C’est un long feuilleton judiciaire à rebondissements qui aura duré …38 ans et dont l’épilogue est intervenu le 22 février 2022. Statuant après cassation, la Formation spéciale de la Cour d’appel de Thiès, a rendu un jugement favorable aux héritiers de Feu Sékou Souaré dans l’affaire qui les oppose à Akram Nehemé, un agent immobilier serrurier qui leur réclamait le remboursement d’une dette 150 millions de F CFA que leur père aurait contractée auprès de lui. Le verdict qui n’a pas fait l’objet d’un appel, est donc définitif et rétablit les héritiers Souaré dans leurs droits. Et qui met un coup d’arrêt sec au projet financier de l’ambitieux homme d’affaires, Yérim Sow. Les yeux sont désormais tournés vers la Cour d’Abidjan.
Retour sur un dossier dont le traitement par la justice sénégalaise aura été pour le moins déroutant.

« Statuant publiquement, contradictoirement, après cassation en matière civile, en formation spéciale,
En la forme,
  déclare l’appel recevable ;
Au fond,
  infirme le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau
  déboute Akram Nehemé de sa demande de paiement de 150 000 000 de F CFA dirigée contre les héritiers de Sékou Souaré
  ordonne la levée des hypothèques conservatoires sur les titres fonciers N°3544/DG, 1639/DG, 3161/DG, 7011/DG, 195/DG et 1183/DG sis à Dakar et appartenant à feu Sékou Souaré
  le condamne aux dépens ».
Le 22 février 2022, les juges de la Formation spéciale statuant après cassation en matière civile de la Cour d’appel de Thiès, Papa Malick Sanokho, Alioune Ndiaye et Mbaye Pouye ont tranché : non seulement la demande de remboursement de 150 millions de F CFA adressée par Akram Néhémé aux héritiers de Sékou Souaré n’est pas fondée, mais mieux, les six (6) titres fonciers qu’il détenait par devers lui doivent leur être restitués.

Un gros soulagement pour les héritiers de feu Sékou Souaré, un patriarche guinéen qui a fait fortune dans le commerce de l’or et dans les transactions immobilières aussi bien à Dakar, Conakry et Abidjan où il s’est finalement installé avec sa famille. C’est aussi et surtout le résultat de la témérité des héritiers Souaré, que le temps n’a pas émoussée, qui ont mené un long combat judiciaire à rebondissements impliquant plusieurs personnes.
A commencer par Akram Néhémé, l’homme par qui, ce qui est apparu depuis trois décennies comme un scandale judiciaire, est arrivé.
Agent immobilier-serrurier de nationalité sénégalo-libanaise, perdu de vue au Sénégal depuis des années, il n’a entretenu aucun lien ni familial ni d’affaires avec Sékou Souaré. Mais aussi curieux que cela puisse paraitre, il s’est retrouvé en possession de six titres fonciers appartenant à feu Sékou Souaré et d’une reconnaissance de dette de 150 millions de F CFA que le patriarche guinéen aurait signée peu avant son décès en mars 1984.

