Appel d’organisations de défense des droits de l’homme sur le cas des six journalistes ivoiriens détenus par les autorités judiciaires

A
Son Excellence Alassane Ouattara
Président de la République de Côte d’ivoire

Objet : Protestation contre la détention des six journalistes ivoiriens.

Monsieur le Président,
L’opinion publique ivoirienne et internationale est dans l’émoi après avoir été informée de la convocation puis, de la détention de six journalistes ivoiriens dont trois éditeurs dans un camp de gendarmerie à Abidjan depuis le dimanche 12 février 2016. Ces journalistes sont détenus pour « divulgation de fausses informations de nature à inciter les soldats à la révolte. » Cette situation serait en lien avec les récentes mutineries des forces armées ivoiriennes suivant un communiqué du Procureur de la République de Côte d’ivoire.
Nous protestons vivement par rapport à cet état de fait car ce qui est reproché aux journalistes par les autorités judiciaires de Côte d’ivoire est d’une extrême gravité, et les circonstances de leur arrestation amènent à s’inquiéter. En effet, selon les premières déclarations de la justice ivoirienne, les journalistes tomberaient sous le coup des articles 174 et 175 du Code pénal auxquels renvoient les dispositions de la loi sur la presse en Côte d’ivoire à savoir : « incitation au vol, au pillage, au meurtre, incitation à la xénophobie, à la haine tribale, raciale, religieuse, apologie de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, incitation des forces de l’ordre à l’insoumission et à la rébellion, atteinte à l’intégrité du territoire national… »
Le Procureur de la République a, par ailleurs, accusé ouvertement les journalistes « d’incitation des militaires à l’insoumission et à la rébellion, d’atteinte à l’autorité de l’État et la publication d’informations fausses se rapportant au secret de la défense et de la sûreté de l’État. » Ce qui ne fait l’ombre d’aucun doute que les journalistes risquent l’inculpation qui pourrait aboutir à des peines d’emprisonnement.
Or, le régime juridique de la presse en Côte d’ivoire dispose de façon claire et nette que « la peine d’emprisonnement est exclue pour les délits de presse ». En outre, votre gouvernement avait adopté en conseil des ministres, le 03 août 2016, un « nouveau régime juridique de la presse » qui exclut, à son tour « la garde à vue » et la « détention préventive. »
C’est donc dire que la législation en vigueur sur les médias en Côte d’ivoire aura réalisé un bond remarquable en avant en ce qui concerne la liberté de presse en accroissant significativement les garanties du libre exerce de la profession, la protection et la sécurité des journalistes. Cela est à mettre à l’actif de votre Gouvernement.
Cependant, dans la réalité, les atteintes répétées à la liberté de la presse contrastent cette embellie législative comme cela est illustré négativement par la récente interpellation des six journalistes suivie de leur détention dans un camp de gendarmerie.
Nous tenons à rappeler avec force que toute détention de journaliste est une violation flagrante et inacceptable de la législation interne à votre propre pays en matière de presse.

Cette privation de liberté infligée à ces journalistes ne correspondant à aucun texte légal, ce faisant. Et quant à l’action engagée contre les journalistes, il ne pourrait donc s’agir purement et simplement que d’une action illégale, abusive et répressive.
Il ressort également des témoignages des proches et des responsables des organisations professionnelles des médias que les détenus sont sans nouvelles depuis leur lieu de détention en raison d’une interdiction d’accès à ces derniers. L’isolement des prévenus et les entraves à leur accès violent les droits élémentaires du prévenu et par - delà les droits de l’Homme. Les textes communautaires de l’espace sous régional garantissent la présence d’avocat dès les enquêtes préliminaires et l’accès au prévenu au moment de sa garde à vue.
Monsieur le président,
Nous fondant sur cette situation suffisamment grave pour non seulement la liberté et la sécurité des journalistes ainsi que des droits de l’Homme dans votre pays, mais aussi et surtout de l’image d’un Etat de Côte d’Ivoire et de son Gouvernement soudainement violateurs et prédateurs de la liberté de presse sur la scène internationale, nous vous appelons instamment :
 1- L’arrêt immédiat de la détention arbitraire des six journalistes ivoiriens et patrons de presse que sont : Vamara Coulibaly (Inter et Soir Info), Yacouba Gbané (Le Temps) et Franck Bamba Mamadou Notre Voie) ainsi que leurs collaborateurs Hamadou Ziao (rédacteur en chef de l’Inter), Jean Bédel Gnago (Soir info) et Ferdinand Bailly (Le temps),
 2- L’abandon de toutes les charges qui pèsent sur eux ou qui viendraient à être retenues à leur encontre par la justice ivoirienne,
 3- Le respect des droits des journalistes dans le cadre de l’exercice de leur métier par les pouvoirs publics ivoiriens conformément à la législation en matière de presse, et aux principes universels des droits de l’Homme,
 4- La dépénalisation totale, contre celle partielle en cours pour l’instant, de la loi régissant la presse de Côte d’ivoire en éliminant toutes les références au code pénal.
Excellence, Monsieur le Président, nous formulons l’ardent espoir que nos présentes requêtes soient prises en compte diligemment par vous, afin d’améliorer le sort des journalistes ivoiriens pour une presse plus libre et indépendante dans votre pays et pour l’enracinement de la démocratie aussi bien en Côte d’ivoire que dans notre communauté ouest-africaine où la Côte d’ivoire assure un leadership reconnu.
Veuillez agréer, Excellence Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération.
Ouagadougou, le 14 février 2016

Signataires :
(1) Cercle d’Eveil (CEDEV)
Evariste Consimbo (président)
(2) Observatoire de la Démocratie
et des Droits de l’Homme (ODDH)
Lookmann Sawadogo (président)
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