« L’engagement des acteurs culturels et des médias pour la prévention de la stigmatisation et de la radicalisation en vue de la lutte contre l’extrémisme violent », c’est sous ce thème que les pouvoirs publics, les universitaires, les acteurs culturels, du tourisme ainsi que des médias se sont retrouvés les 20 et 21 janvier 2023 dans la salle des fêtes de la commune de Ouagadougou à la faveur d’un colloque organisé par le ministère de la Communication, de la culture, des arts et du tourisme pour réfléchir sur les solutions non militaires à la crise qui frappe notre pays depuis 2016.
Venu représenter le premier ministre Apollinaire Kyélem de Tambèla, le ministre d’Etat, ministre de la Fonction publique, du travail et de la protection sociale, Bassolma Bazié a déclaré dans son discours que nos ressources endogènes, nos principes moraux traditionnels doivent être mobilisés pour prévenir l’extrémisme violent, la stigmatisation et dans le combat contre les groupes terroristes, porteurs de malheurs dans notre pays. « Dans le contexte difficile qui est le nôtre, il s’agit de faire en sorte de trouver les meilleurs canaux possibles pour véhiculer l’information saine, en tenant un langage de vérité tout en anticipant sur les velléités de désinformation de masse comme il est malheureusement donné de constater à travers certains médias et sur les réseaux sociaux », a-t-il indiqué. Tout en rendant un grand hommage aux Forces de défense et de sécurité et aux Volontaires pour la défense de la patrie déployés sur les différents théâtres d’opération, les participants à ce colloque épousent l’Acte constitutif de l’Unesco selon lequel, « les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ».
Comment organiser la résilience des populations, concept en vogue depuis quelques années, face aux multiples crises auxquelles elles font face, notamment sanitaire, climatique et sécuritaire et les conséquences économiques qu’elles engendrent ?
Le secteur touristique burkinabè, qui était en pleine croissance jusqu’au début de la décennie quatre-vingt-dix est dans doute le plus affecté par la crise sanitaire et sécuritaire alors qu’il représente 7% du Produit intérieur brut (PIB).
Comment les journalistes burkinabè, qui jouissent d’une réelle liberté d’expression surtout après le drame de Sapouy en 1998, doivent-ils traiter l’information en cette période de crise, sachant que la cohésion sociale et le vivre-ensemble sont mis à rude épreuve ?
En recourant aux valeurs endogènes que nous ont léguées nos ancêtres, répond, l’écrivain et homme de culture, Dramane Konaté, dans la conférence magistrale qu’il a prononcée à l’ouverture du colloque. En tenant aussi un langage de vérité sur les causes de la crise multidimensionnelle qui nous frappe.
Pour lui, les causes ont pour nom anxiété culturelle, laquelle se traduit par la dégradation de la convivialité avec plus de 40% de la population affectée par des troubles ; la pression démographique avec les batailles que se livrent les habitants dans l’accès à la terre ; les conflits intergénérationnels suscités par la non transmission de la sagesse des anciens aux jeunes ; la précarité existentielle avec la présence des personnes déplacées internes dans les villes ; enfin, la guerre informationnelle dans laquelle la confusion entre information et communication est devenue la règle.
Ce n’est pas tout. Dramane Konaté pointe également du doigt la succession parfois mal négociée dans la chefferie traditionnelle, l’ethnisme et l’ethnocentrisme inconsciemment ou non encouragés par des découpages territoriaux plus politiques qu’administratifs et l’incapacité à appréhender l’altérité, c’est-à-dire autrui dans on irréductible identité.
Que faire ?
« Réinvestir les esprits des hommes en y inculquant les fondamentaux de la paix », préconise le conférencier. A commencer par l’humanisme, c’est-à-dire le respect de la vie humaine. Veiller sur la famille, gardienne des valeurs intimes et culturelles de la société, renforcer les liens inter et intra-communautaires, accorder une place centrale à la femme dans la recherche et le maintien de la cohésion sociale.
