Demain s’ouvre la 25ème édition du Festival panafricain de cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), le plus grand rendez-vous du 7è art sur le continent africain. Pendant une semaine, producteurs, réalisateurs, distributeurs, programmateurs TV, comédiens, cinéphiles, etc., du monde entier vont se retrouver dans la capitale burkinabè pour célébrer ce qui se fait de meilleurs en Afrique.
Mais au-delà des festivités, de l’ambiance joyeuse, des retrouvailles et des paillettes, de nombreux problèmes freinent l’essor du cinéma africain, en dépit des talents qui ne cessent de pousser çà et là : financement de la production, formation aux métiers du cinéma perpétuelle mutation, distribution des œuvres, etc.
Quelles sont les pistes qui permettraient au continent noir de relever les nombreux défis et pour faire du 7è art africain un levier de développement économique ? Tentative de réponse avec Toussaint Tiendrebéogo, spécialiste du programme de développement des industries culturelles et créatives à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF)

Le thème du Fespaco2017 est : " Formation et métiers du cinéma et de l’audiovisuel" Le continent noir aurait-il pris du retard dans l’appropriation du numérique ?

Est-ce que sur tous les métiers du cinéma, il existe des techniciens africains capables de les assumer ? La réponse serait oui. A part, bien entendu la technique consistant à sortir le produit final sur un support numérique professionnel. Le numérique représente une sacrée avancée puisque pour la post-production, on était obligé au temps de la pellicule d’aller au Maroc ou en Europe. Aujourd’hui, on peut maitriser la chaine du tournage jusqu’à la finition du film, et comme je le disais tantôt, pour le support de diffusion, nous avons encore besoin de recourir à des laboratoires extérieurs.

Le débat sur le numérique est donc clos chez les professionnels du cinéma africain ?

Le débat sur le numérique est clos, parce que c’est la réalité même des modèles économiques qui l’impose aujourd’hui, dans la mesure où l’offre internationale du film se fait en support numérique. Les salles sont passées en support numérique et quand on vient avec un support traditionnel, ça ne marche plus.
Toutes les salles ne sont pas adaptées au numérique au Burkina, seulement trois répondent aux normes internationales : Nerwaya, Burkina et Ciné Sagnon, en plus des salles de l’Institut français. Dans ces salles, en l’absence de film à 35mm, on peut toujours y passer des films sur des supports vidéo numériques tels que les DVD, l’important étant de faire voir les images puisqu’on n’est pas dans un concours sur le niveau de technicité des supports. C’est d’ailleurs ce qui se fait au quotidien, l’équipement en support numérique professionnel étant spécialement installé pour les besoins du Fespaco

La problématique de la distribution des films se pose en Afrique depuis des années. Y a-t-il des pistes de solutions explorées ?

Le problème demeure toujours parce que c’est un ensemble, une chaine qu’il faut considérer. Pour avoir un secteur de la distribution qui est développé, il faut une offre en quantité suffisante qui permette que de gens puissent construire des modèles économiques et en faire un métier. Aujourd’hui, la situation ne permet pas qu’on puisse avoir une démarche entrepreneuriale avec des gens qui se consacrent à la distribution de films. Toutefois, en lien avec la production internationale, les choses pourraient commencer à être intéressantes. A condition là aussi, qu’il y ait un tissu économique dans lequel il y a beaucoup de salles offrant des possibilités aux fournisseurs de films étrangers de travailler avec un distributeur local. La vérité est que les fournisseurs préfèreront passer par des exploitants, ce qui leur évite des ennuis, en espérant que les choses s’améliorent pour éventuellement exploiter directement les salles eux-mêmes. On est dans un cercle vicieux, une situation où le serpent se mord la queue, car un seul maillon de la chaine ne peut se développer tant qu’il n’y pas une dynamique d’ensemble qui est amorcée.
Au-delà de l’exploitation dans les salles, les chaines de télé devraient pouvoir aussi payer et diffuser des films, et ensuite les mettre à la disposition du public en support vidéo physique, comme à la demande à travers des fournisseurs d’accès internet. En l’absence d’un secteur d’exploitation dynamique, on ne peut pas susciter non plus une politique de production quantitative en comptant sur les subventions qui, en réalité, ne peuvent pas provoquer un marché dynamique. Même à l’échelle d’un pays comme le Maroc qui arrive à produire 20 longs métrages par an, ça reste encore insuffisant pour amorcer une vraie dynamique économique qui permette aux maillons de la chaine de pouvoir se mettre en place.

Pourquoi ne pas faire payer les chaines de télé qui diffusent sur le continent ?

