L’investiture par le conseil constitutionnel du Lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba et du capitaine Ibrahim Traoré, tous auteurs de putschs apparait comme une légalisation de l’accession au pouvoir par des voies anticonstitutionnelles.
Dès lors, interroge l’auteur de la Tribune ci-contre, quel sens donner au procès et à la condamnation des auteurs du coup d’Etat de septembre 2015 ?

Il semble, dans la lutte contre l’impunité et pour la justice au Burkina Faso, qu’il existe un panthéon de burkinabè plus méritants que d’autres dont on évoque parfois le nom de façon accessoire tout en les jetant ensuite immédiatement aux oubliettes. C’est dire qu’il est très aisé de crier à l’injustice et à l’impunité, mais qu’il apparait quelques fois bien difficile, lorsque nous en sommes chargées, de rendre la justice avec objectivité. Certes, nul n’est parfait, mais tout de même ! Ainsi d’éminents juristes burkinabè, depuis bien longtemps déjà, réclament justice et punition pour des faits qui se sont déroulés il y a des décennies, ce qui est à leur honneur. En revanche, il est difficile de comprendre que ces mêmes juristes aient pris part à des simulacres de justice tels qu’il se sont manifestés sur le sol du pays des hommes intègres. Aussi, sous la première transition, se sont-ils rendus complices, s’ils ne sont pas eux-mêmes les auteurs, de lois iniques ; sous cette même transition et la gouvernance du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), ils ont acquiescé face aux arrestations arbitraires et procès politiques dont certains burkinabè sont victimes ; durant la première transition du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR 1), ils se sont juste tus face à une situation d’injustice flagrante. Que va-t-il se passer durant ce MPSR 2 ? Venons-en au fait : au regard de la situation politique postérieure au MPP, que doit-il en être désormais des condamnations de burkinabè, militaires et civils, liées au putsch de septembre 2015 ? Ce cas pratique intéressant aussi bien pour les sciences juridiques que pour les sciences politiques pose question. Une question qui ne s’adresse plus seulement au juristes et politistes, mais aussi et surtout au nouveau pouvoir lui-même. Va-t-il, comme son prédécesseur immédiat, rester inactif face à une telle iniquité ?

