Afin de contrer les discours et prêches tenus dans les mosquées et autres lieux de prière de nature à saper la cohésion sociale, la hiérarchie de l’islam a créé un Comité d’écoute du discours islamique chargé de faire un monitoring sur tout ce qui se dit et de proposer des sanctions.
Une décision que soutient l’Association pour la tolérance religieuse et le dialogue intercommunautaire (ATR/DI) dans la déclaration ci-contre parvenue à notre rédaction.

Le 25 octobre dernier, la Fédération des associations islamiques du Burkina (FAIB) a rendu publique une déclaration sur le « discours islamique actuel » qui prévaut dans certains milieux musulmans Elle y interpelle les acteurs religieux musulmans sur la dangerosité des propos de certains d’entre eux qui sont susceptibles de diviser la communauté des musulmans et de nuire à la cohésion nationale. Trois (03) jours plus tard, à savoir le 28 octobre 2024, le président du présidium de la FAIB le Dr Cheick Sidi Mohamed Maïga II prenait la « Décision n° 03-2024 portant création et mise en place du Comité d’écoute du discours islamique » (CEDI) « avec pour mission de suivre les prêches et les audios à travers les médias, les réseaux sociaux ; constater les dérives et de faire des propositions de sanctions ». Le même jour, le président du Conseil supérieur des oulémas de la Communauté musulmane du Burkina Faso (CMBF) chargé des affaires islamiques, Cheick islam Mahamoudou Bandé, a adressé une lettre d’ « Interdiction de prêcher et d’officier une prière dans les mosquées de la Communauté musulmane du Burkina Faso »à un prêcheur car ses « prêches sont de nature à radicaliser nos fidèles musulmans et à troubler l’ordre public ». Au regard de l’opportunité et de la pertinence de ces actions, l’Association pour la tolérance religieuse et le dialogue intercommunautaire (ATR/DI) apporte, dans les lignes qui suivent, sa quote-part d’appréciation à cette initiative louable de la FAIB.

Ainsi, la faîtière des musulmans dit observer « avec inquiétude l’émergence de déviations dangereuses dans le discours religieux » qui « menacent l’unité de la communauté et alimentent des divisions (fitna) incompatibles avec les principes de notre foi ». Par voie de conséquence, « Le Collège des Oulémas et le Présidium de la FAIB condamnent fermement cette dérive négative, amplifiée par les réseaux sociaux qui va à l’encontre des valeurs morales fondamentales de l’islam ». Elle conclut que « Toute récidive entraînera des poursuites » et qu’« Un comité de suivi et de vigilance a été mis en place pour garantir le respect de ces principes et prendra des mesures appropriées contre tout manquement ». Quant à la décision ci-dessus citée, elle prévient que « Tout contrevenant sera convoqué devant le Conseil de discipline, l’instance habilitée à prononcer des sanctions. »

Une faîtière dont il faut comprendre le mode de fonctionnement

Certes, on a pu lire ici et là sur les réseaux sociaux des commentaires de tous ordres de la part de concitoyens qui restent dubitatifs sur les retombées positives de cette déclaration ; certains estiment même qu’elle est tard venue tandis que d’autres attendent de voir pour croire à son efficacité. Pour compréhensibles que puissent être ces prises de position, elles sont probablement motivées par l’ignorance ou la non-prise en compte des spécificités propres à cette faîtière : d’abord, elle compte près de trois cents (300) organisations de base (selon nos sources) dont les principales sont, par ordre alphabétique, l’Association des élèves et étudiants musulmans au Burkina (AEEMB), l’Association Ittihad Islami du Burkina (AIIB), la Communauté islamique de la Tidjania du Burkina (CITB), la Communauté musulmane du Burkina Faso (CMBF), le Cercle d’études, de recherches et de formation islamiques (CERFI) et le Mouvement sunnite du Burkina Faso (MSBF) ; ensuite, les relations entre ses membres sont fonctionnelles et non hiérarchiques. Autrement dit, chaque organisation de base est indépendante des autres. De ces deux spécificités de la FAIB, il s’ensuit que la prise d’une décision collégiale est une vraie gageure.

C’est pourquoi, il faut saluer à leurs justes valeurs les principes :

De la rédaction et de la publication/diffusion de la déclaration en arabe, dioula, français, fulfuldé et mooré (pour ne citer que ces langues) qui reflètent un niveau certain de prise de conscience par les membres de la haute hiérarchie islamique du danger malgré les diversités doctrinales qui sont celles des organisations de base de la FAIB. Sans oublier les messages vidéo et audio postés sur les réseaux sociaux ;
De la prise en compte, dans le contenu du texte, de l’intérêt général des Burkinabè en matière de cohésion sociale, de vivre-ensemble harmonieux et de sécurité en ces temps difficiles que traverse le Burkina Faso.
Un autre acteur clé doit davantage jouer sa partition : il s’agit de l’Etat « Le Collège des Oulémas et le Présidium de la FAIB »

