Le 3 octobre dernier, à l’occasion de la cérémonie de montée des couleurs, le premier ministre burkinabè, Me Apollinaire Joachim de Tembèla Kyelem avait mis dans le même sac les "superstitions, les maraboutages et les fétiches" et brocardé ceux qui croient aux fétiches au lieu de chercher la connaissance. Des propos qui ont choqué des millions de Burkinabè qui croient et valorisent l’héritage culturel de leurs ancêtres. Des propos d’autant plus déroutants qu’au même moment, le gouvernement fait la ronde des palais royaux pour solliciter l’implication des bonnets rouges dans la lutte contre le terrorisme et la préservation de la cohésion sociale.
En réponse à cette sortie malheureuse du chef du gouvernement, le Busm Kéoog-naaba Koobo, ministre du Dima du Busma, dans le Sanmatenga lui demande "de reconnaître la nature inacceptable de ses propos et de réparer le tort afin de ne pas donner raison à des indélicats pour traîner les fétiches dans la boue".
Lettre ouverte à Monsieur le Premier Ministre
Le Ministre de l’Education et de la Culture du Dima de Busma, Busm Kéoog-naaba Koobo, historien et enseignant, apporte à travers cette lettre ouverte, une réponse aux propos du Premier ministre burkinabè qui range les fétiches dans le même dossier que les superstitions et les maraboutages à l’opposé du noble dossier de la connaissance.
Au cours de la montée des couleurs nationales à la primature, le jeudi 03 octobre 2024, le Chef du Gouvernement, Dr Apollinaire Joachimson Kyélem de Tambéla, a invité les Burkinabè à s’engager dans la voie de la connaissance et de la révolution. De ce message, un passage a été abondamment partagé, par écrit et par audiovisuel, sur les réseaux sociaux. En effet, après avoir mis dans le même sac les superstitions, les maraboutages et les fétiches, le Premier Ministre s’attaque ouvertement aux fétiches en ces termes : « La preuve est que nos grands-parents malgré leurs fétiches, ils n’ont pas pu empêcher les colons de venir nous canarder ici. Et actuellement, les terroristes qui nous massacrent avec des fusils mitrailleurs-là, mais où sont nos féticheurs qui ne peuvent même pas les détecter et qui ne peuvent pas résister face à eux ? ».
Le Chef du Gouvernement oppose clairement les fétiches à la connaissance, classant les instruments de croyances traditionnelles dans le lot de l’obscurantisme. C’est avec étonnement que les garants des traditions prennent connaissance de cette position surprise d’un Chef de Gouvernement qui a tant fait pour les coutumes et les traditions.
Les lignes qui suivent tentent d’apporter quelques éclairages pour éviter une appréciation aussi biaisée des fétiches, instruments d’accomplissement des rituels dans plusieurs sociétés africaines.
Au moment où les adeptes des religions traditionnelles sont harcelés par certains leaders de religions dites « révélées » et fort heureusement contestés au sein de leurs propres camps, c’est tout un Chef de Gouvernement qui jette en pâture des millions d’adeptes des croyances ancestrales. Le propos est clair et net mais il est aussi inacceptable et condamnable.
En effet, cette prise de parole est en totale contradiction avec les décisions, les positions et les prises de parole du Président du Faso depuis son accession à la tête du Burkina Faso en septembre 2022. Sous le régime du Président Ibrahim Traoré, les coutumes et les traditions ont été valorisées plus que ne l’ont fait les régimes antérieurs. La création du Conseil national des Communautés, l’officialisation des langues nationales, les démarches en cours pour la dotation de la chefferie coutumière et traditionnelle d’un statut, l’institution de la journée des coutumes et des traditions le 15 mai et les consultations permanentes des chefs supérieurs sur la vie de la Nation en sont des preuves concrètes.