Dans une enquête qu’Enjeux Africains et Kaceto.net ont menée sur l’affaire (https://kaceto.net/spip.php?article10374), il est apparu que selon toute vraisemblance, Akram Néhémé s’est frauduleusement introduit dans le pied à terre à Dakar de Sékou Souaré, dont il était le voisin mitoyen, pour y soutirer le carnet de chèque, les six titres fonciers et les formulaires à en-tête de la convention de location. C’est sur une d’elle qu’il a reconnu avoir rédigé et dactylographiée lui-même la reconnaissance de dette qu’il a ensuite « lue à Sékou Souaré qui a accepté de la signer ». L’expertise graphologique demandée par les héritiers Souaré a montré que la signature n’était pas celle de leur père, tout comme celle apposée sur le chèque de 150 millions de F CFA représentant la dette que Sékou Souaré lui devait.
Ayant tenté sans succès de toucher le chèque à Abidjan, Akram Néhémé rapplique à Dakar où il dépose une plainte et obtient gain de cause : le 29 septembre 1999, le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar, par un jugement, reconnait la validité de l’acte de reconnaissance de dette et condamne les héritiers Souaré à lui payer la somme qu’il réclame, soit 150.000.000 francs à titre principal et prononce la saisie judiciaire d’un Titre foncier (TF) à hauteur de 160.000.000 de francs CFA. Une décision contestée par les héritiers Souaré qui font appel. Contre toute attente, le 21 décembre 2017, la Cour d’appel de Dakar confirme le dit jugement.
Un pourvoi en cassation est introduit auprès de la Chambre civile de la Cour suprême du Sénégal et alors que l’affaire est loin d’être vidée, Me Tounkrara, avocat de Akram Néhmé, procède à la vente aux enchères publiques de l’immeuble objet du TF 3161/DG sis Rue Roosvelt, dans un quartier chic de Dakar. Adjugé à 1.200.000.000, l’acquéreur de l’immeuble s’appelle Habib Yérim Sow, PDG de la société Teyliom. Bien connu en Afrique de l’Ouest, il a fait fortune dans les Télécoms et est prêt à prendre tous les risques pour faire fructifier ses affaires.

C’est ainsi que sans attendre l’épilogue de cette saga judiciaire à l’issue incertaine, il a commis via son avocat, des huissiers qui se sont présentés dans la matinée du 16 septembre 2021 aux locataires de l’immeuble pour les sommer de déguerpir.
Face à la résistance de ces derniers, il passe à la vitesse supérieure. En début d’après-midi, munis d’une autorisation d’expulsion du juge, les huissiers reviennent flanqués d’une vingtaine de policiers du Groupement mobile d’intervention (GMI) et de gros bras. Leur mission, vider les quatre locataires des lieux, dont le couple Yacine qui y résidait depuis 1994. En quelques heures, leurs affaires sont sorties et jetées dans les rues adjacentes sous le regard indigné des passants. Deux semaines plus tard, l’immeuble est totalement rasé et le terrain clôturé. Pour Yérim Sow, l’affaire est pliée. Il peut à présent entreprendre la construction d’un immeuble devant abriter, selon les indiscrétions, sa banque.

Sauf que l’affaire n’était pas totalement vidée par la justice et c’était sans compter avec la détermination des héritiers de Sékou Souaré à recouvrer leurs droits. L’empressement de l’homme d’affaires qui visait à mettre les héritiers et les juges devant le fait accompli a été contreproductif.
Le 22 février 2022, la Cour d’appel de Thiès a rendu une décision déboutant Akram Néhémé de sa prétendue créance de 150 millions de F CFA, ce qui met fin à un déni de justice qui n’a que trop duré.
Au regard de l’arrêt de la chambre spéciale de Cour d’appel de Thiès qui a en entrainé la perte du fondement juridique de l’adjudication, les regards sont à présents braqués sur la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) basée à Abidjan et qui a une jurisprudence très assise sur des sujets de cette nature.

Que va-t-elle décider sachant que Akram Néhémé avait formulé un recours en annulation auprès de cette même cour ?
De toute évidence, l’agent immobilier-serrurier a vendu l’immeuble à ses risques et périls parce qu’il savait que la procédure n’était pas définitive au moment de l’adjudication. « La cour suprême du Sénégal avait annulé l’arrêt qui avait consacré la créance de Akram Néhémé et a ensuite renvoyé les deux parties devant la cour d’appel de Thiès, laquelle a infirmé le jugement qui avait condamné les héritiers de Sékou Souaré et a débouté Akram de sa créance. Donc, celui qui a acheté aussi l’immeuble l’a fait à ses risques et périls » explique un ancien magistrat très au parfum de cette affaire.

Selon lui, les héritiers Souaré ont tous les arguments juridiques pour récupérer leurs biens et ce sera l’épilogue de cette affaire dans laquelle, ils se sont se battus pour d’une part, préserver l’honneur et la dignité de leur père et, d’autre part, récupérer leurs biens qu’ils ont légitiment acquis par héritage.
La justice, a-t-on l’habitude de dire, est comme une vielle dame ; elle va à son rythme mais arrive toujours à destination.

Joachim Vokouma
Kaceto.net