Le chef de l’Etat, le capitaine Ibrahim Traoré a accordé hier soir une longue interview à nos confrères de la RTB et de Savane Médias. Une première grande sortie médiatique au cous de laquelle, il a fait un bilan d’étape de son action à la tête de l’exécutif quatre mois après son arrivée au pouvoir.

"La guerre n’a pas encore commencé. Les terroristes sont aux abois, raison pour laquelle ils s’en prennent avec une rare violence aux populations civiles", déclaré le chef de l’Etat. Grâce à des pays voisins, l’armée burkinabè est à présent mieux équipée et d’autres moyens vont bientôt arriver. Le combat sera dur mais selon le chef de l’Etat, mais l’espoir d’une victoire dans un avenir proche est permis.
Pour l’instant, les Forces de défense et de sécurité procèdent à la collecte de renseignements et mènent des opérations aériennes en attendant de lancer les combats au sol. Des localités comme Solenzo, Dablo qui ont été libérées doivent être consolidées avant le retour sécurisé des populations qui avaient fui la furie des terroristes. Dans d’autres localités comme Falangountou, à la lisière des trois frontières, il faut trouver un accord avec nos voisins qui permet de poursuivre l’ennemi dans le territoire nigérien par exemple, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Faut-il négocier avec les terroristes ? Le capitane Traoré confirme ce qu’il avait confié le 11 novembre 2022 lors de la rencontre avec les professionnels des médias : il n’y a pas de négociation avec des gens qui ont pris des armes contre notre pays alors qu’on leur a rien fait. « Le Burkina est un pays laïc et c’est une valeur qui ne se négocie pas », a fermement indiqué le chef de l’Etat. Il met ainsi les points sur les i face à ce qui tentent d’instrumentaliser la religion à des fins politiciennes. La porte reste toutefois ouverte à ceux qui veulent déposer les armes et revenir à la maison. Le recrutement de 90 000 Volontaires pour la défense de la patrie suscite chez certains partenaires étrangers des inquiétudes quant aux dérapages qu’ils pourraient commettre. Le chef de l’Etat s’est voulu rassurant sur ce point : les VDP sont encadrés par des militaires et formés au respect des droits humains. « S’il y a des dérapages, on arrête les fautifs et on les sanctionne », a dit le chef de l’Etat.
Il a demandé aux Burkinabè d’éviter de filmer et publier les convois d’escortes pour ne pas donner inconsciemment des informations stratégiques aux groupes terroristes.
Sur le massacre de 28 civils à Nouna, il a rappelé qu’une enquête est en cours pour déterminer exactement ce qui s’est passé et situer les responsabilités. « Rien ne prouve que ce sont les VDP qui ont commis ce massacre » a-t-il tempéré, ajoutant que « l’ennemi lui-même peut se livrer à la perfidie et" on met cela sur le dos des VDP d’autant que les terroristes portent parfois les mêmes tenues que les FDS".
La semaine dernière, les organisations professionnelles des médias ont publié un éditorial commun pour dénoncer le rétrécissement des libertés publiques, particulièrement la liberté de la presse avec des menaces de mort ouvertes contre des journalistes et des entreprises de presse. Ils redoutent un musellement de la presse et le disent aux autorités en charge de la Transition. « Nous n’avons pas l’intention de retirer cette liberté de la presse, mais on doit communiquer pour galvaniser les combattants », a répondu le capitaine Traoré. Si le gouvernement communique moins actuellement, c’est pour des raisons stratégiques, a-t-il expliqué. Le moment venu, a-t-il promis, des journalistes de guerre seront embarqués avec les militaires pour montrer ce qui se passe sur le terrain. Il demande toutefois "aux journalistes qui ne montrent que l’obscurité, de parler aussi de la lumière", c’est-à-dire les acquis et victoires engrangés par l’armée.

