Alors que l’espace public burkinabè est animé depuis des mois par des fora sur la nécessité pour les Burkinabè de solder leur tumultueux passé en pansant les blessures volontaires et involontaires qu’ils se sont infligées, que des assises nationales sur la réconciliation nationale sont annoncées dans les semaines à venir, l’objectif étant de parvenir à un pardon sincère entre eux, je vous recommande vivement la lecture du livre de Pierre Pradervand, « Le cadeau du pardon », édité à Genève en 2014.

Sociologue et formateur, l’auteur traite la question du pardon sous un angle spirituel et montre les ressorts internes dont dispose chaque individu pour accomplir ce qui, a priori, parait insurmontable. Pour peu qu’il accepte de s’assumer en tant qu’être de raison, c’est-à-dire autonome.
Dans toute société humaine, le pardon occupe une place centrale dans le vivre-ensemble en étant une sorte de thérapie entre les individus, les groupes ethniques, voire les nations. Encore faut-il que le fautif, le fauteur de troubles, le bourreau et ses victimes soient mis en situation où le pardon peut produire cet effet thérapeutique.
Hors mis l’Etre, l’Absolu, le Transcendant ou encore l’Eternel, qui n’a pas besoin de pardon parce qu’il est Amour infini, le pardon demeure un impératif social et politique pour les êtres finis dans la recherche de l’équilibre individuel et collectif.
Parlant de la victime, celui qui détient en grande partie la clé du pardon, Pierre Pradervand conseille de se libérer du ressentiment et de se départir de son rôle de victime. « Rester dans le ressentiment, c’est permettre à des sentiments négatifs qui ne vous appartiennent pas de vous coloniser mentalement », écrit-il. Et même si le bourreau a conscience du mal qu’il vous a fait, mais choisit de ne pas demander pardon, il appartient à la victime de prendre sur lui-même, surmonter sa douleur et le convaincre de faire acte de contrition. Une démarche qui suppose de la part de la victime, une disposition intérieure à pardonner, sinon, l’exercice aura été totalement inutile. Par orgueil ou ayant une idée surdimensionnée de soi, le bourreau peut s’obstiner dans le refus de demander pardon, mais la victime aura « au moins fait passer un message clair qu’elle n’apprécie pas un certain comportement ».
Quant au bourreau, avant tout autre considération, il est prioritairement de son intérêt de demander pardon, car « vivre avec la conscience d’une erreur que nous avons commise peut créer non seulement un immense stress intérieur, mais également mener à la maladie ».
Demander pardon, c’est rendre humble l’homme le plus arrogant. La demande de pardon nécessite un courage consistant à admettre ses propres torts, à dépasser ses peurs de paraitre faible. En demandant pardon, le bourreau manifeste un grand respect pour lui-même, montre à la victime qu’il respecte ses sentiments. Mieux, il adresse à la victime le message selon lequel, ce n’était pas dans son intention de lui causer du tort et qu’il est dans un état d’esprit positif de bien le traiter dans l’avenir. « Une demande de pardon bien faite peut guérir l’humiliation et créer l’espace de la réconciliation et du pardon accordé par l’autre. Un pardon authentique, qui est offert et accepté constitue une des interactions les plus profondes qui existent entre personnes civilisées », insiste l’auteur.

A contrario, quand les excuses ne sont pas bien présentées, la victime se sent doublement escroquée et devient incapable de se libérer de la colère et des ressentiments. Selon l’auteur du livre, une bonne demande de pardon doit comporter les trois R :
 Les regrets qui doivent être vraiment sincères
 Le bourreau doit assumer l’entière responsabilité de ce qui s’est passé. S’il commence à chercher des excuses, cela annule sa demande
 Une offre de réparation doit être faite si cela est possible.
« Si un seul de ces trois facteurs est absent, la démarche risque fort de ne pas réussir », prévient Pradervand. L’obstacle premier à surmonter dans le processus de pardon, ajoute-t-il, se trouve dans le cœur du fautif et nulle part ailleurs. Il doit d’abord se pardonner, se libérer de son juge intérieur qui l’emprisonne et lui ferme les porte de l’humilité. Le pardon, conclut-il, ne peut en aucun cas être provoqué par la force. Il ne se planifie pas parce qu’il est totalement un mouvement du cœur.
Tenant le bourreau par la main, Pierre Pradervand lui recommande une lettre à son juge intérieur pour s’en libérer et retrouver sa plénitude en tant qu’être humain.

Lettre d’adieu à mon juge intérieur

Nous avons cheminé ensemble pendant de nombreuses années. Il est temps maintenant que j’affirme mon autonomie et que j’assume la responsabilité de mes choix à moi.
Dans le passé, tu as pensé bon de me dire, voire, de chercher à m’imposer ta vision de ce que tu pensais bon pour moi. Cette relation de Co dépendance n’a plus sa raison d’être. Je choisis de m’assumer entièrement moi-même, d’assumer mes choix et de conduire moi-même ma voiture psychique.
Tout en reconnaissant que tu étais, toi à ton plus niveau de conscience, je te demande de descendre sans tarder de ma voiture, car nous ne pouvons la conduire à deux. Je te remercie de ce que tu as cru bon de faire et te bénis sincèrement sur ton chemin qui n’est plus le mien. Je continuerai mon chemin en écoutant mon guide intérieur qui m’aime sans conditions et qui m’accepte et m’approuve exactement comme je suis.

Pierre Pradervand ; le Cadeau du pardon
Editions Jouvence ; Genève, 2014 ; 65 pages

Joachim Vokouma
Kaceto.net