Il y a plusieurs manières pour les diffuseurs de contribuer au développement cinématographique de façon générale. La première est qu’elles achètent directement aux producteurs parce qu’elles sont soumises à des quotas de diffusion, ou alors qu’elles soient soumises à des obligations d’investissement qui sont inscrites dans leur cahier des charges.
La deuxième manière, c’est de passer par un système de fiscalité et de taxes pour alimenter un fonds national de soutien à la production. C’est le cas dans un certain nombre de pays où on essaie de répondre aux besoins d’alimentation des fonds de soutien au lieu de tout laisser entre les mains de l’Etat.
Dans le cas du Burkina et du monde francophone en général, ce n’est pas ce qui se passe. Pour avoir les licences de diffusion, les chaines de télé payent des redevances à l’ARCEP exactement comme les opérateurs de téléphonie afin de jouir d’un bien commun national qu’est la fréquence. Il se trouve qu’un certain nombre de pays utilisent une partie de ces redevances pour abonder un fond national de soutien, comme en Côte d’Ivoire. Au Burkina, un fond a été mis en place et alimenté par les redevances versées par les opérateurs de téléphonie. C’est une décision qui avait été prise sous Blaise Compaoré. C’est une mesure dont la vocation n’est pas spécifiquement dédiée à la production de cinéma, mais c’est grâce à son pouvoir discrétionnaire que le gouvernement utilise une partie de ces redevances d’exploitation des licences pour financer la production de cinéma

Depuis 1997, le Burkina n’a plus remporté l’Etalon de Yennenga ? Comment l’expliquez-vous ?

Le Fespaco est une grande famille où on se retrouve, mais ce n’est pas non plus le cadre qui peut donner à voir le dynamisme et la santé du cinéma national pour la simple raison que le Festival a une dimension panafricaine. En termes de représentation, la sélection ne peut pas être trop déséquilibrée, sinon, le Maroc aurait au moins 5 films en sélection puisqu’il produit à lui seul plus de films que le reste de l’Afrique au Sud du Sahara. Et puis en compétition, ce n’est pas tout temps qu’on gagne ! Il n’en demeure pas moins vrai que la qualité de la production burkinabè a connu une baisse durant la dernière décennie. Il ne faut toutefois pas poser brutalement la question de la qualité, mais plutôt aborder le problème autrement. Est-ce que les films qui arrivent à remporter l’Etalon s’inscrivent uniquement dans un schéma de production nationale ? Autrement dit, est-ce que sans une coopération, l’apport de financement extérieur à l’Afrique, les films ont-ils une chance d’emporter l’Etalon ? Si on reste dans le cadre national, on va se contenter de films à 20 millions et on ne peut pas peut prétendre à l’Etalon ? Si on pose le problème sous cet angle, ça devient intéressant et l’explication de la disette depuis 1997 devient scientifique. On s’apercevra que ce soit Buud-Yam ou Tilaï, ce sont des films dont l’économie était ancrée dans une forte relation avec le financement français à travers le centre national cinématographique, des chaines de télé qui ont donné plus de moyens aux réalisateurs d’atteindre un niveau artistique auquel ils ne seraient pas arrivés s’ils s’étaient contentés d’un financement national. Si on prend le dernier Etalon, celui de 2015, le financement est marocain, mais le réalisateur a également bénéficié du soutien de la France. Tey du Sénégalais Gomis lauréat de l’Etalon d’or en 2013 a été financé en partie par la France. A l’issue de cette consécration qui a mis les projecteurs sur le Sénégal, le président Macky Sall a décidé de créer d’un fond doté d’une enveloppe de 1 milliard F CFA pour soutenir la production nationale. C’est pour dire qu’il ne faut pas blâmer ceux qui font les films, mais questionner les conditions dans lesquelles ils les font. Les moyens permettent d’atteindre un niveau de qualité suffisant pour sortir des frontières nationales et aller vers des récompenses soit au niveau panafricain ou à l’international.

Quelle est la contribution de l’’Organisation internationale de la francophonie au développement des industries culturelles en Afrique ?

