Si Omar Sy s’est récemment fait une jolie place sur Netflix avec la sortie consécutive de Lupin - Dans l’ombre d’Arsène et Loin du Périph, le comédien parmi les personnalités préférées des français est de retour dans les salles obscures avec Tirailleurs. Réalisé par Mathieu Vadepied (La Vie en grand, En thérapie), le film raconte l’histoire d’un père enrôlé de force avec son fils dans l’équipe des tirailleurs dits sénégalais (venus du Sénégal, mais aussi de toute l’Afrique) lors de la Première Guerre mondiale.
Requiem pour un massacre
Si dans l’histoire de l’art, et plus particulièrement celle du cinéma, la Première Guerre mondiale a copieusement été représentée, rares sont les livres et films à avoir traité la question des tirailleurs sénégalais. Et force est de constater qu’il est toujours au minimum intéressant de découvrir au cinéma des parties méconnues de l’Histoire.
Ainsi, aborder la Première Guerre mondiale à travers le point de vue des tirailleurs sénégalais donne immédiatement à Tirailleurs un caractère historique très intéressant et important. Un angle singulier, retranscrit ici avec un souci d’authenticité que l’on peut constater jusqu’à son rapport au langage – une grande partie des dialogues du film a été tournée en langue peule. La rigueur et la documentation du film réalisé par Mathieu Vadepied confirment sa valeur historique, et donnent une jolie ampleur à l’ensemble.
Une ampleur qui est doublée par la superbe interprétation d’Omar Sy, ici loin de l’incandescente candeur et de la joyeuse chaleur qu’on lui connaît bien. Plus rêche et intériorisée qu’à l’accoutumée, son interprétation brille par sa sobriété et son humilité face à l’Histoire, témoignant ainsi d’une délicate sincérité. À l’instar de son comédien principal, Tirailleurs prend très au sérieux son devoir de mémoire, augmentant son geste d’une belle pureté.
Mémoire(s) et histoire(s), le film a tout à fait conscience de son rôle à jouer dans la trace laissée par tous ces soldats tombés au combat pour un pays qui n’était pas le leur, et parfois même pour lequel on les a forcés à combattre. Un rôle important, voire même nécessaire à l’heure du retour en force du nationalisme et de l’extrémisme politique en France.
Mathieu Vadepied et son coscénariste Olivier Demangel (Novembre, Baron Noir) rendent ainsi un touchant hommage aux tirailleurs sénégalais morts durant la Grande Guerre, notamment en leur réattribuant leur juste place dans la très jolie dernière séquence du film.
Au revoir là-haut
Tirailleurs replonge dans ce récit d’une victoire militaire, mais sous le prisme brutal de l’oppression exercée par l’État français. En témoigne le parcours du personnage de Thierno, fils de 17 ans du protagoniste, qui va être séduit par le jeu de pouvoir et de décoration vendu par l’armée hexagonale. Tirailleurs, pourtant coproduit et distribué par de grandes institutions du cinéma français (Gaumont, France TV, Canal+, le CNC), est un film qui ne ménage pas sa vision de notre beau drapeau tricolore, ici machine manipulatrice et meurtrière.
Ce point de vue sans concession apporte au film réalisé par Mathieu Vadepied une étonnante rugosité, évitant la lourdeur de la trop simple fiche Wikipédia. L’insistance du film sur la violence graphique de la guerre en est par ailleurs un beau témoignage, lui donnant (littéralement) de la chair et de l’enjeu.
Cependant, la sincère implication militaire de certains personnages, outre celle de Thierno, nuance la simple opposition "gentils indigènes embrigadés/dangereux tortionnaires français.". Il en est de même pour le personnage du lieutenant Chambreau (intense Jonas Bloquet), qui décale au fil du film l’archétype du militaire viriliste complètement fou pour en livrer une lecture plus sensible et ambiguë.
Ainsi, en évitant tout manichéisme, Mathieu Vadepied livre un film d’autant plus fin et pertinent qu’il est centré sur l’intimité de ses personnages ; notamment avec la relation père-fils de Bakary et Thierno, parasitée par les rapports de forces et d’autorités contradictoires entre le foyer et l’armée. Même le duo lieutenant et général Chambreau, en miroir des protagonistes, illustre cette idée à l’intérieur même de l’architecture militaire. Dans Tirailleurs, l’intime et le personnel se fait constamment écraser sous le poids du groupe et l’institution.
Le petit soldat
Malheureusement, le découpage fonctionnel du film et son filmage à l’épaule un peu sage le font osciller entre une simplicité salvatrice et un académisme trop didactique. Parfois, l’absence de fioriture permet au cinéaste de se concentrer avec sensibilité sur ses personnages et leur ressenti. Mais souvent, l’ampleur historique du scénario est étouffée par une mise en scène prudente, laissant le spectateur passif.
Comme Tirailleurs vise plus le voyage intime que la grande fresque guerrière, son humanité importe plus que son immensité. Hélas, l’épaisseur du protagoniste joué par Omar Sy est coupée par une caractérisation sommaire. De plus, son fils n’est dépeint presque que par le prisme de ses rapports au père, étouffant le reste de densité du personnage.
Mathieu Vadepied fait tout pour mettre son spectateur au niveau de ses personnages, mais livre finalement un film un peu froid et distant. Dommage, tant Tirailleurs bénéficie d’une superbe photographie pellicule signée Luis Armando Arteaga, qui vient donner de la matière à l’image sans pour autant tomber dans une forme d’esthétisation de la guerre.
Il en est de même pour la sensibilité de la musique signée Alexandre Desplat, ainsi que pour le soin apporté aux décors et aux costumes. Tirailleurs déploie ainsi un artisanat technique très convaincant, qui ne manquerait plus que d’une touche d’émotion pour parfaire l’expérience.
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