Dramane Konaté insiste également sur le dialogue inter-religieux comme outil d’anticipation des conflits meurtriers engendrés par les extrémistes de tout bord. Il milite par ailleurs pour l’institution de ce qu’il appelle la « Grande case des immortels du Faso », un Panthéon où seront célébrés ceux et celles qui auront œuvré à sortir les individus de leur immédiateté pour épouser les valeurs de l’universalité. « La paix, affirme Konaté, est menacée lorsque l’ordre des valeurs est bouleversé » et il appelle à cultiver la tolérance, une valeur cardinale ancestrale qui permet d’éviter les interminables cycles de vengeance, un terme qui, révèle-t-il, n’existe pas dans nos langues.
Dans la quête d’une paix perpétuelle qui ne saurait découler seulement d’une victoire militaire, toutes les ressources humaines doivent s’y impliquer. Les organisateurs du colloque ont donc demandé aux hommes de Lettres d’entretenir le public, sur le rôle social des écrivains et des artistes dans le contexte de crise qui est le nôtre. Comment panser la plaie et écrire pour la paix ? Un panel d’une finesse intellectuelle a donc été animé par Yves Dakouo, Professeur à l’université Joseph Ki Zerbo et par Baba Hama, journaliste, écrivain et ancien ministre de la Communication.
« Dans le domaine littéraire et artistique, la résilience peut être définie comme une stratégie des acteurs pour s’adapter à une situation, pour surmonter les obstacles qui menacent la création et l’existence humaine. Sous cet angle, la littérature, orale et écrite, a toujours été un écrit de crise », déclare d’entrée Yves Dakouo du Laboratoire : Langues, discours et pratiques artistiques (LADIPA).
En contexte de crise, il n’y a pas de littérature désincarnée et déconnectée d’un quotidien tourmenté. Il cite Victor Hugo pour qui « les écrivains non engagés sont inutiles » (Les rayons et les ombres). L’écrivain engagé, c’est celui qui s’investit porte-parole de son peuple.
En période de crise, la résilience des écrivains s’expriment soit par la mise en fiction de la crise, soit ils utilisent l’écriture comme une thérapie pour exorciser les traumatismes subis, soit s’invitent dans les manifestations de rue pour dénoncer l’ordre établi. Selon le Pr Dakouo, la production des auteurs burkinabè sur la crise se focalise sur « le statut et l’identité des terroristes, leur mode opératoire, les formes de traumatisme en résultant, et enfin les formes de résilience ». Les terroristes sont ainsi décrits par leur agressivité, « des groupes ou des personnes qui attaquent d’une manière brutale sans avoir été provoqués auparavant », leur travestissement en ce qu’ils « exploitent de nombreux procédés pour dissimuler leur identité ».
Sans visage identifiable, les auteurs les appellent les « Turbans noirs (Bouktou), « les Cagoulés de la mort (Panafrica) chez Dramane Konaté », « les Broussards, Pirates des sables » pour Hama Baba, ou encore « Les hommes du Cheick » chez (Pakisba Ali Ouédraogo). Ils portent de « longs boubous » ou des « redingotes », ont une abondante barbe et des cheveux (Hama Baba).
Mais quelles sont les motivations des terroristes ? Pourquoi s’en prennent-ils, indistinctement aux civils non armés, aux femmes, aux enfants et aux personnes âgées ?
En l’absence de revendications clairement exprimées, les auteurs burkinabè évoquent des motivations idéologiques et personnelles. Les terroristes « se présentent comme des adeptes de la religion musulmane prônant la mise en place d’un « ordre djihadiste ». Les attaques sont ainsi quelquefois précédées de l’invocation du nom d’Allah : « Allah Akbar ». Leur objectif, c’est « imposer la charia dans tous les territoires occupés ».
Leur combat vise aussi à détruire « le Système imposé par Babylon » c’est-à-dire par l’Occident. Ainsi, quand ils commettent l’attentat sur l’Avenue Panafrika, les terroristes le justifient en disant que les « Occidentaux ne sont pas des humains : ils ne croient pas en Allah, tuent les enfants d’Allah dans des guerres injustes, ferment leurs frontières après avoir pillé les richesses des autres peuples, tiennent des propos blasphématoires contre le Livre Saint, promeuvent des mœurs qui sont attentatoires à la dignité humaine (homosexualité) », etc. « Nous tuons aussi nos frères africains qui pactisent avec Babylon. Les amis de nos ennemis sont nos ennemis ».