La journée nationale des coutumes et des traditions n’est autre chose que la célébration des fétiches et la reconnaissance de la foi des adeptes des religions traditionnelles. Si après tout cela le Chef du Gouvernement vient à comparer les fétiches aux superstitions et aux maraboutages et les range dans le casier de l’obscurantisme, les garants des coutumes et des traditions se posent des questions sur la sincérité de certains collaborateurs du Chef de l’Etat.
Doit-on opposer les fétiches à la connaissance ? Si la connaissance renvoie à la science et aux technologies, elle laisse un espace assez large pour prendre en compte les phénomènes non rationnels. L’anthropologie s’est longtemps intéressée aux aspects occultes des sociétés pour tenter de les comprendre. En 2024, un jeune Burkinabè conduit des recherches doctorales dans une université occidentale sur la justice de l’invisible dans la société moaaga. Plus de 60 ans après la décolonisation, les universités occidentales s’intéressent toujours à notre patrimoine et savent bien y parvenir. Les Blancs tentent toujours de sonder l’insondable, de voir l’invisible, de comprendre l’incompréhensible.
Il n’est pas surprenant que des intellectuels issus de l’école occidentale, malgré des efforts de se donner une coloration locale, ne parviennent pas à comprendre l’univers des fétiches. C’est de l’intérieur que les choses se dévoilent. Le pouvoir coutumier a ses coins secrets, ses chambres invisibles et ses couloirs insondables. Il s’agit là d’une connaissance à préserver. « Il y a l’eau et il y a le milieu de l’eau ». « Est belle, la chose qui est à l’intérieur ». « On parle toujours en busmdi et celui qui est intelligent comprend le sens ». Les fétiches sont des instruments de connaissance. Ils incarnent par les rites, les pratiques et les croyances toute une idéologie. La vraie connaissance, la méta-connaissance ne se trouve pas dans un livre, elle est dans l’univers, dans le souffle du vent, dans l’esprit de la forêt, dans le coucher du soleil, dans les feuilles des buissons qui meurent. Cette connaissance n’est pas accessible aux connaisseurs.
Les adeptes des religions traditionnelles exigent un respect de leur dignité et de leur identité. Ils exigent une réparation du tort commis par la deuxième haute personnalité de l’Etat afin de renforcer l’union sacrée entre les Burkinabè pour la restauration de l’intégrité territoriale et pour le retour de la paix au Burkina Faso. Humblement et sagement, les garants des coutumes et des traditions, utilisateurs de fétiches, demandent au Premier ministre de reconnaître la nature inacceptable de ses propos et de réparer le tort afin de ne pas donner raison à des indélicats pour traîner les fétiches dans la boue.
Pour la paix et pour la cohésion sociale, le Chef du Gouvernement connaît les voies coutumières et traditionnelles pour remettre les choses à l’endroit et tourner la page de l’incident. Cela donnera plus d’autorité au gouvernement pour sanctionner les dérapages réguliers contre les coutumes et les traditions. Les fétiches ont besoin de la protection de l’Etat.
Le monde, depuis l’antiquité, fonctionne selon les principes des rapports de force et des intérêts. Et ce ne sont pas forcément les plus intelligents qui gagnent, c’est souvent les plus unis, les plus soudés et ceux qui savent se rassembler malgré leur différence, au-delà des fétiches et à travers les fétiches. L’histoire est pleine d’exemples de coalitions, d’alliances et d’allégeances qui ont contribué à l’émergence d’Etats forts et aussi à la décadence de puissances hégémoniques.
Dans le classement mondial des leaders de la connaissance, notamment des sciences et des technologies, les Etats-Unis d’Amérique conservent la première place. Face au terrorisme en Afghanistan, la réalité est là : « Le 30 août 2021 marque le départ des dernières troupes américaines d’Afghanistan. Après 20 ans de guerre et d’occupation, les Talibans ont remporté la victoire et infligé une humiliation aux États-Unis, alors que ces derniers étaient numériquement et matériellement infiniment supérieurs », selon une source occidentale. Il y eut aussi le cas du Vietnam où les Américains superpuissants dans la connaissance n’ont pas pu vaincre les vietnamiens ignorants.
