Le 25 juin dernier aux environs de 9h30mn. La Place des Martyrs de Fada Ngourma (ex Place de l’Unité) s’est vidée en quelques minutes, dès la fin de la grande prière du Ramadan conduite par le grand l’imam El hadj Aboubacar Kina.
Pendant ce temps, de l’autre côté de la ville, dans le secteur 6 Nord, sur une aire sauvage, un peu moins d’une centaine de fidèles sont réunis pour une autre prière. Les hommes et les femmes sont séparés d’environ 30 mètres. Ils appartiennent à la confrérie tidjania, née d’un soufisme populaire fondé au XVIIIe siècle par Ahmed Tijani.
La prière est dirigée par le Moukadam, le guide spirituel, « celui qui a été désigné pour diriger une communauté », Abdouramane Tani à l’état civil. A bientôt 40 ans, il a suivi les premiers enseignements sur le Coran à Tambaga, dans la province de la Tapoa, avant d’aller au Mali pour se perfectionner dans les études supérieures du livre saint.
Implantés à Fada Ngourma il y a un peu moins de 7 ans, les fidèles tidjanes n’ont pas toujours bonne presse dans la ville. « Ils ne vont pas à la prière de 13 h le vendredi et sont trop rigoristes dans l’application des préceptes de l’islam », explique un fonctionnaire.
Mais qui sont-ils réellement ? Qu’est-ce qui les différencie des autres musulmans et quelle est la philosophie du tidjanisme ?
Eléments de réponse avec Moukadam, qui s’exprime en gourmatchéma et dont les propos sont traduits par les fidèles.

Pourquoi n’êtes-vous pas allé à la grande prière sur la Place des Martyrs ?

Pour nous, c’est une question qui ne se pose pas parce que tout ce que Dieu élargit est bon pour tout le monde, et chacun y gagne. La clémence de Dieu n’a pas de limites. Nous sommes tous les créatures d’un même Dieu, mais nous ne sommes pas tous assis au même endroit et ne résidons pas tous dans le même pays. Les pays regroupent des hommes et des femmes qui sont différents les uns des autres.

Comment qualifier votre mouvement ?

Nous sommes des fidèles de la confrérie tidjania laquelle repose sur des principes qui sont clairs : se conformer à la volonté de Dieu et éduquer sa famille selon les principes énoncés par le prophète, qui priait beaucoup et le remerciait pour ses bienfaits. Nous, membres de la confrérie tidjania, respectons aussi les cinq piliers de l’islam, mais vous savez, il est très difficile de les appliquer. Notre particularité, c’est que nous faisons l’effort de les respecter intégralement dans nos comportements de tous les jours. Toutefois, nous savons que tout le monde ne peut pas faire les mêmes choses telles qu’elles prescrites par Dieu.
C’est difficile d’être rigoureux, et si on veut suivre le bon chemin, il faut se séparer des gens et aller avec ceux qui veulent vous suivre. Les musulmans qui ont prié sur la Place des martyrs et nous, sommes de même père, mais pas de même mère. Par exemple, quand des femmes mettent au monde des enfants, chacun d’eux voit le travail que fait le père et veut parfois faire comme lui et émerger. Mais au final, tous ne peuvent pas ressembler au père. Il n’y a pas de conflit entre nous musulmans, mais chacun a pris ce qui l’intéressait du travail du père.

Faut-il comprendre que vous êtes plus proches du père que les autres ?

Les enfants tirent différemment les leçons du travail du père. Le père, c’est la racine et les enfants qui l’ont vu travailler le jugeront et choisiront quand ils seront responsables. Certains voudront faire comme le père, même si le choix est difficile, pendant que d’autres opteront pour un autre chemin, moins difficile et court. Nous sommes du côté des enfants qui veulent faire comme faisait leur père et on n’oblige personne à nous suivre. Chacun est libre de suivre son chemin. Ce qu’il faut savoir, c’est que parmi les activités que faisait le prophète, il y en avait qui étaient obligatoires, d’autres surogatoires et supplémentaires. Les fils sont tenus de faire ce qui est obligatoire, mais pour le reste, ils sont libres de le faire ou pas. Des fils ont opté de suivre les trois branches d’activités et c’est cet exemple que nous suivons.

Vous suivez donc à la lettre la vie du prophète ?

On suit ce que le prophète nous a dit de faire. Mais le prophète faisait certaines choses que les gens ne voyaient pas, comme par exemple le salut de Dieu. Cette activité n’est pas obligatoire.