Quant aux motivations personnelles, les auteurs y voient dans les actes terroristes une volonté de venger des parents tués par l’armée loyaliste. C’est le cas de « l’attentat-suicide opéré sur un bus par le jeune kamikaze de 14 ans pour venger ses deux sœurs et son père tués lors d’un bombardement ! (Yallah s’est exilé). Il en est de même dans "Les chants du coq de Tori" où des jeunes rejoignent les groupes armés pour protester contre les exactions de l’armée loyaliste et de ses supplétifs fondées sur « le délit de faciès donc, contre la stigmatisation ».
Face à la barbarie des groupes terroristes, loin de se résigner, les populations opposent une résistance physique et morale : elles refusent de quitter leur terroir. Dans « Le jour en tribut », « les habitants de Wadata, après avoir été paralysés par la peur, ont développé des stratégies pour faire face à la situation. Se sentant abandonnés, révoltés contre le pouvoir central, les jeunes s’organisent en groupes d’autodéfense et veillent sur la ville avec leurs armes de fabrication artisanale ».
Moralement, elles mènent des campagnes de sensibilisation auprès des jeunes pour les éloigner des tentations djihadistes. « Celui qui a tué une seule personne qui n’a commis aucun meurtre ou méfait sur terre, c’est comme s’il avait tué l’humanité entière » (Dans La triade de sang).
Pour le Pr Yves Dakouo, si « ces formes de résistance, armée ou morale, n’inversent pas les rapports de force en faveur des populations, ce pourrait être le cas si ces formes sont amplifiées ».
« Les artistes sont engagés », affirme Baba Hama, qui s’est penché sur l’engagement des artistes dans la diversité des expressions ». Mieux, ils sont les vecteurs du vivre-semble et produisent pour soutenir les Forces de défense et de sécurité et pour consolider la paix sociale.
Le succès phénoménal de « Burkina Soldat de Nourat » suffit à lui seul pour illustrer l’engagement des artistes, sans oublier les sculptures sur granit de Laongo, dans la province d’Oubritenga où des artistes burkinabè et ceux venus d’ailleurs produisent des œuvres qui expriment leur engagement contre les maux de la société.
Capitale africaine du cinéma, Ouagadougou abrite le Festival panafricain du cinéma et de la télévision, un rendez-vous du 7è art qui permet aux Burkinabè de voir des films de belle facture traitant divers thèmes en rapport avec notre vécu. Une chance que les autres peuples du continent nous envient. Baba Hama regrette toutefois que les contenus des médias sont loin de refléter la vitalité culturelle dans notre pays.
« Combien de médias ont un desk Culture dans leur rédaction ? », interroge-t-il ? La passion, c’est ce qui manque à la presse burkinabè.
Le public a eu droit également à une « communication en contexte de crise » donnée par Dr Lacina Kaboré. Il a surtout analysé le rôle des directeurs de la communication de la presse ministérielle (DCPM) dans la gestion de la crise sanitaire du COVID-19 (2019-2020) et sécuritaire intervenue depuis 2016. Il a rappelé que dans la gestion d’une crise qui survient, les 24 heures qui suivent sont déterminantes dans la réussite de sa gestion. Ce qui a été donné de voir lors des attentats du Capuccino en janvier 2016 avec ce qui est apparu comme une concurrence des responsables politiques dans la communication sur le nombre de victimes est l’anti-modèle par excellence d’une communication de crise réussie.
Deux autres panels consacrés à la communication événementielle notamment sur le tourisme animés par Thierry Millogo et Samuel Garané ont permis d’explorer des pistes pour sauver le secteur touristique notamment par la promotion du tourisme national au moment où la destination Burkina n’est plus dans les offres des Tours opérateurs étrangers.
Crédit Photo : MCCAT
Joachim Vokouma
Kaceto.net
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