La gestion humanitaire a aussi été évoquée dans l’interview surtout que ces derniers jours, il y a eu comme une brouille entre le gouvernement et le Programme alimentaire mondial (PAM) sur le transport de vivres au profit des personnes déplacées internes. « Il y a trop d’ONG sur le terrain et c’est bien qu’elles nous aident à secourir les PDI, mais nous devons savoir ce qu’il y a dans les sacs et où ça part. Si on ne le sait pas, on cloue les hélicoptères », a expliqué le président de la Transition. Il a à nouveau lancé un appel à ceux qui possèdent des camions de les mettre à la disposition du gouvernement pour acheminer les vivres, les ponts aériens ne pouvant être généralisés dans toutes les zones qui sont le besoin.
« Il faut plutôt dire "Jeunesse consciente" et "non de rue", a-t-il rétorqué à une question sur les manifestations de rue de jeunes acquis à sa cause.
Comme il fallait s’y attendre, le volet coopération internationale, principalement avec la France, s’est invité dans le face à face avec les journalistes. Il n’y a pas de rupture de relations diplomatiques et de coopération avec l’ancienne puissance coloniale a d’emblée indiqué le chef de l’Etat, quelques jours après la dénonciation par le gouvernement de l’accord sur la présence des forces spéciales Sabre. « C’est prévu dans l’accord et nous n’avons fait qu’appliquer ce qui est prévu et cela répond à notre désir de souveraineté » a-t-il répondu. Pour lui, ce que veut le Burkina, ce sont des accords gagnant-gagnants et non des accords qui vont conduire à nous coloniser à nouveau. Son souci, c’est reconquérir l’intégrité du territoire national et tous ceux qui voudront nous aider dans cet objectif sont les bienvenus. Seulement, a-t-il confié, le gouvernement a déjà exprimé par écrits ses besoins en équipements à des partenaires, dont la CEDEAO et le G5 Sahel et s’il n’y pas de réponse, « on avisera » a-t-il dit. Mais il croit beaucoup plus à la coopération bilatérale notamment avec les pays voisins. Il a levé les éventuelles ambiguïtés sur les intentions du gouvernement sur une éventuelle arrivée du groupe de sécurité privé russe Wagner. Selon lui, c’est un épouvantail créé de toutes pièces pour nous nuire et faire fuir les partenaires, car « nous avons nos Wagner déjà », c’est-à-dire les VDP.
Avec 1200 km de frontière, nous ne pouvons qu’avoir des rapports plus étroits avec le Mali, sans que cela n’impacte négativement les rapports avec les autres pays. Sur l’enlèvement des 66 femmes à Arbinda, il a reconnu que des zombes d’ombres planent encore sur cette affaire, mais l’essentiel est qu’elles ont été retrouvées et sont prises en charge par les services sociaux compétents.
S’agissant de la bonne gouvernance, le capitaine a été clair : l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat/lutte contre la corruption (ASCE/LC) a carte blanche pour faire les audits, y compris l’armée et la présidence du Faso. « On va demander aux gens de rembourser les fonds détournés » a-t-il déclaré.
Qu’en est-il des 400 millions de F CFA destinés aux VDP dans le Centre-nord qu’un capitaine aurait détournés comme l’ont révélé nos confrères de l’Evènement ? Serein, celui vers lequel beaucoup de regards se sont tournés dans cette affaire sachant qu’il a été sur les théâtres d’opérations dans cette partie du Burkina, a révélé qu’en vérité, la somme a avait été mise à la disposition de l’armée par la LONAB et qu’elle a permis d’équipes les VDP en motos. Il a rappelé qu’une enquête est en cours par le chef d’Etat-major des armées et a mis en doute la fiabilité de l’information publiée par nos confrères. On a appris d’ailleurs que cette publication avait créé des suspicions entre les VDP et les FDS rendant le climat quelque peu propice à une bonne collaboration dans la lutte contre les groupes terroristes.
Il est revenu sur les péripéties judicaires de son frère d’arme le Lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana. Mis aux arrêts pour tentative de coup d’Etat sous le président Roch Kaboré, puis libéré, il a de nouveau été arrêté chez lui à Pabré, dans la banlieue nord de Ouaga pour une nouvelle tentative de putsch. Pour le capitaine Ibrahim Traoré, c’est un dossier qu’il ne maitrise pas et il fait confiance à la justice militaire pour tirer cette affaire au clair.
Au plan économique, il a annoncé la création de zones économiques régionales avec les spécialités à développer dans chacune d’elle. Le Sahel pourrait par exemple se consacrer à l’élevage. Sur les mines, il a regretté que notre pays n’ait pas les moyens de contrôler la production d’or, se contentant d’encaisser les 10% qu’il détient dans le capital des sociétés minières. Il a souhaité qu’à l’avenir, les peines soient transformées en travaux d’intérêt général et que les personnes condamnées soient employés dans les champs communautaires.

Joachim Vokouma
Kaceto.net