Depuis quand existe la confrérie tidjania à Fada ?

Depuis la nuit des temps ; même nos grands-parents sont nés la trouver ça ici, mais en tant qu’organisation telle qu’elle fonctionne aujourd’hui sous notre responsabilité, la confrérie existe depuis un peu moins de 7 ans. Elle regroupe environ 400 personnes, en plus des élèves qui sont dans les écoles coraniques que nous gérons.

Pendant la prière, les femmes sont derrière et les hommes devant. Pourquoi ?

Si Dieu te confie une mission, il faut s’éloigner de tout ce qui peut t’empêcher de l’accomplir. Les femmes et les hommes, ce n’est pas pareil. Parmi les fidèles, il y a des hommes ou femmes mariés, des célibataires ou ceux qui n’ont rien pour l’instant. Si on mélange les trois groupes, certains vont être perturbés parce qu’ils seront séduit (es) par le ou la voisine. Les hommes seront tentés de regarder les femmes qui sont belles et élégantes et même vouloir les avoir. Et ce n’est pas bon quand on doit accomplir la mission que Dieu t’a confiée.

Avez-vous des talibés dans vos écoles de formation ?

Non, sur l’ensemble des 400 membres de la confrérie, il y en a qui viennent pour bénéficier de l’éducation et d’autres pour étudier le coran. Nous assurons une formation purement religieuse dans la journée et ceux qui sont là pour les études coraniques sont totalement pris en charge. Ils n’ont pas besoin d’aller quémander dans la rue parce qu’il y a une solidarité entre les anciens qui sont dans la vie active (commerçants, fonctionnaires, etc.) et les élèves. Moi-même je ne cultive pas, ne fais pas de commerce et ce sont les gens qui apportent ce qu’il faut et je fais des bénédictions.

Ceux qui ont suivi des études coraniques sont pénalisés quand ils veulent passer des concours ou décrocher un boulot dans l’administration. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Les études coraniques et les études à l’école en français sont différentes et il faut choisir. Celui qui choisit d’étudier le coran ne peut pas après dire qu’il veut aller dans l’administration. Quelqu’un a-t-il déjà demandé d’étudier le Coran dans l’administration ? Si une personne veut bénéficier de nos enseignements en même temps que ceux de l’administration, ce n’est pas possible. On ne peut pas venir chez nous et vouloir après à être gendarme. En revanche, s’il peut faire les deux, libre à lui !

Selon vous, qu’est-ce que le djihad et quel est votre avis sur ceux qui invoquent le nom d’Allah avant de commettre les attentats ?

Moi-même, je me demande quel est le motif de leurs actes. Le djihad, c’est le fait de protéger ce qu’on a construit, d’empêcher qu’on le détruise, sous peine de ne pas pouvoir accomplir la mission que Dieu t’a confiée. Vous étiez à la Place des Martyrs en tant que journaliste, puis vous êtes venus vous entretenir avec nous. Si une personne qui vous a vu à la Place des Martyrs, vous voit avec nous et pense que vous êtes venus nous donner ce que Dieu ne nous a pas donné et déclenche une bagarre, quel camp allez-vous soutenir ? Sur les actes terroristes, je cherche à comprendre pourquoi ils font ça et pourquoi ils invoquent le nom de Dieu. Quelle est l’idée qui est dans leur tête et qui les pousse à commettre les attentats et à prononcer le nom de Dieu ?

Comment êtes-vous perçus à Fada ?

Comme la ville est mélangée avec des gens qui ont des comportements divers, c’est difficile de répondre à votre question. Mais vous, vous êtes venus nous voir sans être sollicité. Il y a des gens qui nous aiment vraiment parce qu’ils sont guidés par la foi et l’amour de Dieu. Des gens nous aiment à cause de nos principes et des activités que nous menons. Ils nous aiment pour ce que nous sommes alors que d’autres pourraient nous fusiller s’ils le pouvaient. Le monde est ainsi fait : certains vous apprécient, d’autres vous en veulent.

Avez-vous des contacts avec vos anciens élèves et appliquent les enseignements que vous leur avez donnés ?

Chacun vient ici avec sa maturité et décide du nombre d’années qu’il compte passer pour son apprentissage et son éducation. Une fois partis d’ici, le contact n’est pas pour autant rompu. Beaucoup appellent pour donner et avoir des nouvelles, et passent même nous rendre visite. Les études coraniques durent plus de 7 ans, mais l’éducation simple peut prendre moins de temps.

Propos recueillis par Joachim Vokouma
Kaceto.net