L’ancien ministre des Affaires religieuses et coutumières, Issaka Sourwema réagit aux propos que le Premier ministre burkinabè, Apollinaire Kyelem de Tambèla a tenus sur l’engagement des femmes dans sa déclaration de politique de générale le 19 novembre dernier. "Véridiques à bien des égards, mais avec une certaine part de responsabilité de la société et surtout des hommes", écrit l’ancien ministre, par ailleurs chef traditionnel de Dawelgué, un village de la commune de Saponé.
Le samedi 19 novembre 2022, Son Excellence Monsieur le Premier ministre Apollinaire Joachimson Kyélem de Tambèla a prononcé sa Déclaration de politique générale (DPG) à l’Assemblée législative de la transition (ALT). Parmi les sujets qui continuent de susciter des réactions de la part de l’opinion, figure ce qu’il a dit de l’engagement des femmes. Parmi ces réactions, on peut citer celle de Fasoamazone.net dans son édition du 20 novembre 2022. En effet, pour ce site dont le slogan est « L’information au service du genre », il « a laissé, [entre autres], entendre que les femmes ne sont pas suffisamment engagées, et doivent ‘’se battre pour leur cause’’. Il a pris l’exemple sur les mouvements associatifs, où la parité n’est pas au rendez-vous, où les femmes ne briguent pas assez de postes de responsabilités, d’où pas visibles. Pour lui dans les mouvements associatifs des fois il arrive à ce que les femmes refusent des postes de responsabilité, ou bien refusent de s’assumer ».
Un peu d’eau au moulin du Premier ministre
D’emblée, il est indiscutable que le tableau peint par Son Excellence A. Kyélem de Tambèla est une réalité qui s’impose à tous. Dans ce sens, et en plus de ce que le chef du gouvernement a déjà relevé, on peut ajouter le fait que dans l’administration publique, l’élan de certains ministres sensibles au genre (et particulièrement à la question de la femme) a été parfois freiné par l’indigence du bassin féminin en matière de compétences ; si fait que des postes de responsabilités sont restés parfois vacants pendant un certain temps. On peut donc comprendre les propos de Son Excellence Monsieur le Premier ministre et les femmes gagneraient à les considérer comme une piqûre de rappel fraternelle afin qu’elles se battent davantage.
Autre réalité qui handicape les femmes, les rancunes tenaces, les haines mortelles et les jalousies de coépouses que nombre d’entre elles nourrissent les unes vis-à-vis des autres. La conséquence d’un tel climat, c’est qu’à l’instar de la morale de la fable de Jean de La Fontaine relative aux deux (02) voleurs et l’âne, un troisième larron (donc un homme) finit par rafler la mise. Toutefois, dans le but de contribuer à une meilleure compréhension des sociétés burkinabè par tous, quelques-uns de leurs dénominateurs communs méritent d’être rappelés ou mis en évidence. Il s’agit d’abord des cultures traditionnelles subsahariennes.
Des sociétés formatées d’abord par les hommes, pour les hommes et ensuite pour les femmes
Dans ce sens, nous avions écrit, le 11 janvier 2021, une lettre ouverte adressée aux leaders des partis politiques au lendemain des élections législatives de décembre 2020 à l’issue desquelles seules dix (10) femmes avaient été élues contre cent dix-sept (117) hommes. Nous notions également que nos sociétés « telles qu’elles fonctionnent ont été, à travers la division sociale (et surtout par sexe) du travail, la gouvernance (politique et économique), les systèmes de croyance religieuse et les échelles des valeurs morales, conçues, mises en œuvre et régentées par les hommes, pour (principalement) les hommes et (accessoirement) pour les femmes. »
Ce faisant, les recherches de solution aux iniquités et aux disparités de genre et aux rapports de la femme avec les différentes sphères de la vie sociale doivent partir de ces réalités que soixante-quatre (64) ans de colonisation française et soixante-deux (62) d’indépendance politique (dont quatre ans de Révolution démocratique et populaire) n’ont pas réussi à changer notablement.
La position des révolutionnaires à travers le DOP
Comme le Premier ministre est un sankariste bon teint, il sied de jeter un coup d’œil concernant ce que le Discours d’orientation politique (DOP), la bible des révolutionnaires, rendue publique le 02 octobre 1983 par le président du Conseil national de la révolution (CNR) Son Excellence Thomas Sankara dit à ce propos : « Le poids des traditions séculaires de notre société voue la femme au rang de bête de somme. Tous les fléaux de la société néocoloniale, la femme les subit doublement : premièrement, elle connaît les mêmes souffrances que l’homme ; deuxièmement, elle subit de la part de l’homme d’autres souffrances. »
Elle enfonce le clou en ces termes : « Notre révolution intéresse tous les opprimés, tous ceux qui sont exploités dans la société actuelle. Elle intéresse par conséquent la femme, car le fondement de sa domination par l’homme se trouve dans le système d’organisation de la vie politique et économique de la société. La révolution, en changeant l’ordre social qui opprime la femme, crée les conditions pour son émancipation véritable. »
De nos jours, il est certes difficile de partager la lettre de cette citation mais on peut facilement en accepter l’esprit en faisant des principes de justice de l’Etat de droit démocratique les fondations pour la construction de l’équité et de l’égalité de genre. L’éducation, au sens social et scolaire, est également un instrument majeur dans ce processus de sorte que les femmes ne soient plus simplement des forces de production et de reproduction.
Les sentiments de ceux et de celles qui sont estiment que le chef du gouvernement aurait dû dire autrement les choses sont donc forts compréhensibles mais bien plus que le discours, c’est surtout les actions de l’intéressé qu’il faut attendre de pouvoir évaluer tout en étant, au préalable, soi-même disposé à contribuer à la mise en œuvre desdites actions. Comme dans le domaine militaire et sécuritaire, l’aspect « civil » nécessite la mobilisation de toutes et de tous.
Issaka SOURWEMA
Naaba Boalga
Chef traditionnel du village de Dawelgué
Commune de Saponé
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