"L’anglais là, était bongal man". Ainsi s’était exprimé au micro d’un confrère un collégien sur l’épreuve d’anglais qu’il venait de composer à l’examen du BEPC. Par la magie des TICs, en peu de temps, le terme et surtout l’élève sont devenus célèbres sur les réseaux sociaux. Négativement. Certains ont vite conclu que ce candidat au BEPC allait échouer tant son niveau leur paraissait bas. D’autres ont même pris des engagements en termes de récompense s’il décrochait le parchemin.
Pour Dr Xavier Belemtougri, enseignant à l’université de Dori, l’usage du verlan par l’élève n’indique rien sur son niveau de connaissance, mais relève d’une pratique sociale consistant à déroger volontairement aux règles de la grammaire française.

Ces derniers temps les réseaux sociaux se sont enflammés suite à la sortie du jeune élève de 3e sur ses impressions de l’épreuve d’anglais qu’il venait fraîchement de composer. Ce qui a plus retenu l’attention des internautes c’est l’emploi du verlan et surtout du néologisme ”bongal”. Faut il en rire ou en pleurer si un élève en classe d’examen s’exprime de la sorte ? Quelle analyse faire de son langage ?
Il faut noter avant tout que l’expression du jeune candidat au micro du journaliste relève de ce que l’on nomme verlan en sociolinguistique. C’est un phénomène langagier propre aux jeunes et consistant à renverser l’ordre des syllabes ou l’effacement de certaines syllabes dans un mot donné. C’est dans ce sens que famille donne ”mifa” en verlan. Le but du verlan est de créer un langage codé accessible aux seuls initiés. C’est un signe de démarcation sociale tout comme l’accoutrement.
Contrairement à ce que certains pensent, il est plus aisé de s’exprimer en langue normative qu’en verlan. Le jeune a employé des termes tels que ”yenmo”, pour parler de moyenne, ”pe-cho” pour choper, qui dans son contexte signifie avoir. Le néologisme ”bongal” qu’il a employé s’inscrit également dans le même registre de création d’un langage codifié propre à ceux qui y sont initiés. A y voir de près, l’on se rend compte que le jeune maîtrise bien les codes de son parler. Cela présuppose qu’il connait aussi bien la norme standard du français qu’il se doit d’utiliser en salle de composition. Ceux qui voient en lui un signe de médiocrité en français ou de voyou doivent se raviser. Il est bien conscient que ce parler n’a pas sa place sur sa copie.
Par ailleurs le verlan n’est pas seulement propre aux jeunes burkinabè. Qu’on se rappelle le principal parler des jeunes banlieusards parisiens et des textes de certains rappeurs français pour se rendre à l’évidence que le phénomène est mondial. Les jeunes ivoiriens qui parlent le nouchi ou les ghanéens et nigérians qui s’expriment en pidgin ne sont pas tous ignares des normes du français ou de l’anglais.
Le verlan est un écart par rapport à la norme et peut être classé parmi les écarts de style. Le style étant la manière propre à une personne ou un groupe de personnes de s’exprimer dans une langue donnée. Cela suppose que ces locuteurs connaissent bien la norme mais décident de l’enfreindre. Cependant quand le locuteur ignore la norme et la transgresse, il commet des fautes.
La langue est un phénomène dynamique et non figé. Même au temps des empereurs français qui avaient une grande influence sur la langue, ils ont échoué à imposer la norme à tous. Amadou Kourouma en 1968 s’est vu refusé l’édition de son roman ”Le Soleil des indépendances” en France, dans un premier temps, sous prétexte qu’il a foulé aux pieds les règles de la langue française. Ce même livre a été édité à Montréal au Canada. Suite à son succès retentissant, la maison d’édition française le Seuil décide enfin de l’éditer. Ce rappel est important pour signifier à tous que la langue est une réalité qui échappe à un contrôle quelconque surtout en dehors du cadre extra scolaire. Le petit l’a bien su et il en est devenu célèbre bongalement. Déjà, une agence de voyage lui propose un billet aller-retour pour un séjour à Accra et à Lomé. Très bientôt, vous verrez des t.shirts estampillés ”bongal” dans les rues de Ouaga. En quelques jours déjà, ”bongal” est un terme entré dans le lexique de plusieurs personnes à travers le Burkina. Et de ce terme proviennent plusieurs dérivés : bongalement, bongaler, bongaltiquement… C’est la langue qui s’enrichit. Comme quoi, on peut devenir célèbre à partir de rien.

Dr Xavier Belemtougri
Enseignant à l’université de Dori