La situation politique qui a suivi la chute du pouvoir MPP, qu’on le veuille ou non, a changé la donne en matière de putsch. Compte tenu de ce que l’on sait sur la bonne réception de ce putsch du 24 janvier 2022, surtout de sa reconnaissance par la plus haute institution du Burkina Faso, le Conseil Constitutionnel, il y a lieu de parler de jurisprudence. C’est la même histoire qui se répète avec le putsch du MPSR 2 dont le Président, en tant que Président du Faso reconnu comme tel, a prêté serment devant cette même institution. Quoique l’on pense, dans ces deux cas, ce sont deux putschs qui reçoivent un bon accueil et qui sont adoubés par cette institution respectable. Je ne suis ni un adepte, ni un défenseur de putsch quel qu’il soit, mais que faire de plus si ce n’est de constater le fait accompli dans ce qui se passe au Burkina Faso depuis quelques mois ? Mais alors, que serait-il arrivé si ce putsch dit MPSR 2 n’avait pas réussi ? Qu’est-ce qu’il serait advenu du capitaine Ibrahim TRAORE et de ses amis ? Maintenant que ce putsch est un succès, qu’est-ce qui explique que le Président DAMIBA soit en exil ? Sans doute est-ce le choix qu’il a fait en son âme et conscience ? Dans ce cas de figure, soit. Dans le cas contraire, il y a un problème non résolu.
La question se pose encore de façon lancinante concernant le putsch de septembre 2015. Certains esprits à cheval sur les institutions pourraient se demander pourquoi est-ce le pouvoir exécutif qui est ici directement interpellé. C’est parce que cette affaire, hautement politique, a vu l’exécutif (aussi bien celui de la première transition que celui du pouvoir MPP), pour des raisons bassement politiciennes qu’il n’est pas besoin d’exposer ici et que tout le monde comprend bien, intervenir directement dans cette affaire, remettant parfois en cause la décision des juges concernant certains accusés. En outre, cette affaire est jugée par une juridiction militaire qui, dans ses prérogatives, dépend directement du Président du Faso, chef suprême des armées, et du ministère de la défense. Par conséquent, il est difficile d’envisager une issue sans qu’il y ait la main de l’exécutif. C’est pourquoi il est, au premier chef, concerné par ce qu’il serait de bon ton de qualifier d’ironie du sort : un président qui a accédé au pouvoir par un putsch, qui a obtenu la reconnaissance de la nation à travers sa plus haute institution, peut-il rester insensible au cas de Burkinabè arrêtés, jugés et condamnés, parfois à des peines d’emprisonnement importantes, pour des faits similaires à ceux qui lui ont permis d’accéder au pouvoir ? Que ce serait-il passé si le putsch de septembre 2015 était une réussite ? Faut-il considérer que le sort qui est réservé au putschiste est fonction de sa réussite ou non ? Suffit-il de réussir son putsch pour être accueilli comme un messie, et suffit-il de le rater pour être considéré comme un pariât ? Faut-il considérer allègrement qu’au pays des hommes intègres les putschs vont et viennent sans se ressembler, et qu’il y a putsch et putsch ? Tant mieux pour celui dont c’est une réussite et tant pis pour celui dont c’est un échec ?
Les choses ne sauraient être ainsi. Au contraire, il y a ici une situation à rattraper, une injustice à réparer. Les évènement politiques initiés par le putsch du 24 janvier 2022 imposent que l’on se penche à nouveau sur le cas de ces Burkinabè afin de trouver une solution qui aille dans le sens de ce qui semble être celui de l’histoire. Ce n’est que justice, car c’est la situation actuelle qui est injuste, que certains soient condamnés à des peines lourdes de conséquences pour leur carrière et leur vie, pendant que d’autres sont légitimés et accueillis comme des héros pour les mêmes faits. Quelle est l’avis de nos éminents juristes et politistes sur cette question ?
Cette affaire, dans laquelle il a été interjeté appel, aurait dû être jugée en appel depuis ; mais cela ne l’a pas été et on peut s’interroger sur les raisons d’un tel déficit judiciaire. Quoiqu’il en soit, c’est l’occasion d’y remédier en réalisant un double objectif. Celui de permettre à la juridiction d’appel de siéger et, partant, celui de permettre à cette même juridiction d’émettre un jugement non seulement qui tienne compte de cette évolution de la situation politique, mais aussi et surtout, sans parti pris politique ou politicien, conforme au dossier de chaque accusé, en toute objectivité, en toute impartialité. À coté de cette solution judiciaire qui a ma préférence et que j’appelle de mes vœux, il y a la solution politique que le capitaine TRAORE, Président du Faso, pourrait initier, c’est-à-dire la grâce ou l’amnistie selon les situations.
Ce sont deux solutions qui, quelle que soit celle qui aura obtenu l’adhésion de ceux qui doivent en décider, poursuivent le même but, celui de poser un acte fort vers la réalisation de l’unité nécessaire au sein de l’armée, condition sine qua non d’une transition réussie et d’une lutte efficace contre le terrorisme. La situation actuelle du Burkina Faso, pour des raisons politiques qui n’ont aucun sens ni aucune valeur, ne peut lui permettre de laisser inactives de la défense nationale des personnalités d’une telle envergure nationale et internationale affirmée et reconnue.

Loin de moi l’idée de donner ma caution à tout pouvoir de la force quel qu’il soit. Il s’agit de prendre acte de ce qui se passe et, par ricochet, de réfléchir à ce qui s’est passé , car ce sont des Burkinabè qui sont concernés. Il ne peut pas y avoir une justice à deux vitesses pour des faits similaires, et il n’y a pas de petite injustice. Par conséquent, on ne peut pas mieux conseiller le Président TRAORE en lui faisant comprendre que la situation des condamnés pour le putsch de septembre 2015 est désormais un non-sens judiciaire et une aberration politique auxquels il faut trouver une solution adéquate. La solution est d’autant plus facile à trouver que ce putsch de septembre 2015 fut l’objet d’une surenchère politique dans une atmosphère de chasse aux sorcières sous une gouvernance de la vengeance. Aussi, le procès qui en suivi a-t-il souffert de partialité et de décisions arbitraires. Dans la mesure où il s’agit de militaires et de personnalités importantes du pays, il est temps de retirer l’étau qui pèse sur eux et de leur donner la possibilité de s’engager sans réserve et sans restriction dans la lutte contre le terrorisme. « Nul n’est prophète en son pays », dit la sagesse. Il appartient au Président TRAORE non pas de démentir ce dicton, mais de lui mettre un bémol. Il s’agit de faire l’union de tous les burkinabè.

Jacques BATIENO
Philosophe
Kaceto.net