général de l’ENAREF et ancien ministre.