Les interventions traditionnelles de la Francophonie ont toujours été d’apporter un soutien directement aux artistes, réalisateurs, producteurs pour produire des œuvres et d’accompagner les manifestations culturelles qui visent à les valoriser. Mais depuis 2005 avec l’adoption de la Convention sur la diversité culturelle, il est apparu que la pérennisation et le développement des filières culturelles ne peut pas se passer de politique nationale, de la définition d’un cadre qui favorise un développement endogène en termes de financement et de savoir-faire. D’où la nécessité d’accompagner les gouvernements pour élaborer des cadres réglementaires, définir des mécanismes de financement et adopter des stratégies visant à faire en sorte que les filières culturelles, que ce soit dans le cinéma et l’audio-visuel, la musique, le livre, puissent bénéficier d’un environnement national sur lequel on puisse fonder leur développement, indépendamment de toute intervention financière extérieure.
Concrètement, nous intervenons pour améliorer le niveau d’expertise des fonctionnaires des ministères de la culture en termes de formation. Au ministère des Finances, on ne peut pas imaginer des agents qui ne soient pas passés par une école de régies et des finances. Dans le sport, il y a des écoles qui forment des gens aux métiers du sport dans nos pays. Mais dans la culture, paradoxalement, on recrute des gens qui n’ont aucune formation et n’ont aucune stratégies pour développer les filières culturelles. Parfois, on va prendre des enseignants, des historiens ou des sociologues pour occuper des postes, comme si nous avions encore une conception anthologique de la culture qui se réduit aux folklores et non le côté « industries culturelles ».
Comment renforcer l’expertise et le niveau des cadres des ministères de la culture pour à la fois définir les politiques d’encadrement, de financement et de développement du livre, du cinéma, des arts du spectacle, etc. ? Une fois ce travail fait, nous les accompagnons dans la définition d’une stratégie de développement de chacune des filières en fixant des objectifs sur cinq, dix ans et comment y parvenir. Dans le cinéma, on ne peut régler le problème de la distribution si on n’a pas réglé celui de la production, qui ne peut être valorisé si on ne pense pas leur valorisation et leur commercialisation à travers des chaines de ciné, en vidéo qu’elle soit physique ou DCD à la demande. Et pour y arriver, il faut organiser le cade réglementaire : quelles sont les conditions pour exercer le métier de producteur et exploitant de ciné ? Tout cela permet à l’Etat de pouvoir encadrer les différents intervenants et réguler leurs rapports. Quand on est une chaine de télé et qu’on n’a aucune obligation de passer du contenu national, la filière ne peut pas se développer. C’est une responsabilité qui incombe souvent au conseil supérieur de l’audiovisuel. Il faut donc clairement imposer 50-60% de contenu national dans le cahier des charges parce que ça inclut de matchs de foot, des séries TV, des émissions de TV, des téléréalités. Mais si on veut développer par exemple les séries, il faut dire que dans les 60% de contenu national, il faut 5% de films long et court métrage, etc.
La question de la propriété intellectuelle se pose évidemment par qu’on ne peut réaliser des investissements dans un contexte où le piratage hypothèque le retour sur investissement. Nous accompagnons les bureaux de droit d’auteurs, les fonctionnaires des douanes et les magistrats sur le respect de la propriété intellectuelle. La survie de la filière en dépend !

On entend souvent dire que le Burkina pourrait perdre « son Fespaco » au profit du Nigeria qui voudrait l’acheter. Qu’en pensez-vous ?

Le Fespaco est une manifestation dont l’organisation repose à 80% sur les ressources nationales. Il n’est donc pas délocalisable. En revanche, que d’autres manifestations naissent dans d’autres pays et offrent de meilleures opportunités aux cinéastes, de nature à détourner leur intérêt pour le Fespaco, oui, c’est une question qui se pose. Quel est l’intérêt pour un cinéaste d’aller dans un festival ? Quand le Fespaco a été créé, c’était avec des personnalités fortes, très respectée pour leur notoriété morale, comme Sembène Ousmane. Mais ces gens sont partis et on a assisté à l’arrivée d’une nouvelle génération de cinéastes qui s’intéressent au Fespaco parce qu’il peut leur assurer une certaine visibilité, surtout leur offrir des opportunités pour pouvoir vendre leurs films. Donc, si un autre festival voit le jour dans un autre pays qui a beaucoup plus de moyens, publics ou privés, les seconds pouvant être plus importants que les premiers, là on peut ravir l’intérêt du Fespaco. Il suffit de leur donner plus de reconnaissance, de visibilité et d’opportunités pour vendre leurs films et les gens pourraient se détourner du Fespaco. Voyez le MICA, c’est un cadre qui offre moins d’opportunités d’affaires que le DISCOP, une initiative privée qui se tient chaque année avec deux éditions, à Johannesburg et à Abidjan. Ces dernières années, le DISCOP offre plus d’opportunités de vendre des programmes de télévision, et c’est là qu’il fait aller si on veut en acheter.
Au MICA, on ne voit que des stands, on y fait pas du business et on ne pas les principaux acteurs des marchés des programmes TV avec dans les stands au MICA. D’abord, la périodicité du Fespaco, tous les deux ans, est très longue pour un programmateur de télé, qui a besoin de nouveauté en permanence.
Ensuite, le Fespaco ne valorise pas assez les cinéastes, leurs œuvres ainsi que les acteurs. Or, un festival est fait pour célébrer les cinéastes et leurs œuvres et les mettre sous les projecteurs. Un festival n’est pas fait pour que les institutionnels viennent communiquer sur ce qu’ils font et qui n’est d’ailleurs pas la panacée sinon, on serait développé depuis des années.

Vous regrettez donc l’absence de stars de dimension internationale au Fespaco ?

Non, ce n’est pas ça. Que se passe-t-il pour un réalisateur invité au Fespaco ? On organise une soirée, ou la première projection où il discute avec le public, puis il passe à a radio et c’est tout. Récemment, on a introduit le tapis rouge, mais ce n’est pas ce qu’il faut. Je trouve qu’on pourrait faire davantage pour les réalisateurs, et ce qui est vraiment énervant, c’est de voir que même les assistantes des partenaires institutionnels sont dans des voitures louées par le comité d’organisation pendant que des pauvres cinéastes sont obligés de se taper des taxis ou des transports en commun ! On a totalement inversé les choses ; au lieu de magnifier les cinéastes, ce sont les institutionnels qui deviennent l’attraction du Festival !

Interview réalisée par Joachim Vokouma
Kaceto.net