"Allo, vous pouvez venir rapidement au musée des fourneaux ? Le fourneau dogon est en train d’accoucher ; ça ne peut pas attendre". A l’autre bout du fil, le président de l’association PASSATE, organisatrice du festival Wed bindé, Jacob Bamago a le souffle d’un sprinter qui vient de terminer une épreuve de course de 200 m. Le vieux forgeron Dogon avait prévenu, ça peut venir vers 5h du matin. Il avait vu juste. Dans l’après-midi du jeudi, il avait minutieusement monté le fourneau : sur la cendre damée, il avait posé plusieurs couches de granit, avant de poser une grosse quantité de charbon. Au pied du fourneau, des tuyaux ont été placés tout autour, histoire de faire passer l’air jusqu’à l’intérieur. Il avait ensuite mis le feu avant de donner rendez-vous pour le lendemain matin très tôt.
Mais peu de gens auront la chance d’assister au spectacle que représente l’accouchement : une magnifique flamme sortant de la bouche du fourneau, preuve que le granit est bien fondu, qu’il est à l’état liquide et que c’est le moment d’extraire le fer qu’il contient. Il faut déboucher les ouvertures, vider la braise incandescente et récupérer le métal.

La technique d’extraction du fer en Afrique, qui remonte à 800 ans avant Jésus-Christ a été bien conservée et transmise de génération en génération. Il faut faire le déplacement à Kaya, dans le seul et unique musée africain dédié au fourneaux pour découvrir l’histoire de la métallurgie sur le continent noir, que les manuels scolaires occultent malheureusement. L’exposition "Un âge de fer africain" qui se poursuit à proximité du musée, est un véritable cours d’histoire qui mérite d’être montrée dans les écoles et établissements scolaires du Burkina et d’Afrique.
Dans la soirée, deuxième rendez-vous place de la nation pour les compétitions des troupes Wed bindé. Trois étaient au programme, mais seulement une, la troupe Relwindé de Pinsa, s’est produite. La troupe de Bam n’est pas venue sans que l’on sache pourquoi ; en revanche, l’absence de la troupe Kolgonsom de Boulsa n’est une surprise pour personne. Les ressortissants de la province du Namentenga ont mis à exécution leur menace de boycott des festivités du 11 décembre. Dans cette affaire, le Festival Wed bindé n’est qu’une victime collatérale de ce bras de fer entre les frondeurs et les autorités nationales et régionales puisqu’il n’est pas une initiative des pouvoirs publics.
Fort heureusement, les Frères du Niger, un orchestre moderne animé par de talentueux artistes a tenu le public en haleine pendant près d’une heure, un temps assez long mais qui était nécessaire. Deux grosses vedettes de la musique traditionnelle ont posé un fâcheux lapin au festivaliers : Bamogo de Nobéré et Abibou Sawadogo. Très embarrassé, l’animateur Kambou Namwinkouma a usé de toutes les ficelles pour gagner du temps, espérant que les deux artistes arriveraient au bon moment. Le public, qui était venu très nombreux, commençait à s’impatienter.

Aux environs de 23h, la nouvelle finit par tomber : les deux artistes cités ne sont pas là. Ils ont préféré aller prester à ailleurs, dans la salle polyvalente où se tenait une rencontre entre les forces vives de la région et le président du Faso, Roch Kaboré, arrivé dans la soirée. Pis, le premier s’est permis d’aller animer une autre soirée avant de rappliquer Place de la nation où il était programmé depuis plusieurs mois.
Interrogé sur les causes de son grand retard, Bamogo de Bobéré répond avec aplomb : "ma voiture était en panne et c’est pourquoi c’est maintenant que j’arrive.Mais tout le monde est là et on va jouer". Evidemment, il ment comme il respire. Il ignorait que sa prestation était en direct sur la RTB et que des gens l’ont vu lorsqu’il honorait son deuxième rendez- vous improvisé. Il a sans doute de bonnes raisons de faire une infidélité au festival Wed bindé qui lui a pourtant servi, avec sa troupe, le déjeuner et le dîner. "Donc, il est venu manger notre repas et aller jouer pour les autres. On a pourtant payer un cachet aussi", peste un membre de l’association PASSATE. Dépité, son président refuse tout commentaire, préférant le laisser à sa conscience et à son manque de professionnalisme.
Hier soir, Bamogo de Nobéré n’a pas respecté sa parole et ce n’est pas bien. Il est venu à Kaya à l’invitation du Festival, et faire passer ce rendez-vous au second plan ne l’honore pas. Au passage, il aurait pu se passer des leçons de morale fort justifiées par ailleurs, qu’il a voulu donné aux jeunes enfants.
Quant à Abibou Sawadogo, dernière à monter sur scène, elle est arrivée dans sa tenue d’artiste, de même que ses musiciens et danseurs, preuve évidente qu’elle est descendue il y a quelque minutes d’une autre scène. Tant pis pour ceux qui l’attendent depuis des heures.Comme Bamogo de Nobéré, elle a sans doute de bonne raisons de considérer la scène du festival comme accessoire. Mais, elle avait aussi donné sa parole depuis des mois après avoir touché son cachet et se savait programmée. A croire que l’improvisation, le manque de rigueur et l’amateurisme est la chose la mieux partagée dans chez de nombreux artistes burkinabè. "Comment croient-ils conquérir un public international en se comportant de cette manière ? " interroge un enseignant.
C’est une Abidou Sawadogo déjà épuisée qui est montée sur scène. Sa voix puissante ne laisse pas le public indifférent, de même que les souplesses de ses danseurs. Mais, comme la plus belle femme ne peut offrir que ce qu’elle a, Abibou ne pouvait pas tenir longtemps. A peine dix minutes de prestation et la voici qui s’éclipse, à la grande stupeur du public. Il est vrai qu’elle a été fort agacée par des ennuis techniques, mais ce désagrément sonnait comme une punition, la sanction d’une justice immanente.
Ce soir, suite et fin des compétitions et remises de trophées.

Joachim Vokouma
Kaceto.net (à Kaya)