A partir de là, n’imputons pas aux fétiches les échecs face à la colonisation et les difficultés face aux attaques terroristes. « Aide-toi et le ciel t’aidera ». Il faut également noter qu’aucune valeur, fut-elle coutumière ne prétend à elle seule résoudre dans l’absolu les problèmes dans la société. Il y a des conditions à remplir et des limites matérielles dont il faut tenir compte pour réussir.
Pour le Burkina Faso, cela passe inéluctablement par l’union sacrée et par l’unité nationale. La Nation, c’est l’ensemble des communautés. Et il est aussi vrai que la communauté des adeptes des religions traditionnelles est la plus tolérante et la plus inclusive. Il n’y a pas de conflit de religion ni à l’intérieur des croyances traditionnelles ni avec les religions dites « révélées ».
Les fétiches ne sont pas obscurantistes et certains de ceux qui croient aux fétiches sont issus des mêmes écoles que ceux qui les stigmatisent. Ils ont fait des études scientifiques et vivent aujourd’hui en équilibre la transition entre tradition et modernité. Serviteurs loyaux de l’Etat, ils sont aussi des garants indéfectibles des coutumes et des traditions, par conviction, par devoir et par passion. Ces patriotes qui jouent à la perfection des rôles modernes et traditionnels méritent le même respect qu’on accorde aux prêtres scientifiques, aux imams scientifiques, aux pasteurs scientifiques.
Nos rois sont mieux entourés que certains gouvernants modernes car il n’y a pas de place pour l’hypocrisie ni pour la déloyauté. L’humilité, la sagesse et l’intégrité sont les baromètres qui déterminent le choix des collaborateurs des rois. Ils vivent pour l’intérêt général et leur salaire est le service rendu aux populations. Ceux qui fréquentent les espaces régulés par les fétiches savent l’importance de l’intégrité et de la parole donnée. Ils connaissent et respectent les principes de justice, de confiance, de synergie, de complémentarité, d’intégrité et de flexibilité. Ils défendent les valeurs d’humanité, de fraternité, de solidarité, d’unité et de pardon.
Par ignorance et par intérêt, les Occidentaux nous ont convaincu que les Etats précoloniaux africains et même les Etats postcoloniaux ne sont pas des Etats de droit. Pour l’Etat mooaga précolonial du Busma, les devoirs se conjuguent avec les droits. Avant de revendiquer des droits, il faut d’abord respecter la hiérarchie, les aînés et les anciens, les coutumes et les traditions, la parenté et la patrie, la parole donnée et la solidarité collective. Aux côtés de ces obligations, l’individu a droit à la vie et à la dignité, à une reproduction saine, à la famille et à la terre comme bien politique, économique et confessionnelle.
Conscients et convaincus de leur mission d’éducation et de sensibilisation, les garants des coutumes et des traditions accueillent avec bienveillance et satisfaction l’appel du Chef de l’Etat dans son message à l’occasion de la deuxième édition des Journées Nationales d’Engagement Patriotique et de Participation Citoyenne du 02 octobre 2024 : « Je lance un appel solennel à l’ensemble des autorités coutumières et religieuses à participer pleinement à ces journées à travers des enseignements et des messages rappelant, lors des différents cultes, le sens et la nécessité pour chaque citoyen de cultiver les valeurs authentiques de notre patrie. ».
Déjà dans la dynamique de l’éducation citoyenne et patriotique depuis 2021, l’Académie Royale Kéoogo de Busma poursuivra ses actions à travers les séances de contes, de proverbes, de récits historiques et d’expression artistiques pour contribuer à construire un citoyen fier de ses fétiches et engagé dans la construction d’un monde de paix et de prospérité au Burkina Faso, en Afrique et dans le monde.
Busm Kéoog-naaba Koobo, ministre du Dima du Busma
Wayugui, le 05 octobre 2024
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