J’ai rarement l’inclination à me mêler des dossiers que je ne maîtrise pas conceptuellement. Mais ici, ma passion de la nature m’en donne le droit ; elle m’oblige à dire mon mot, ne serait qu’avec les termes de ma sensibilité naïve et non technicienne. Le Burkina Faso est un pays coincé entre la savane et le sahel, juste en lisière du grand Sahara. Nonobstant des données géo-écologiques et hydrographiques bien difficiles, le Burkina Faso est un beau pays de diversité biologique, et nous, les enfants de la savane, nous avons toutes les raisons d’aimer ce terroir des pères, que Dieu nous a donné. Notre enfance n’a pas eu ni la mangrove, ni les pics de la cordières des Andes, ni les plages magnifiques du Pacifique, mais elle est la belle savane d’Afrique, un Éden peuplé de lagopèdes, de gallinacées de tous acabits, de primates voisins de l’homme et de toutes les sortes de vivants que la douceur du climat laissait prospérer. Que nous reste-t-il encore de ce jardin de la belle enfance perdue ?
De l’enfance des gens de ma promotion à nos jours, les choses ont dramatiquement changé. Les marigots qui rafraîchissaient nos journées d’avril ont tari. Les lagopèdes de claire de lune, les batraciens de début et de fin de saison, les tortues des mares du village, les lézards, les rats des terriers de la plaine, les porcs-épics de la montagne, les écureuils des grands arbres, les sauterelles de juillet et de septembre, les papillons de toutes les couleurs, tout cela est devenu bien rare. La faune et la flore de la patrie survivent à peine au génocide planifié par les insecticides, les herbicides et l’urbanisation aveugle des périphéries de nos villes. Malgré tout, dans les zones encore propices, quelques pachydermes survivent, traversant, régulièrement les routes, mais sont menacés par des superficies de champs de plus en plus vastes, des braconniers de plus en plus avides et féroces. Où est donc passé le lion, le roi de la savane ? Où est parti Bouki l’hyène, l’idiote de la légende de notre enfance ? Où se cache Loeuk le lièvre, le malin de tous les malins de la brousse ? Où sont donc allés les « wokoloni » et autres génies de la brousse des pères ? Où a-t-on mis les iguanes et les boas sacrés de la forêt protectrice du village ? Où peut-on entendre encore, le hululement des hiboux de nuit, le roucoulement des tourterelles qui, autrefois, annonçaient la venue de l’étranger, le piaillement des tisserins qui constituaient l’orchestre pour nos mères pileuses de millet, sous le fromager bien ombrageux ?
Il ne reste donc plus dans la brousse, que nos canidés domestiques amaigris, nos Dozos, nos Kolgwégos et nos bergers de troupeaux sans d’autre avenir que l’intensification. Tout ce beau monde est d’ailleurs menacé par l’avancée récurrente du désert et de ce qu’il colporte. Par-ci, par-là, les guerriers de la claire savane d’hier sont visiblement au repos forcé, à l’ombre des derniers survivants de karités et de nérés séculaires, de tamariniers et de baobabs millénaires. Où allons-nous donc nous procurer le « soussounbéré » mystique qui permit jadis à Soundjata Keita, l’enfant terrible du Mandé, de tenir debout ! En effet, par ces temps qui courent, l’arbre dont il est la branchette n’est guère visible qu’à quelques rares endroits. On comprend alors pourquoi, les chevaliers des pères sont obligés de traquer le délinquant, de jouer au justicier de la savane, ou plus simplement, de se métamorphoser en vigile de cette mine, pour contempler cet or, autrefois totem des pères, s’en aller vers des contrées lointaines du monde. Oui, l’or s’en va ; tout le reste s’en va aussi, pour ne nous laisser que nos larmes. Des larmes qui cependant ne rempliront point les lits de ces fleuves nourricières de la brousse et des hommes. Les cours d’eaux sont sensiblement en voie de tarissement ; ils sont assiégés et ensablés ; leurs eaux sont intoxiquées et dévitalisées ; l’intimité de leurs berges est violée par ces cultures de rente, dont on peut finalement douter de la rentabilité. L’ère du Bozo heureux du fleuve Mouhoun est terminée ; le génocide, des poissons capitaines qui faisaient la gloire du pêcheur de l’aube, a bien eu lieu. Oui, le Bozo ne pêche plus guère que des immondices de sachets noirs venus des industries meurtrières de la planète verte, pour envahir nos fonds de placards, nos coins de rues, nos espaces de villégiature, nos caniveaux de ville, nos prairies de campagne, nos marigots sacrés, les lits de nos rivières nourricières de la patrie. Oui, la belle savane est aujourd’hui étouffée, mais j’ai tout espoir que le premier responsable du département en charge de l’environnement, qui est d’ailleurs un sankariste de renom, et présumé donc être un écologiste d’avant-garde, prendra des initiatives fortes et sankaristes, ne serait-ce que pour l’application des textes qui existent déjà en matière de protection de l’environnement.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et philosophie, écrivain
Kaceto.net