Devant le Comité des droits de l’homme de l’Onu, le ministre de la Justice et la délégation qui l’accompagne ont défendu les positions du Burkina quant au respect des droits humains et expliqué les mesures prises ou envisagées pour le renforcement de l’Etat de droit.

Depuis lundi 27 juin se tient à Genève, en Suisse, la 117ème session du Comité des droits de l’Homme de l’Organisation des nations-unies (Onu). A chacune de ses sessions, cet organe examine la situation des droits humains dans les pays membres de l’Onu et n’hésite pas à pointer du doigt les disfonctionnements dans leur appareil judiciaire. Le Comité doit ainsi examiner les rapports des Etats burkinabè, argentin et de l’Equateur sur la mise en œuvre du Pacte international sur les droits civils et politiques qu’ils ont ratifié.

La délégation burkinabè, conduite par le ministre de la Justice, des droits humains et la promotion civique, garde des Sceaux, Bessolé René Bagoro, est composée de Évelyne Marie Augustine Ilboudo, ambassadrice, chargée d’affaire par intérim de la Mission permanente du Burkina Faso auprès des Nations Unies à Genève, de représentants du ministère des Affaires étrangères, de la coopération et des Burkinabè de l’extérieur, celui de la Défense nationale et des anciens combattants, du ministère de la Femme, de la solidarité nationale et de la famille, du ministère de l’Economie, des finances et du développement et enfin du ministère de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de la sécurité intérieure. Des organisations de défense des droits de l’homme y sont également représentées, notamment le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples, (MBDHP), le Centre d’information en matière des droits de l’homme en Afrique (CIFDHA) et l’association Semfilms, spécialisée dans la production de films sur les droits humains.
Dans des rapports communiqués à l’Onu, ces organisations ont pointé du doigt entre autres, les crimes économiques et de sang restés impunis (Affaire Thomas Sankara, Norbert Zongo, Dabo Boukari, Salif Nébié, les victimes de l’insurrection populaire d’octobre 2014, puis du coup d’Etat de septembre 2015, etc.), l’indépendance de la justice avec la volonté affichée du président Roch Kaboré de réintégrer la présidence et le ministère de la Justice dans le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Il y est aussi question des pratiques de torture et de traitements contre des prisonniers ou de personnes arrêtées, des exactions des groupes d’autodéfense, connus sous l’appellation Koglwéogo, de la peine de mort qui est toujours dans le code pénal burkinabè, les conflits communautaires dont les victimes sont surtout les Peuls, et du statut de la femme dans la société burkinabè. L’Etat burkinabè avait aussi communiqué en avril 2016 un rapport initial de mise en œuvre du Pacte international sur les droits civils et politiques qu’il a ratifié en 1999. Un rapport qui arrive avec 16 ans de retard, a fait observer un expert de l’ONU. Présentant ce document le 29 juin, le ministre Bagoro a indiqué que les mutineries de 2011, l’insurrection populaire d’octobre 2014, le putsch avorté de septembre 2015 et les attentats de janvier 2016 ont eu un impact négatif sur les droits humains. Il a ensuite énuméré les réformes engagées ou en cours visant à renforcer l’Etat de droit : mise en place d’une commission constitutionnelle chargée de rédiger une nouvelle loi fondamentale, mandat d’arrêt international lancé contre l’ancien président Blaise Compaoré dans l’affaire Thomas Sankara, relecture du code pénal, du code des personnes et de la famille, révision de la loi pénitentiaire, etc. Sur la peine de mort, il a informé le Comité qu’une proposition de loi avait été faite sous la Transition visant à l’abolir, mais n’avait « pas rencontré l’adhésion des acteurs concernés par la procédure législative », précisant toutefois qu’elle ne peut pas être prononcée contre un mineur. La délégation burkinabè a ensuite été soumise à une rafale de questions des experts de l’ONU, inspirées des rapports des ONG Burkinabè et de l’Etat : Travail des enfants, égalité de genre, âge du mariage, indépendance de la justice, exécutions extrajudiciaires, milices d’autodéfense « Koglwéogo » ou encore les conflits entre agriculteurs et éleveurs. Sur le dossier Thomas Sankara, le ministre a rappelé que le leader de la révolution a été proclamé héros national, qu’une somme de 43 millions F CFA a été proposée à la famille Sankara, qui l’a refusée, exigeant que la lumière soit faite sur son assassinat. « L’enquête a été rouverte et l’on s’attend à ce que des inculpations soient prononcées dans le courant de l’année » a précisé la délégation. Sur la peine capitale, prononcée cette année contre une personne à Bobo, elle est laissée à la discrétion des jurés populaires, sachant qu’il « est difficile de convaincre la population, les députés eux-mêmes étant persuadés – pour la majorité d’entre eux – de la légitimité de cette peine », a répondu un membre de la délégation.

