A l’initiative de la Coordination régionale du centre du CERFI, une conférence publique a réuni le dimanche 19 juin 2022, les musulmans burkinabè autour de leur contribution dans l’édification d’un Burkina "tolérant, solidaire et prospère".

Agitation inhabituelle dimanche matin sur le parvis du Centre national des arts, du spectacle et de l’audiovisuel (CENASA). Des vendeurs à la sauvette accostent les gens et leur proposent, sans grand succès, des cache-nez, cet accessoire recommandé par les autorités sanitaires pour endiguer la propagation du COVID-19. Des libraires ambulants exposent à même le sol, des livres et des brochures sur la connaissance de l’islam. Un parking improvisé d’engins à deux roues se remplit. Des connaissances qui s’étaient perdus de vue se saluent, manifestement contentes de se revoir.
Devant l’entrée de la grande salle, la police est là et veille. Il faut montrer pette blanche. Fouille des sacs et passage au détecteur de métaux. Une fois ces formalités remplies, on y peut y accéder. Il est 9 heures, mais la conférence n’a pas encore commencé. La salle est presque remplie. Une sono vante, à voix basse, les bienfaits que procure la pratique de l’islam : apaisement, sérénité, joie intérieure, équilibre mental et psychologique.
Il est presque 9h30mn quand le MC annonce l’entrée des officiels et autres personnalités invitées à l’activité de ce dimanche matin : une conférence organisée par la coordination régionale du Cercle d’étude, de recherche et de formation islamique (CERFI) sous le thème, « La contribution des musulmans à l’édification d’un Burkina Faso tolérant, solidaire et prospère ».
Pur hasard de calendrier, ce débat se tient quelques jours après qu’un message émis par un musulman et largement partagé sur le réseau social Watsap appelant à la violence contre les Peulhs, ait suscité l’indignation générale et une condamnation ferme du gouvernement.
Les personnalités dont le président du CERFI, Hamid Yaméogo, la ministre de la Transition digitale, des postes et des communications électroniques, Aminata Zerbo Sabane, l’ancien ministre de l’Economie et des finances, Seydu Bouda, s’installent. « Le soleil se lève pour un Burkina nouveau et prospère », lance le MC. On ne sait pas très bien à quoi fait-il allusion. Il informe que de manière simultanée, la même conférence sur le même thème se déroule dans d’autres villes dont Tenkodogo, Ziniaré et Bobo-Dioulasso.
Après la lecture d’un passage du Coran par un « frère en islam », le président du CERFI Hamid Yaméogo rappelle le contexte dans lequel se tient cette rencontre dominicale : des attaques terroristes qui endeuillent nos familles depuis plusieurs années et qui mettent à mal la cohésion sociale et la coexistence pacifique des différentes composantes de la communauté nationale. Un Burkina où les valeurs morales et sociales qui doivent cimenter le vivre-ensemble s’effritent.
Une situation face à laquelle, le CERFI qui milite depuis plus de 30 ans pour un islam républicain, de paix et de prospérité partagée ne peut rester indifférent. D’où cette conférence dont l’objectif est d’inviter les musulmans à résolument s’engager dans la construction d’un Burkina stable, tolérant et solidaire.
On donne la parole au conférencier, Tiégo Tiemtoré, une figure bien connue de la communauté musulmane, partisan d’un islam qui s’appuie sur les dogmes tout en épousant les valeurs républicaines.

Que doit faire le musulman pour être utile à sa communauté et au Burkina ?, interroge d’emblée le conférencier. La réponse à cette question passe par trois préalables :
 Définir l’identité du musulman. Qui est-il ? Question éminemment métaphysique.
 Identifier les clés du vivre-ensemble
 Enoncer les défis du vivre-ensemble
Pour l’imam Tiemtoré, être musulman, c’est avoir un contrat avec le créateur qui vous impose des obligations et des devoirs. C’est le rapport vertical qui lie le croyant au créateur et c’est aussi le rapport horizontal qui le lie aux autres créatures.
Etre musulman, c’est aussi avoir une certaine éducation, remplir des obligations dont les cinq piliers de l’islam. L’objectif de la religion, dit-il, ce n’est pas de faire de l’homme un ange, mais l’amener à préférer tout aux hommes. Dans la prière, les différences sociales s’effacent, toutes les couleurs sont sur le même pied d’égalité. Le riche côtoie le pauvre, le gouverneur est sur la même rangée que le gouverné. Par la prière, le musulman riche apprend qu’il y a plus riche que lui. Dieu ! Ce n’est pas tout. Etre musulman, c’est être propre. Les ablutions avant la prière visent à laver le corps des impuretés, mais la vraie propreté, c’est celle qui est interne au croyant, la pureté dans sa relation au créateur. Le musulman, c’est celui qui éprouve les duretés de la vie, la faim par exemple. Souffrir, c’est une éducation à accepter l’altérité et la subjectivité. Seul, tu n’es rien. La complétude de l’individu suppose la reconnaissance d’autrui en tant qu’entité autonome. La Zakat recommandée au croyant musulman est une école de partage et de solidarité. « Si tu es milliardaire, explique le conférencier, sois solidaire parce qu’en réalité, c’est Dieu qui fait le bien à travers toi ».

