L’État belge est reconnu coupable de crime contre l’humanité. L’affaire était portée par cinq femmes métisses enlevées à leur famille à l’époque où le Congo était une colonie belge. Déboutées en première instance, la cour d’appel de Bruxelles reconnaît aujourd’hui leur préjudice et condamne l’État à les indemniser. "C’est une victoire, un jugement historique", se réjouit Michèle Hirsch, l’avocate qui a porté ce dossier.
Dans son arrêt, la cour d’appel dit qu’il est établi que ces cinq femmes : "ont été enlevées à leur mère respective, sans l’accord de celle-ci, avant l’âge de sept ans, par l’État belge en exécution d’un plan de recherche et d’enlèvement systématique des enfants nés d’une mère noire et d’un père blanc, élevés par leur mère au Congo belge, uniquement en raison de leurs origines".
La cour d’appel de Bruxelles qualifie ces enlèvements "d’acte inhumain et de persécution constitutifs d’un crime contre l’humanité en vertu des principes de droit international". Par ailleurs, la cour condamne l’État belge à indemniser à hauteur de 50.000€ le dommage moral des appelantes résultant "de la perte de leur lien à leur mère et de l’atteinte à leur identité et à leur lien à leur milieu d’origine".
Un arrêt salué par l’avocate Michèle Hirsch qui avait plaidé la notion de crime contre l’humanité : "C’est un jugement historique que la cour d’appel de Bruxelles vient de rendre. C’est la première fois en Belgique et probablement en Europe qu’une cour condamne pour crime contre l’humanité l’État colonial belge".
Monique, Léa, Marie-José, Simone et Noelle Simone Ngalula, Monique Bitu Bingi, Léa Tavares Mujinga, Noelle Verbeeken et Marie-José Loshi sont nées au Congo entre 1945 et 1950. Elles ont été victimes de cette politique ségrégationniste.
Réunies au cabinet de leur avocate, l’heure est à la célébration. Léa Tavares Mujinga : "Nous avons crié, nous avons applaudi et sauté ! C’était le soulagement après une nuit blanche". À ses côtés, Monique Bitu : "Nous avons gagné, nous sommes très fières. Il y a un poids qui est parti". Noelle Verbeken confirme et poursuit : "L’État belge a enfin rendu justice. Cette décision dit que nous avons une certaine valeur dans ce monde. Nous sommes reconnues".
Aujourd’hui, ces femmes se sentent reconnues dans leurs souffrances et leur parcours de vie très difficile. Simone Ngalula parle d’une "enfance qui a été bafouée. On avait un papa et une maman, on nous a enlevés". Léa Tavares Mujinga parle, elle, d’une "vie brisée, complètement brisée".
Lorsqu’elles sont enfants, au Congo belge, elles sont considérées comme tous les autres enfants métis comme les enfants de la honte et du péché. Entre 1948 et 1961, l’ordre était donné d’enlever les enfants métis à leur famille le plus tôt possible et de les confier à des institutions religieuses. Arrachés à leur famille, les pistes étaient ensuite brouillées pour qu’ils ne puissent plus retrouver leurs proches. Leur nom était changé et ils étaient déplacés dans d’autres régions du pays.
À l’indépendance du Congo, les institutions religieuses où vivent ces enfants enlevés sont fermées. Certains enfants sont envoyés en Belgique pour être adoptés, d’autres sont abandonnés à leur sort. Léa Tavares Mujinga : "À l’indépendance, quand les sœurs sont parties, on a été abandonnées. J’étais à plus de 1000km de ma mère, abandonnée dans la rue, sans rien". Monique Bitu Bingi, elle, sera victime de sévices imposés par des miliciens : "J’avais 3 ans et demi. Je me souviens de tout comme si c’était hier".
Des excuses, puis une condamnation
En 2019, alors Premier ministre, Charles Michel présente des excuses au nom de la Belgique. En séance plénière à la Chambre, il déclare : "Au nom du gouvernement fédéral belge, je présente mes excuses aux métis issus de la colonisation belge et à leur famille pour les injustices et les souffrances qu’ils ont subies".
Le combat judiciaire a ensuite commencé pour Simone, Monique, Léa, Noelle et Marie-José. En 2021, en première instance, le tribunal avait estimé que si, aujourd’hui, ces faits pouvaient être considérés comme crime contre l’humanité, ce n’était pas le cas à l’époque colonial. Aujourd’hui, la cour d’appel de Bruxelles a eu un autre raisonnement.
Réactions politiques et d’associations
Sollicité pour une réaction, le Premier ministre Alexander De Croo n’a pas souhaité réagir. Le nouveau ministre des Affaires Étrangères, Bernard Quintin, a, quant à lui, pris acte de cet arrêt et annoncé qu’il allait le lire avec "beaucoup d’attention".
De son côté, Marie-Colline Leroy, secrétaire d’État à l’Égalité des chances a souligné cette décision judiciaire qui "envoie un signal fort". Elle ajoute : "La cour d’appel reconnaît la nécessité des réparations aux personnes victimes du colonialisme et du racisme systémique mis en œuvre par la Belgique au Congo. C’est une étape indispensable, pour apaiser les plaies du passé et pour aller de l’avant vers une société plus juste. Il nous revient, en tant que personnel politique, de continuer ce travail qui ne se limite pas à la mémoire, mais assume les responsabilités et pense les réparations".
Du côté associatif, African Futures Lab et Amnesty International ont félicité "cette décision courageuse qui ouvre la voie à la pleine reconnaissance des atrocités commises pendant la colonisation et de leurs effets néfastes persistants sur la vie des survivants et de leurs descendants".
Cet arrêt pourrait faire jurisprudence. L’évaluation du nombre d’enfants métis tourne généralement autour des 15 à 20.000.
RTBF.be
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