Relancé sous la Transition, le dossier Norbert Zongo connait une évolution satisfaisante. Le juge qui en a la charge « a prononcé des inculpations et le Burkina Faso entrevoit le bout du tunnel dans cette affaire ». Sur l’égalité Genre, les représentants de l’Etat ont reconnu que le quota de 30% n’est pas respecté lors des élections, les femmes étant très mal positionnées sur les listes électorales. Pour y remédier, le gouvernement compte contraindre les partis politiques à faire alterner les deux sexes sur les listes, afin qu’un candidat et son suppléant ne puisse être du même sexe. S’agissant du droit des femmes à l’héritage de la terre, la délégation a indiqué que c’est le conjoint survivant, quel que soit son sexe, qui est l’héritier des biens de celui qui est décédé. Les femmes peuvent hériter de biens immobiliers, du moins sur le plan légal. Interpellée sur l’âge du mariage et la situation des personnes handicapées, la délégation a informé le Comité qu’une réforme est envisagée visant à faire « coïncider l’âge de la majorité civile, qui est de 18 ans, avec celui du mariage », et que 10% des emplois est réservé aux personnes handicapées dans la fonction publique. A propos des tortures et exécutions extrajudiciaires, le ministre a démenti que les forces de sécurités s’y livrent, reconnaissant toutefois que des cas ont été signalés dans l’Est du pays, « la région la plus criminogène du pays, notamment en matière d’attaques à main armée ». Quant au Koglwéogo qui défraient la chronique depuis des semaines, le ministre a rappelé que « ces groupes ont été reconnus comme des initiatives locales de sécurité depuis 2012 », mais qui se sont par la suite rendus coupables de dérives en extorquant des aveux par la force. Il a informé le Comité qu’un « projet de décret visant à créer des structures communautaires de sécurité, qui seront encadrées par la police ou la gendarmerie », sera pris. Ce n’est pas tout : « Une structure communale visera à les coordonner. Par ailleurs, un plan d’action est envisagé afin de relancer une police de proximité ». Pour lui, « les Koglweogo ont perdu une partie de leur légitimité auprès de la population suite à leurs excès » et que « ils sont amenés à disparaître, les autorités entendant mettre fin à leur activité ». Quid de l’indépendance de la justice et des inquiétudes des magistrats quant à la volonté du président Roch Kaboré de réintégrer la présidence et le ministère de la Justice dans le Conseil supérieur de la magistrature ? Un expert se veut précis en rappelant les récentes déclarations du président le 3 juin à Dakar : « ... sur le plan de l’application de ce que nous avons appelé l’indépendance de la justice, je crois qu’aujourd’hui, chaque Burkinabè comprend pourquoi il est nécessaire que le Président du Faso et le ministre de la Justice soient au Conseil supérieur de la magistrature. Parce que si vous avez un Etat où la magistrature est son propre patron, cela peut créer beaucoup de problèmes. Et je crois que lors des discussions constitutionnelles pour le passage à la 5e République, ce seront des questions qui seront revues, au regard de la réalité et l’applicabilité sur le terrain ... », avait dit le numéro un Burkinabè devant ses compatriotes. « Pouvez-vous rassurer le Comité sur le fait que votre gouvernement ne travaille pas à remettre en cause ces acquis et nous garantir que les réformes envisagées ne marqueront pas un retour en arrière ? » s’inquiète le commissaire de l’ONU. Réponse de la délégation : « Le Conseil supérieur de la magistrature n’a pas d’influence sur les décisions de justice ; l’indépendance du pouvoir judiciaire est garantie et le chef de l’État ne siège plus au CSM ». Selon la délégation, les propos du président Kaboré ont été prononcés dans un contexte précis et n’emportent pas sur la loi. A la fin des discussions, le président du Comité des droits de l’homme, Fabian Omar Salvioli a qualifié le dialogue de « très fécond » et félicité la délégation burkinabè pour la sincérité de ses réponses.

Joachim Vokouma
Kaceto.net