Par le Hadj, le musulman effectue un retour à l’unicité de Dieu et il doit transmettre les vertus et les valeurs qu’il incarne. Dans la vie quotidienne et professionnelle, le musulman doit être un bâtisseur, il mène un combat à partir du poste qu’il occupe. « Le tailleur musulman ne donne pas de faux rendez-vous aux clients », martèle l’imam Tiemtoré, parce que « son lieu de travail est une mosquée où il doit accomplir correctement ses tâches », bien traiter les dossiers sans avoir besoin d’être contrôlé. Pour le conférencier, le musulman ne doit pas arriver en retard au bureau, ne pas travailler pas et repartir avant l’heure ». Eclats de rires dans la salle !
Voilà pour ce qui est du contour de l’identité musulmane. Reste que pour qu’il contribue à l’avènement d’un Burkina tolérant, solidaire et prospère, il lui faut les clés du vivre ensemble. La Zakat par excellence en est une. « Aider les nécessiteux, travailler à réduire les inégalités sociales, développer la solidarité nationale, tout cela permet au corps social de respirer, à l’image du sang qui circule normalement dans un corps saint ». Le conférencier cite les hôpitaux Saint-Camille et Schiphra, des œuvres sociales des chrétiens qui doivent inspirer les musulmans. « Concurrencez-vous dans le bien », exhorte-t-il.
L’autre clé du musulman réside dans ce qu’il appelle le devoir présence, s’occuper des gens sans se soucier de leur foi comme le prescrit la Charte de Médine depuis le 7è siècle, quand le prophète a réconcilié les Juifs et les chrétiens. « Le bon musulman n’insulte pas les autres sur sa radio ou sa télévision », insiste le conférencier, allusion à l’actualité récente quand des propos haineux ont été proférés par des musulmans contre des Burkinabè. « Honorer les créatures, c’est honorer le créateur. Respecte tous ceux qui vivent avec toi et ne les juge pas. Laisse ça à Dieu. Ne contrains pas les autres à adopter ta religion et ne fais la bagarre ni dans la mosquée, ni hors de la mosquée », insiste le conférencier.

Autant de prescriptions dont l’observation met en permanence le musulman face à des défis. Avoir une connaissance claire de la religion afin d’avoir une relation verticale de qualité avec Dieu et horizontale avec les autres. Le défi pour le musulman, c’est acquérir des connaissances utiles. A quoi sert d’avoir l’équivalent d’un baccalauréat en arabe, une langue dont la maitrise ne garantit nullement le paradis ? L’imam Tiégo Tiemtioré appelle ses coreligionnaires à « sortir des ténèbres vers la lumière, à pratiquer un islam de performance dans tout ce qu’on fait et à être le meilleur dans l’exercice de son métier ».
Les contributions qui ont suivi l’exposé ont montré l’intérêt d’un débat comme celui animé par l’imam Tiemtoré. Pour l’essentiel, elles portent sur une saine compréhension des préceptes de l’islam, l’organisation approximative des musulmans burkinabè, le besoin d’avoir des savants pour trancher sur certaines questions. Faut-il par exemple, consommer la viande offerte par un chrétien à l’occasion d’une fête sachant que de toute évidence, le poulet n’a pas été égorgé selon le rite musulman ? Un intervenant dénonce la cupidité de certains imams qui gardent pour eux les recettes des cotisations des fidèles pendant qu’un autre veut savoir ce qu’est la laïcité pour un musulman. Tout en souhaitant qu’un tel débat soit organisé dans toutes les régions, un fidèle explique que les musulmans burkinabè sont frustrés, victimes de beaucoup d’injustices. « Pourquoi ne sont-ils pas présents dans les différentes instances de décision ? », demande-t-il. Une participante salue la qualité des débats mais regrette qu’après, « on ne fait rien ». Elle ne comprend pas pourquoi il y a autant de « braqueurs et de mendiants musulmans dans la ville ».
Sur l’organisation des musulmans, l’imam Tiemtoré reconnait qu’il y a encore du travail à faire, mais rappelle que « nous venons de très loin ». Quant à l’amalgame entretenu par certains entre islam et terrorisme, il a insisté sur le fait que l’immense majorité des musulmans sont corrects, mais qu’on ne parle que de la minorité qui fait du bruit.

S’agissant des rapports avec les fidèles d’autres religions ou ethnies, le conférencier est formel : il n’y a pas d’ethnies en islam et un Bissa doit pouvoir être grand imam de la mosquée de Ouaga ou Bobo. Sur l’absence des musulmans dans certaines instances de décisions, il estime qu’il faut travailler « à passer d’une majorité sociologique à une majorité de qualité ». Face à l’insécurité qui frappe notre pays, en particulier dans certaines régions, l’imam a prodigué ce conseil de survie : « Pour sauver ta vie, tu peux renier ta foi ».

Joachim Vokouma
Kaceto.net