Le 29 mai dernier, le ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, Siméon Sawadogo, a rencontré les responsables des partis politiques et leur a remis un avant-projet d’un nouveau code électoral, les invitant, « dans une démarche participative » à l’enrichir « afin qu’il reflète au mieux les attentes de tout un chacun ». (Voir ci-contre, le texte en PDF)
Que le gouvernement veuille améliorer le code électoral afin de le rendre plus efficace et réduire davantage les risques de fraudes et de contestations lors des élections, relève de son devoir le plus élémentaire. Sur la forme, il n’y a, à proprement parler, rien à dire. En revanche sur le fond, le texte soumis à discussion suscite de sérieuses inquiétudes. Les polémiques et autres empoignades observées dans les médias et les réseaux sociaux en témoignent. Alors que le climat social est tout sauf apaisé depuis des mois avec des grèves en cascades, ce qui n’est pas pour encourager les investisseurs nationaux et étrangers à miser leur argent dans notre pays, voilà que le gouvernement ouvre un front politique qui va sans doute faire grimper la note « risque pays » du Burkina.
Disons-le, ce texte porte en lui, les germes d’un conflit social et politique dont il faut se prémunir de toute urgence. Il remet en cause des avancées démocratiques chèrement acquises depuis le retour des compétitions électorales du début des années quatre-vingt-dix, et entretient la discrimination entre les Burkinabè de l’intérieur et ceux de l’extérieur.
Sur plusieurs points de l’avant-projet de code électoral, des clarifications s’avèrent nécessaires. Quand l’article 14 évoque une « autorité administrative indépendante en charge des élections », de quoi s’agit-il exactement ? Faut-il comprendre qu’elle remplace la Commission électorale nationale indépendante (CENI), l’instance en charge de l’organisation des élections et qui fait l’objet d’un consensus ? Après le double scrutin présidentiel et législatif de novembre 2015, puis les récentes municipales partielles et complémentaires, la CENI a acquis une crédibilité qu’il faut jalousement préserver.
Article 13 : « Pour justifier son identité, l’électeur produit l’une des pièces suivantes : l’acte de naissance ou le jugement supplétif d’acte de naissance, la carte biométrique CEDEAO, la carte nationale d’identité burkinabè, le passeport burkinabè ». Faut-il ici aussi comprendre que la possession d’un simple jugement supplétif d’acte de naissance suffira au citoyen pour accomplir son devoir ? On aimerait bien le savoir d’autant qu’à la différence de la carte nationale d’identité, le jugement supplétif d’acte de naissance n’est pas sécurisé, donc facilement manipulable.
Le texte consacre une discrimination notoire entre Burkinabè de l’intérieur et ceux de l’extérieur, ce qui est contraire à l’article 1er de la loi fondamentale, laquelle garantit l’égalité des Burkinabè. Alors qu’une seule pièce (carte d’identité, passeport, jugement supplétif d’acte de naissance) suffit aux premiers pour s’identifier, les Burkinabè de la diaspora doivent eux, présenter « l’acte de naissance établi par une autorité compétente burkinabè accompagné d’un certificat de nationalité, la carte nationale d’identité burkinabè, le passeport burkinabè » pour prouver leur burkinité !
Quid du Conseil supérieur de la communication ? Comme la CENI, serait-il aussi supprimé au profit d’une « autorité administrative indépendante de régulation de l’information et de la communication » qui « fixe le nombre, la durée et les horaires des émissions organisées dans les organes de presse d’Etat au profit des candidats et/ou partis ou formations politiques » ? L’avant-projet entretient également un flou sur cette question, ce qui ouvre la porte à toutes sortes de supputations.
Enfin, sur le vote des Burkinabè de l’extérieur programmé pour 2020, l’avant-projet le renvoie aux calendes grecques. Pour preuve, non seulement il est évoqué dans les « dispositions transitoires », mais l’article 382 est sans ambiguïté : « La mise en œuvre des dispositions relatives au vote des Burkinabè résidant à l’étranger se fera de manière progressive à partir de 2020 selon des critères définis par l’autorité administrative indépendante en charge des élections ».
Après les rendez-vous manqués de 2010 et 2015, les Burkinabè de la diaspora devront donc encore patienter ? A chacun de ses déplacements à l’extérieur, le président Roch Kaboré ne manque pourtant jamais de rencontrer ses compatriotes résidant dans le pays visité et les rassurer quant à leur participation à la présidentielle de 2020. L’avant-projet de code électoral est un mauvais signal envoyé à la diaspora. C’est aussi un gâchis d’autant que la nomination d’une ministre déléguée chargée des Burkinabè de l’extérieur, puis la présence de cinq délégués dans la commission constitutionnelle, avaient été perçues par de nombreux Koswétos comme une volonté de la majorité présidentielle de les associer à la gestion du pays. Il n’est pas tard pour rectifier le tir.

Joachim Vokouma
Kaceto.net