A peine ouvert ce matin au palais de justice de Ouagadoudou, le procès tant attendu des ministres du dernier gouvernement de Blaise Compaoré a été immédiatement reporté au 4 mai 2017

C’est le rendez-vous judiciaire historique qu’attendent les Burkinabè et les observateurs internationaux : l’ouverture du procès des ministres du dernier gouvernement du président Blaise Compaoré devant la Haute cour de justice pour « complicité de coups et blessures volontaires et complicité d’homicide volontaires ». Journalistes, membres des familles des présumés coupables, militants des organisations de défense des droits de l’homme, hommes politiques, curieux citoyens, etc., se sont pressés tôt ce matin dans l’espoir d’accéder à la salle d’audience du palais de justice et être témoins du premier procès intenté à des ministres burkinabè dans l’exercice de leurs fonctions.
Devant l’entrée du palais, une longue file de gens s’impatiente. A l’horizon, le ciel est sombre et se prépare un violent vent, annonciateur d’une pluie bienfaisante qui est enfin tombée dans la capitale. « On va pouvoir respirer parce que a chaleur ces derniers jours-là, c’est pas facile », commente une dame dans la file. Du rond-point des Nations unies, arrive un gros car blanc floqué « Fores armées nationales » escorté par des gendarmes lourdement armés. A bord ont pris place les anciens ministres qui s’étaient retrouvés à la gendarmerie pour être ensuite convoyés au palais de justice.
Une fois le premier contrôle franchi, il faut à nouveau patienter avant d’accéder à la salle. A 8h50 mn, les policiers commis au deuxième contrôle annoncent que seuls les porteurs de badges peuvent entrer parce qu’il n’y a plus de places. Les murmures de déception fusent de la foule. Mais c’est comme ça, la salle d’audience est effectivement pleine à craquer. Pour de nombreux professionnels de la communication, il faut faire des coudes pour se trouver un petit coin et prendre des notes.

A droite de la salle, les anciens ministres sont là, sagement assis sur des chaises en plastique de couleur blanche, louées par le ministère public pour la circonstance. Ils ont l’air détendus, certains discutent et plaisantent, d’autres, par contre, sont silencieux et semblent concentrés sur l’instant solennel que représente leur présence en ces lieux. C’est le cas de l’ancien premier ministre Luc Adolphe Tiao.
A 9h10 mn, la cour, présidée par Bèbrigda Mathieu Ouédraogo et dans laquelle siègent entre autres, Maître Bénéwendé Sankara et Juliette Bonkoungou, fait son entrée. La salle se met debout, puis se rassoit sur ordre du président, qui dans la foulée commence par l’appel des prévenus et l’identité de leurs avocats et conseils. Le premier à répondre à l’appel s’appelle Benon Luc Adolphe Tiao, l’ancien premier ministre. « Présent », répond l’intéressé. Cheveux courts, il porte un habit Faso dan Fani blanc rayé. Puis le président enchaine : Blaise Compaoré. Silence. Blaise Compaoré. Même réponse. On entend des rires dans la salle. Au final, vingt-sept (27) ministres ont répondu présents. Lorsque Baba Hama se présente devant la barre, le président lui signale qu’il n’a pas de conseils. « Je n’en ai pas besoin », répond l’ancien ministre de la Culture et du tourisme, provoquant des rires dans l’auditoire. Un avocat rappelle qu’en matière criminelle, la loi prévoit que le prévenu ait un avocat ; donc il faut lui en commettre d’office. Baba Hama écoute, et n’en fait aucun commentaire. C’est Jérôme Bougouma, ancien ministre de la Sécurité, qui rejoint en dernier ses collègues devant la barre. Les ministres Salif Kaboré, Jérémie Ouédraogo, Marie-Noël Bembamba, Assimi Kouanda et Koumba Boly sont eux aux abonnés absents.
Le président entame un autre appel, celui des témoins. Ba Boubacar, ancien ministre des Mines sous la Transition, Noumoutié Traoré, Nabéré Traoré, Boureima Kéré, etc. A l’appel de son nom, le Gl Gilbert Diendéré répond d’un « présent militaire » énergique, déclenchant quelques applaudissements dans le public. Djibril Bassolé, dont l’état de santé suscite une polémique depuis des semaines est là, souriant. Quand il aperçoit le Gl Honoré Nabéré Traoré, il se dirige vers lui et les deux se font de chaudes accolades, visiblement contents de se revoir.
Fin de la première séquence.
Le président du tribunal informe l’assistance avoir reçu une lettre du bâtonnier de l’ordre des avocats, Mamadou Sawadogo, lui demandant de reporter l’ouverture du procès à une date ultérieure pour cause de rentrée solennelle du barreau, à laquelle tous les avocats sont concernés. Après avoir consulté les membres du tribunal, il accède à la demande du bâtonnier et donne rendez-vous le 3 mai pour le début du procès. Des avocats présents interviennent pour demander plus de temps afin de mieux préparer la défense de leurs clients car disent-ils, ils ont reçu le dossier il y a seulement deux jours. « Il ne faut pas faire dans la précipitation. Votre décision étant sans recours, il faut se donner du temps pour que la vérité éclate », objectent-ils, avant de demander par conséquent un report sous quinzaine. Le président Mathieu Ouédraogo sollicite alors l’avis du ministère public, lequel se dit favorable à la date du 3 mai, pas au-delà. « Nous avons envoyé tous les documents dans le délai et nous maintenons la date du 3 mai ». En fait, le procureur compte ses sous, jusqu’au centime près, et ne tient pas à déséquilibrer son budget qu’il a manifestement eu du mal à boucler. « Nous avons loué les chaises et tout ce qu’il faut pour assurer le bon déroulement du procès. On ne peut pas supporter des délais trop longs », argumente-t-il. Commence alors un long conciliabule entre membres du jury, puis le verdict tombe : ce sera le 4 mai 2017 à 9 heures dans la même salle. Eclats de rires et dépit des avocats. En moins d’une heure, l’audience est levée.
La salle se vide. Certains ministres rejoignent directement leurs familles, d’autres se dirigent vers le car qui va les ramener à la gendarmerie, d’où ils étaient arrivés, pour, semble-t-il, des raisons de sécurité.
Ce matin, dans la salle d’audience et dans la cour du palais de justice, l’atmosphère était d’une étonnante normalité. A la sortie de l’audience, le ministre Abel Coulibaly grille une cigarette et parlotte avec des connaissances. Jean Coulidiaty plaisante avec Baba Hama, Léné Sebgo et Dramane Milogo ; une voiture se gare et Arthur Kafando y monte, Nestorine Sangaré est entourée par ses frères, mobilisés pour lui apporter soutien moral et réconfort.
Dans le vestibule du palais, des responsables d’Organisations de la société civile, dont certains n’ont pas eu accès à la salle d’audience parce qu’ils sont arrivés en retard, répondent aux questions des journalistes.
Rendez-vous donc le 4 mai pour le vrai début de ce procès qui fera date dans les annales de notre histoire politique.

Joachim Vokouma
Kaceto.net