Lancé le 4 août 2022 et fort d’une trentaine d’associations de la société civile et de partis politiques, le Front patriotique a entrepris le 17 septembre dernier des concertations citoyennes avec des personnes ressources et de leaders d’opinion en vue de leur présenter sa vison et sa plateforme de lutte. L’objectif étant d’œuvrer à l’avènement d’institutions démocratiques fortes et pennes et de mettre définitivement un terme à la spirale des coups d’Etat qui perturbe la vie démocratique dans notre pays depuis 1960.

Dix-sept (17) septembre en milieu de matinée. Plus que d’habitude, des usagers à deux ou quatre roues stationnent leurs engins sur le parking de l’hôtel Royal Beach, à l’Est de Ouagadougou. Puis se dirigent vers l’entrée de l’hôtel pour les formalités de sécurité. Fouille des sacs et passage au détecteur de métaux. Des hôtesses conduisent les invités vers une salle où doit se tenir une rencontre entre les dirigeants du Front patriotique et des personnes ressources.
Tirant les leçons des incidents survenus le 4 août quand des loubards étaient venus perturber la cérémonie de lancement du Front, les mesures de sécurité ont été renforcées. Il faut montrer patte blanche, présenter une carte d’invitation avant d’accéder à la salle. Même la presse n’y échappe pas.

A l’intérieur, les premiers responsables du Front sont déjà là. A commencer par le coordonnateur, Germain Nama et le secrétaire général Guy Yogo. Le premier porte un ensemble couleur beige et un couvre-chef, signe distinctif pour les personnes qui revendiquent un certain rang social.

Sans protocole, les invités prennent place. Les pisses-papiers déposent leurs outils de travail, cameras, dictaphones et carnet de note. Le début de rencontre accuse un retard, ce dont s’excuse le Secrétaire général du Front, Guy Yogo et maitre de cérémonie de circonstance. Il communique ensuite le contenu de la rencontre, volontairement décidée dans un format restreint, car, dit-il, il ne s’agit pas d’une assemblée générale. Les débats sont retransmis sur les différentes plateformes digitales du Front, de sorte à toucher le maximum de Burkinabè intéressés par la démarche de ce mouvement qui se veut citoyen.

Dans la salle, certains visages politiques connus sont là : Philipe Ouédraogo, premier polytechnicien du Burkina et une des figures historiques de la gauche révolutionnaire dans notre pays, Firmin Diallo, un des acteurs de la révolution démocratique et populaire. Après le 15 octobre 1987, il a subi, comme d’autres camarades, dont Guy Yogo, les horreurs de la torture dans les villas du conseil de l’Entente. Ils en gardent les séquelles, mais ils remercient le ciel. Certains en sont sortis les pieds devant ! Sanou Djézouma, architecte-urbaniste et militant politique dans l’âme. Avec Firmin Diallo, ils animent, aux côtés de Emile Paré, le Centre international de formation du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Mais tous deux précisent qu’ils sont là à titre personnel et non au nom du parti qui a perdu le pouvoir le 24 janvier 2022.

Ancien ambassadeur du Burkina au Canada et rappelé récemment, Athanase Boudo est aussi présent, au nom de l’Union pour la renaissance/ Mouvement patriotique pour le salut (UNIR/MPS.
Du côté de la société civile, on note la présence de Massirou Guiro du « Mouvement Plus rien ne sera comme avant », miraculeusement sorti indemne-même pas une égratignure- d’un tabassage d’une violence inouïe par une bande de hors la loi le 6 septembre alors qu’il avait répondu à l’appel du Balai citoyen pour demander la libération de Ollo Mathias Kambou, arrêté deux jours plus tôt en pleine rue par des gendarmes ; Ouali Labidi, du Conseil national de la société civile et Anselme Somda du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) sont également là.
Des leaders d’associations de commerçants des marchés et Yaars ont aussi répondu présent pour exprimer leurs angoisses car, disent-ils, « les marchandises ne bougent pas alors que nous, on n’a pas de salaire ».

« Le Burkina Faso est caractérisé par une mal gouvernance chronique à tous les niveaux », déclare d’entrée, Germain Nama, avant de faire un sévère diagnostic de la situation socio-politique de notre pays. Depuis 1960, le Burkina s’est doté de cinq (5) constitutions : 1960, 1970, 1977 et 1991, puis a connu deux insurrections populaires, le 3 janvier 1966 et les 30 et 31 octobre 2014. La dernière intervenue après 27 ans de règne du président Blaise Compaoré, avait suscité beaucoup d’espoirs. Naïvement, beaucoup avaient cru que les fondements d’une dévolution démocratique du pouvoir étaient enfin posés malgré le « putsch le plus bête du monde » conduit par le général Gilbert Diendéré en septembre 2015.
Selon le coordonnateur du Front patriotique, « depuis un certain 15 octobre 1987, le militantisme politique est devenu une entreprise lucrative, consacrant le « dieu argent » au point que l’insurrection victorieuse des 30 et 31 octobre 2014 n’y est pas venue à bout ». Quant à l’administration publique, elle demeure de type colonial, faite de « commandement et de soumission » et « incapable de mettre en œuvre des services publics de qualité et une véritable politique d’aménagement et de gestion du territoire ».
A ces maux qui minent l’essor d’un développement économique et social au profit du plus grand nombre, est survenue une crise sécuritaire depuis 2015 avec l’apparition de groupes terroristes qui contrôlent « plus de 50% du territoire national et un ordre terroriste qui administre des villages entiers, des communes et même des chefs-lieux de provinces et des postes de contrôle sur la plupart des routes nationales ». Pour le Font patriotique, notre pays est dans impasse politico-sécuritaire.
Citant Global Terrorism Index, il rappelle qu’en 2022, le Burkina occupe le 4è rang au monde des pays victimes d’attaques terroristes derrière l’Afghanistan, la Syrie et la Somalie ; deuxième rang en termes de nombre de victimes derrière l’Afghanistan et que nous comptons près de 2 millions de personnes déplacées internes sur les 3 millions enregistrées dans la sous-région ouest-africaine. Une situation inquiétante rendue possible par les « mensonges d’Etat, d’illusions entretenues, de manipulations, d’affairisme et de corruption », sur fond d’une politique de « sorties de pistes » sous le président Roch Kaboré et « de mode marche en arrière » du pouvoir actuel, qui « s’embourbe sur lui-même et enfonce le pays dans l’impasse ».
Que faire ? Pour le Front patriotique, il faut une « une mobilisation sans délai et une responsabilisation de toutes les forces sociales, de toutes les forces vives pour une transition politique légitime et souveraine ». Il invite par conséquent les forces sociales de la nation, détentrices de légitimité sociale à « s’autosaisir de l’exigence d’une transition légitime et souveraine et de s’investir dans un pacte républicain afin de sauver notre pays de la déliquescence de l’Etat et de la catastrophe humanitaire ».

Les participants à la rencontre approuvent le diagnostic ainsi dressé et les pistes de solution proposées. Les avis des représentants des syndicats et les ceux des associations de commerçants convergent et tous sont prêts à accompagner tout changement qui vise à rectifier le tir. « La Transition a généré plusieurs fronts » regrette Anselme Somda, « alors qu’il faut fédérer les énergies pour faire face à la menace sécuritaire. »

Dominique Koné
kaceto.net