ont, en plus d’avoir promis de poursuivre devant les juridictions les auteurs des comportements déviants, rappelé les valeurs de l’islam que sont le respect, la tolérance, l’appel à la sagesse et l’exhortation bienveillante. Cette volonté clairement affichée de la faîtière des musulmans risque fort de demeurer un vœu pieux si l’institution garante du maintien et/ou du rétablissement de l’ordre public, détentrice de la puissance publique n’émet pas des signaux forts pour contribuer à dissuader ou à dissuader (tout simplement par elle-même) les velléités de troubler l’ordre public et de complexifier encore une situation nationale qui l’est déjà suffisamment. A ce titre, elle a déjà entre ses mains le Conseil supérieur de la communication (CSC), les ministères chargés des coutumes et des cultes, de la sécurité et de la justice et leurs services techniques, dont il faut renforcer l’outillage intellectuel et matériel, et l’Observatoire national des faits religieux (ONAFAR) qui gagnerait à être dynamisé par les pouvoirs publics au premier chef.

En interpellant, l’Etat, il ne s’agit pas de l’inciter à réprimer systématiquement les comportements déviants à tout va parce que l’Etat a aussi pour vocation de faire dans la pédagogie et l’andragogie. L’épée de Damoclès qu’il tient entre ses mains doit être plus dissuasive que répressive et encourager tous les acteurs religieux, quelle que soit leur appartenance confessionnelle, à plus de mesure, de tempérance, de modération et de consolidation de la cohésion sociale. C’est d’autant plus à propos qu’au vu de la viralité de certains discours inconvenants d’acteurs musulmans, bien de citoyens, à commencer par des responsables religieux toutes confessions confondues, ont regretté le silence des pouvoirs publics.

Ce serait une erreur que de croire que ça n’arrive qu’aux musulmans

Il ne faut pas s’y méprendre ! Ce qui a cours au sein de la communauté des musulmans l’est tout autant, certes à des degrés divers, dans les autres religions. C’est pourquoi, le seul acteur légal et (surtout) légitime censé se situer au-dessus des intérêts des différentes communautés religieuses qui est l’Etat se doit d’agir dans de telles circonstances ; surtout que c’est également la seule institution habilitée, de son plein droit, à intervenir dans les crises intra et interreligieuses sans l’avis (encore moins l’accord) des parties en conflit, au nom de l’intérêt général. Dans ce sens, il dispose de textes législatifs et réglementaires qu’il peut invoquer et de ses prérogatives régaliennes dont il peut faire usage à tout moment.

Mieux, il existe, depuis septembre 2022, un avant-projet de loi portant libertés religieuses consensuel élaboré par les acteurs étatiques, religieux et traditionnels qu’il conviendrait d’examiner en Conseil des ministres pour en faire un projet de loi afin de le faire adopter par l’Assemblée législative de transition (ALT). Beaucoup de dispositions de cette règle de droit permettent de répondre efficacement aux dérives langagières intra ou interreligieuses de nombre d’acteurs religieux et coutumiers et de conforter le travail ardu qui est celui des organisations religieuses et coutumières. Ces dernières, depuis environ deux (02) ans, ont fort à faire avec certains acteurs religieux ou avec certains fidèles et les passes d’armes constatées entre Burkinabè au lendemain de l’institutionnalisation de la Journée des coutumes et traditions (JCT) le 15-Mai en sont des illustrations parfaites. Cette loi, adoptée et mise en œuvre conséquemment, peut être un outil performant dans l’amélioration de la gouvernance des faîtières religieuses et coutumière et dans la construction d’une société burkinabè plus cohésive.

La nécessité de dynamiser les cadres de dialogue intra et interreligieux ou d’en créer là où il n’en existe pas

La FAIB, du fait des décisions qu’elle a prises, a décidé de se saisir du taureau par les cornes et c’est tout à son honneur. Cependant, cette action inédite a besoin d’être soutenue par des initiatives structurelles comme le fait d’accorder une plus grande place à l’éducation au dialogue intra et interreligieux parmi ses membres, la création ou le renforcement des commissions du dialogue intra et interreligieux et la contribution à la création et à l’institutionnalisation d’un cadre de concertation interreligieux incluant toutes les confessions religieuses.

Cela vaut également pour les autres organisations faîtières religieuses et coutumière dans la mesure où un monitoring sommaire des émissions radiophoniques et/ou des publications sur les réseaux sociaux donne des indicateurs objectifs sur les faits religieux et coutumiers conflictogènes dont les auteurs ne sont autres que des acteurs du culte ou des membres des communautés dont ils sont les premiers responsables. En outre, aux dires de bien de dirigeants de services techniques de l’Etat, la cohabitation se révèle de plus en plus difficile entre les fidèles des religions abrahamiques et les adeptes des religions traditionnelles africaines dans certaines régions du pays ; confirmant ainsi l’impérativité de l’adoption de mesures fortes pour annihiler certaines tentations en ayant recours à l’institution judiciaire. Cela étant, chapeau bas à la FAIB, encore une fois, pour ces actions vigoureuses qui promeuvent des relations intra et interreligieuses et consolident la cohésion sociale.

Faite à Ouagadougou le 1er novembre 2024

Pour le Bureau national, le Président

Issaka SOURWEMA

Dawelg Naaba Boalga